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L’Afrique, pilier de notre avenir climatique

Un évènement majeur dans le domaine de l’énergie et du climat vient de se conclure en Afrique : le premier Sommet africain sur le climat, qui s’est déroulé du 4 au 6 septembre, à Nairobi au Kenya, et a attiré pas moins de 28 000 participants.

La Presse, 8 septembre 2023

YVAN CLICHE
SPÉCIALISTE EN ÉNERGIE, FELLOW AU CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHES INTERNATIONALES DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Ce sommet avait une forte dimension politique, dans un contexte où les discussions sur le climat sont de plus en plus tendues entre les pays riches et les pays en développement. Ces derniers rappellent à foison que les pays riches ne respectent toujours pas leur engagement de consacrer 100 milliards de dollars par année aux investissements liés au climat dans leurs pays.

Ces tensions seront assurément au cœur des débats de la prochaine Conférence des Parties (COP 28), le sommet annuel de l’ONU sur les changements climatiques, qui se tiendra au début décembre à Dubaï.

Les divergences de vues entre ces deux parties du monde reposent sur un clivage simple. D’une part, les pays riches ont atteint des niveaux de vie élevés grâce à une forte consommation énergétique basée sur les énergies fossiles, ce qui en fait les principaux responsables du réchauffement climatique.

D’autre part, les pays en développement, dont la cinquantaine d’États en Afrique, ont émis bien peu de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. (Le continent africain n’y contribue qu’à hauteur de 4 %.) Ce qui ne les empêche pas de vouloir atteindre le même niveau de vie que les pays riches. Or, les objectifs de la lutte contre le réchauffement climatique les contraignent à éviter autant que possible ces mêmes énergies fossiles qui ont propulsé le développement des pays riches. D’où ce sentiment d’iniquité et d’injustice.

Défis titanesques

En matière d’énergie, les défis du continent africain sont titanesques. Une large part de sa population, soit près de 600 millions de personnes sur plus de 1,2 milliard d’habitants, n’a pas un accès fiable à de l’électricité. Il faut donc chercher à leur fournir une énergie fiable, sans lequel aucun développement socioéconomique n’est possible.

À ce défi s’ajoute celui de la croissance démographique : la population du continent devrait doubler d’ici 2050. À ces nouveaux citoyens, il faudra bien offrir des perspectives de vie convenable.

Sans surprise donc, l’Afrique attend de la communauté internationale un appui concret et significatif pour accélérer le financement de ses projets énergétiques.

Bien que l’Afrique comprenne 20 % de la population mondiale, elle ne reçoit qu’un maigre 2 % des investissements mondiaux en matière d’énergie propre, indique un rapport conjoint de la Banque africaine de développement et de l’Agence internationale de l’énergie, dévoilé le 6 septembre dans le cadre du Sommet africain sur le climat1.

Selon ce rapport, les investissements énergétiques doivent doubler d’ici 2030, à 200 milliards de dollars par année, afin de fournir un accès universel à l’énergie et de permettre aux pays du continent de respecter leurs objectifs climatiques.

Les pays africains disposent de peu de ressources financières. Pour plusieurs d’entre eux, des dettes publiques extrêmement lourdes limitent leur capacité à financer des projets. Du côté du capital privé, les craintes liées aux risques de nature politique et réglementaire, notamment, entraînent une pression à la hausse des coûts de financement, qui sont deux à trois fois plus élevés si on les compare avec des projets similaires ailleurs dans le monde.

Ce sont là des défis de grande envergure, qui doivent interpeller tous ceux qui ont à cœur d’atténuer les dérèglements climatiques. Les émissions de gaz à effet de serre ne connaissent pas de frontière. Les besoins énergétiques immenses de l’Afrique, sa jeune population aspirant à un avenir décent et sa démographie galopante devraient rappeler aux pays riches que les progrès dans notre combat contre les changements climatiques doivent être faits aussi, et en grande partie même, sur ce vaste continent.

1. Consultez le rapport de l’Agence internationale de l’énergie / Banque africaine de développement (en anglais)

Un train pour verdir l’Amérique

Le Devoir, 25 août 2023

Le premier train à hydrogène vert en circulation sur le continent s’arrête peut-être à Baie-Saint-Paul, mais ses ambitions voyagent bien au-delà de Charlevoix.

À son bord prennent aussi place les espoirs d’une industrie encore balbutiante au Québec, mais convaincue que l’hydrogène vert constitue une des clés vers un avenir décarboné. Petit train ira-t-il loin ? Plusieurs rêvent de le voir partir à la conquête de l’Amérique.

Depuis sa mise en service le 17 juin, le train qui sillonne les 100 kilomètres entre Québec et Baie-Saint-Paul accueille des curieux attirés par le sentiment d’entrer dans le monde de demain.

« C’est un train qui ne laisse aucune empreinte carbone : tout ce qui s’en échappe, c’est de la vapeur d’eau », explique Nancy Belley, directrice générale de Chemin de fer Charlevoix, la société privée qui gère la locomotive entre la capitale et Baie-Saint-Paul. « Les gens, en prenant place à bord, ont l’impression de faire un peu partie de l’histoire. »

Propulsé à l’hydrogène vert, le train Coradia iLint d’Alstom avale les kilomètres entre fleuve et montagnes, au milieu du riche réservoir de paysages de Charlevoix. C’est ici, dans cette région réputée pour son terroir et ses artisans, que l’avenir ferroviaire du continent se dessine peut-être.

« En semaine, chaque fois que le train est en marche, poursuit Nancy Belley, il y a des délégations d’un petit peu partout dans le monde qui viennent constater que ça fonctionne, un train à l’hydrogène. »

Signe de l’intérêt suscité par cette locomotive unique en Amérique : le p.-d.g. d’Amtrak, l’entreprise américaine qui met quotidiennement en circulation plus de 300 trains sur un réseau de plus de 33 000 kilomètres, doit effectuer le voyage dans les prochains jours.

« L’engouement est vraiment là, les besoins aussi, souligne Olivier Marcil, vice-président des affaires publiques chez Alstom Canada. En Amérique du Nord, le réseau de voies ferrées s’étend sur plus de 300 000 kilomètres, mais moins de 1 % est électrifié. Tout roule encore au diesel. L’Amérique, pour nous, représente un potentiel énorme. »

Verdir les transports

L’électrification directe comme celle du REM à Montréal, avec caténaires et câbles d’alimentation, demeure la façon la plus fiable d’électrifier les trains. Par contre, dans des régions peu peuplées, il est peu logique, sur le plan économique, de déployer une ligne électrique pour la seule alimentation d’une voie ferrée. Pour les avions et les navires, un ravitaillement électrique est également impossible sur de très longues distances. C’est dans des cas semblables que l’hydrogène vert pourrait jouer un rôle majeur dans la transition écologique des transports.

« C’est une des solutions », estime Michel Archambault, le cofondateur d’Hydrogène Québec, une nouvelle alliance industrielle inaugurée mardi et présidée par l’ancien ministre de Stephen Harper Steven Blaney. « L’hydrogène vert n’est pas la seule et unique réponse à l’urgence climatique, mais c’est une des voies à explorer pour parvenir à décarboner nos économies. »

Présentement, la planète consomme annuellement environ 100 millions de tonnes d’hydrogène, surtout employées pour produire de l’ammoniac et du pétrole raffiné. De cette quantité, moins de 1 % est vert, c’est-à-dire fabriqué à l’aide d’énergies renouvelables. Le reste utilise des combustibles fossiles, au point où la seule production d’hydrogène dégage, chaque année, 500 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit 1 % des émissions de gaz à effet de serre annuelles.

Le Québec, avec son potentiel de production d’électricité hydraulique, mais aussi solaire et éolienne, a tout pour planter son drapeau dans le marché de l’hydrogène vert appelé à émerger, selon Yvan Cliche, spécialiste en énergie au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).

« Nous sommes à la veille d’une révolution industrielle, affirme l’expert. Le Québec se trouve à un moment charnière, historique. » La concurrence mondiale s’annonce déjà féroce : les États-Unis, au moyen du colossal Inflation Reduction Act, proposent des incitatifs fiscaux très puissants pour développer leur hydrogène vert.

Près d’une quarantaine d’États dans le monde ont aussi mis en place leur propre stratégie en ce qui concerne l’hydrogène, dont le Canada et le Québec, mais aussi des pays pétroliers à la vertu écologiste plus douteuse, comme l’Arabie saoudite ou le Qatar, qui voient dans l’hydrogène bleu — produit avec du gaz fossiledont les émissions sont captées sur le site de production, au moyen de procédés coûteux — une planche de salut pour leurs ressources dans un monde en pleine transition. À noter que le Canada pousse également l’hydrogène bleu afin de soutenir l’industrie du gaz fossile dans l’Ouest.

Une ambition semée d’embûches

Un des principaux obstacles dressés devant l’émergence de l’hydrogène vert, c’est le prix de celui-ci. Le train de Charlevoix en consomme 50 kilos par jour, fournis par la québécoise Harnois Énergies à partir de Québec. Chaque kilo de cet hydrogène vert coûte 17,50 $, un prix sans commune mesure avec le coût de l’hydrogène dit « gris », fabriqué avec du gaz fossile (dont les émissions ne sont pas captées). En effet, sa valeur, en devises américaines, oscille entre 1 et 3 $, selon le Bloomberg NEF, un centre d’études sur les technologies de demain.

La situation pourrait toutefois changer, et plus rapidement qu’on ne le pense, selon Bruno Pollet, codirecteur de l’Institut de recherche sur l’hydrogène (ITH) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). « Nous sommes au pied d’une courbe qui s’annonce exponentielle, croit la sommité mondiale. D’ici les 10 prochaines années, je pense que nous aurons de l’hydrogène renouvelable vraiment plus intéressant que d’autres hydrogènes, et à coût, surtout, vraiment plus compétitif. »

La technologie, croit encore le professeur Pollet, permettra aussi de rendre les électrolyseurs, l’appareil nécessaire pour décomposer l’hydrogène, beaucoup moins énergivores et dispendieux. « En ce moment, ça prend 55 kW/h d’électricité pour produire un kilo d’hydrogène. Avant 2030, estime-t-il, nous serons à 35 kW/h — une diminution de près de 40 %. »

Même moins gourmande en énergie, la production d’hydrogène vert nécessitera une augmentation très importante de la production d’électricité ou de gaz renouvelable pour répondre à la demande, avertit Bruno Pollet.

« Il faudra enseigner aux gens le gain que ça représente pour la planète. Si nous construisons des barrages ou des éoliennes pour produire plus d’électricité, au bout du compte ça va nous donner la capacité d’avoir de l’hydrogène vert qui permettra de fabriquer de l’acier zéro carbone, de déplacer des trains sans diesel ou d’apporter de l’électricité jusque dans des régions reculées. C’est ça, le end game : c’est pour nos enfants qu’il faut faire tout ça. »

Pétrole L’OPEP+ a le marché bien en main

La baisse annoncée de la production d’environ 1,5 million de barils par jour pourrait avoir une incidence sur les prix à la pompe, à la veille de la saison estivale

La Presse, 21 avril 2023

YVAN CLICHE
FELLOW, CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHES INTERNATIONALES DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL ET INSTITUT CANADIEN DES AFFAIRES MONDIALES

L’OPEP+, qui regroupe les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en plus de la Russie et de quelques autres États, a pris tout le monde par surprise en annonçant début avril une baisse subite de sa production d’environ 1,5 million de barils/jour à partir du mois de mai.

Il est encore trop tôt pour jauger l’effet de cette décision sur les prix à la pompe. Mais, à la veille de la saison estivale, cette annonce devrait théoriquement y ajouter une pression additionnelle.

Rappelons que cette diminution de la production suit celle de 2 millions de barils/jour annoncée en octobre dernier. En quelques mois, c’est donc plus de 3 % de la production mondiale de pétrole qui a été retranchée au total, dans un marché pourtant déjà considéré comme serré.

La réaction de Washington fut négative. Le gouvernement du premier pays producteur mondial d’or noir a fustigé ces décisions qui risquent d’entraîner une hausse des prix de l’énergie et, ce faisant, exercer une pression à la hausse sur l’inflation alors même qu’on tente de la juguler. Cette dernière décision de l’OPEP+ a surpris le milieu énergétique, mais se comprend pourtant aisément. Cette organisation est composée de pays dont le budget national est fortement dépendant des prix du pétrole.

La part de l’or noir dans les exportations de l’Arabie saoudite a grimpé à presque 80 % en 2022 tandis que les ventes d’hydrocarbures fournissent à la Russie environ 45 % de ses recettes. Moscou a bien besoin de ces revenus supplémentaires si elle veut soutenir son effort de guerre en Ukraine…

L’année 2022 a été faste pour ces pays de l’OPEP+, qui ont la mainmise sur la moitié de la production mondiale. Les prix du pétrole ont avoisiné les 100 $ le baril, ce qui leur a procuré des revenus d’exception. Ils aimeraient bien que la situation perdure. Or, ces derniers temps, les prix ont chuté autour des 70 $ le baril. La réduction annoncée de l’offre de 1,5 million barils/jour vise donc clairement à faire remonter ces prix entre 80 $ et 90 $, voire au-delà.

Éviter la débandade

Ces pays producteurs souhaitent également éviter les écueils de l’histoire récente. En 2008-2009, dans la foulée de la crise financière, les prix du pétrole ont dégringolé de façon remarquable, passant en quelques semaines de 135 $ à 40 $ le baril. Avec les difficultés que les banques ont récemment connues en Europe et aux États-Unis, et avec des indicateurs économiques au rouge, dont les difficultés dans le secteur immobilier, il est clair que les pays producteurs veulent éviter une débandade d’égale envergure grâce à des mesures préventives.

Enfin, les pays de l’OPEP+ subissent moins de compétition directe de la part des producteurs américains. Ces derniers ont toujours été très réactifs au marché, avec des hausses rapides de leur production pour tirer profit de contextes d’augmentation des prix du pétrole. Or, en dépit des prix élevés en 2022, les Américains n’ont pas significativement accru leur production. C’est que leurs actionnaires, à la suite des années difficiles de la COVID-19, ont demandé à être rémunérés par des dividendes plutôt que d’utiliser les revenus supplémentaires pour investir dans la production. Au grand dam du président américain, Joe Biden, qui a dû puiser dans les stocks de la Réserve stratégique de pétrole afin d’en injecter des quantités records sur le marché (plus de 200 millions de barils en 2022) dans le but d’atténuer la flambée des prix à la pompe.

D’ici les prochaines semaines, les cours du baril de pétrole et de l’essence dépendront essentiellement de la santé de l’économie mondiale et de la vigueur de la consommation énergétique en Chine.

Cette dernière a connu un fléchissement historique en 2022 à la faveur de sa politique de confinement. Une reprise rapide de sa consommation de pétrole fera assurément monter les cours du baril. La réaction des consommateurs et des automobilistes devant une montée des prix à la pompe jouera aussi un rôle. Qui sait si, devant une économie aux contours incertains, ceux-ci décideront de changer leurs plans de vacances en optant par exemple pour des déplacements moins éloignés ? On y verra plus clair sous peu, avec le retour des beaux jours.

Gaz pour l’hiver, l’Europe devrait s’en tirer

Yvan Cliche

Yvan Cliche
Fellow du CERIUM (Montréal) et de l’Institut canadien des affaires mondiales (Calgary)

Le Devoir, 3 mars 2023

Il semble bien que Vladimir Poutine ait perdu son pari. L’Europe et ses citoyens, qu’il espérait voir grelotter dans leurs appartements mal chauffés, n’envahiront pas les rues pour réclamer que les gouvernements renouent des liens énergétiques avec Moscou.

Pourtant, quelques mois après le début de l’invasion russe en Ukraine, en février 2022, les analystes étaient plutôt pessimistes quant à la capacité de l’Europe de se priver du gaz de la Russie, dont elle dépendait pour 40 % de ses approvisionnements annuels.

Si les Européens ont pu passer une partie de l’hiver sans trop d’inconfort, ils doivent en remercier dame Nature. D’une part, la température a joué son rôle : l’Europe a eu un hiver très clément. C’est important, car l’Europe utilise trois fois plus de gaz l’hiver que l’été.

En effet, selon l’Organisation météorologique mondiale, plusieurs villes en Europe ont battu cet hiver des records de chaleur datant de plusieurs décennies.

Ainsi, le 31 décembre, il a fait plus de 19 °C à Dresden, en Allemagne, ce qui dépasse de presque deux degrés l’ancien record établi en 1961. Le lendemain, il a fait 18,6 °C à Besançon, en France, un record de chaleur remontant aussi loin qu’à 1918.

D’autre part, l’Europe a reçu l’aide indirecte, mais précieuse, de la COVID-19. Les mesures strictes de confinement implantées par Pékin ont réduit de manière marquée ses besoins en énergie.

Pour la première fois en quatre décennies, la consommation chinoise en gaz a reculé en 2022. La Chine a donc été bien moins présente que d’habitude sur le marché mondial du gaz naturel liquéfié (GNL), permettant ainsi à l’Europe de remplir ses stocks pour l’hiver. Notamment grâce à l’apport des États-Unis, dont les exportations de gaz vers le Vieux Continent ont augmenté de près de 140 % en 2022.

Ce faisant, les Européens ont pu dépasser l’objectif de remplissage fixé à 80 % par l’Union européenne en mai 2022 (en cette fin d’hiver, les réserves sont restées élevées, à 60 %).

Enfin, la hausse substantielle des prix a aussi limité la demande en énergie. Durant la période août-novembre 2022, l’Europe a consommé 20 % de moins de gaz que durant la même période l’an dernier.

Des efforts

Quelques efforts ont bien sûr été faits du côté des autorités publiques : absence d’éclairage dans certaines rues moins fréquentées, élimination de l’eau chaude dans les édifices publics.

Idem du côté des citoyens, qui ont acheté des thermopompes en nombre record, faisant progresser en 2022 les ventes de celles-ci de près de 40 % par rapport à 2021.

Mais ceux-ci ont été en partie mis à l’abri de la hausse vertigineuse des prix de l’énergie : depuis septembre 2021, les gouvernements européens ont dépensé pas moins de 800 milliards d’euros pour contrer les impacts financiers de la crise énergétique auprès des ménages et de l’industrie.

Entre-temps, le continent, notamment l’Allemagne, a mis en place dans des temps records des terminaux pour accueillir dès le prochain hiver le GNL transporté en mer.

Les Européens peuvent-ils être optimistes en prévision de l’hiver 2023-2024 ? Cela dépendra beaucoup de la conjugaison de plusieurs facteurs, dont le maintien ou non de l’approvisionnement de la Russie.

Ce pays ne compte plus que pour 10 % des importations européennes de gaz, mais il continue en effet d’en envoyer en Europe dans les tuyaux passant par l’Ukraine et par la Turquie (Turkstream). Les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2, reliant directement la Russie à l’Allemagne, sont devenus de toute manière inopérants à la suite d’actes de sabotage commis en septembre dernier, et plus aucun gaz ne circule dans le gazoduc Yamal passant par la Pologne.

La Russie poursuivra-t-elle ses envois de gaz en 2023 ? Nul ne sait ce qui se trame dans le cerveau du dirigeant du Kremlin.

Autre facteur à surveiller : la rigueur du prochain hiver. Il faudra à l’Europe beaucoup de chance pour profiter d’un autre temps doux lors de la prochaine saison hivernale.

Tout aussi, sinon plus, déterminant : l’appétit énergétique de la Chine. La fin du confinement dans ce pays devrait relancer à la hausse la consommation d’énergie. La Chine va concurrencer l’Europe pour le GNL provenant des États-Unis, de l’Australie, du Qatar.

Mais de quelle ampleur cet appétit sera-t-il ? Cela dépendra de la santé de l’économie mondiale. Si l’économie tourne bien, les prix seront nécessairement élevés, car le marché du GNL devrait rester assez serré jusqu’en 2025, avant la mise en service de nouveaux terminaux d’exportation, dont celui de Kitimat, en Colombie-Britannique. Une économie en moins bonne posture permettrait d’atténuer l’ampleur du défi énergétique de l’Europe.

Miser sur une conjugaison positive de tous ces facteurs pour le prochain hiver, ce serait comme… jouer à la roulette russe. Chose certaine, en matière d’énergie, l’Europe ne peut céder à la complaisance.

Mines et transition énergétique: Produire nous-mêmes ou sous-traiter à d’autres pays?

Le Soleil, 24 février 2023
YVAN CLICHE
Retraité d’Hydro-Québec, fellow au CERIUM

POINT DE VUE / Alors qu’augmentent les besoins en minéraux nécessaires à la transition énergétique, les médias rapportent de plus en plus souvent des réactions de surprise de résidents québécois face aux activités perturbatrices de compagnies minières.

Ces compagnies ont en effet augmenté le nombre de claims sur le territoire québécois au cours des dernières années. Depuis 2020, le leur nombre aurait doublé, voire quadruplé dans certaines régions du Québec. (1)

Un claim, dit le site Internet du gouvernement du Québec, « confère à son titulaire le droit exclusif de chercher toutes les substances minérales du domaine de l’État. » Il est valide pour une période de deux ans, renouvelable.

Cette situation n’a rien de bien surprenant et ce, pour deux raisons. Premièrement, la transition énergétique dans laquelle se sont lancées nombre de juridictions à travers le nombre, et qui est essentiellement une transition vers l’électricité propre, exige l’usage de beaucoup de minéraux.

Selon la Banque mondiale (2), la production de minéraux pourrait augmenter de près de 500 % d’ici 2050, afin de répondre à la demande croissante de technologies énergétiques dites propres. Un véhicule électrique a besoin de six fois plus de minéraux qu’une voiture à essence, en raison de la batterie. Plus d’électricité veut aussi dire plus de lignes de transport, faites en bonne partie de cuivre.

La deuxième raison est bien connue : le Québec dispose de beaucoup de ces ressources utiles à la transition : cobalt, cuivre, graphite, lithium, nickel. Normal, donc, que les entreprises minières prospectent ce territoire.

Or, l’acceptabilité sociale autour de cette prospection est loin d’être acquise. Les citoyens, pris de court, se défendent tant bien que mal et demandent un moratoire sur ces activités jugées perturbatrices, parfois près de chalets où les Québécois vont chercher la quiétude.

C’est là une réaction bien légitime, mais qui nous confronte tout de même à de grands questionnements et dilemmes.

Nous sommes au fait de l’urgence climatique et de la nécessité de remodeler notre économie avec des technologies sans émission de gaz à effet de serre. Or, les constructeurs de véhicules électriques misent grandement sur la disponibilité accrue des minéraux, dès à présent et pour les prochaines années. Il faut donc agir, dans des délais raisonnables, sachant qu’entre la découverte d’un gisement minier et son exploitation, le délai minimum est de 10 ans.

Si des contrées nanties comme le Québec refusent sur leur territoire l’exploitation minière requise par la transition, ces minéraux devront être tirés d’autres territoires, qui se trouvent bien souvent dans des pays en développement ou émergents.

Émergent alors deux risques, dont le premier est celui de la concentration de la production et du raffinage dans certains pays producteurs. Cela aurait pour effet d’accroître la dépendance envers une poignée de pays, augmentant par la même occasion la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement. Le marché des minéraux est pour l’heure dominé par la Chine, une puissance avec laquelle les relations sont de plus en plus tendues.

Le second risque réside dans la gouvernance problématique, non-démocratique, de certains pays riches en ressources minières.

La République démocratique du Congo, par exemple, recèle 70% des réserves mondiales connues de cobalt. Or, son exploitation du minerai est pointée du doigt pour non-respect des droits humains et ses problèmes de corruption. (3)

En clair, l’un des principaux dilemmes de la transition énergétique telle qu’elle est envisagée est le suivant : soit les citoyens du Québec et d’autres nations démocratiques acceptent l’exploitation minière sur leur territoire; soit l’on délègue et concentre davantage cette activité dans des pays à la gouvernance parfois problématique, avec les risques que cela encourt.

La transition énergétique ne sera ni simple, ni linéaire. Elle impose des choix difficiles aux gouvernements et aux citoyens.

Yvan Cliche

Fellow, chercheur en énergie, Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM)

Références:

1-Radio-Canada, Le mouvement québécois pour un moratoire sur les claims miniers s’agrandit, 25 janvier 2023

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1950902/claims-mines-mouvement-blocage

2-Banque mondiale, Minerals for Climate Action: The Mineral Intensity of the Clean Energy Transition, 2020 https://www.commdev.org/publications/minerals-for-climate-action-the-mineral-intensity-of-the-clean-energy-transition/

3-La Presse, République démocratique du Congo-Dans l’enfer des mines de cobalt, 4 décembre 2022.

Ligne Cleveland-Waterloo: des projets similaires vont se multiplier

La Voix de l’Est, 23 février 2023

LA VOIX DES LECTEURS / La Voix de L’Est rapportait récemment (16 février 2023) «l’incompréhension, la déception et l’amertume» de plusieurs citoyens et élus relativement à la reconstruction de la ligne aérienne entre les postes de transport d’électricité Cleveland et Waterloo, au fait qu’elle ne sera pas enfouie. C’est une réaction bien compréhensible et légitime. Mais il faudra s’habituer à ces projets de remplacement ou d’ajout de lignes dans notre paysage.

Pour deux raisons: d’une part, les réseaux d’électricité construits sur nos territoires prennent de l’âge. Certains équipements tiennent encore la route, mais d’autres sont au bout de leur vie utile. Ils ont besoin d’être remplacés.

D’autre part, l’urgence climatique en appelle à la nécessité de substituer nos activités soutenues par du pétrole et du gaz par de l’électricité produite grâce à des énergies renouvelables.

Ligne Cleveland-Waterloo: Hydro-Québec rejette l’enfouissement
Ligne Cleveland-Waterloo: Hydro-Québec rejette l’enfouissement

Pour réussir cette décarbonation au Québec, comme cela a été indiqué par Hydro-Québec, il faut accroitre notre production d’électricité de 50% d’ici 2050.

Mais cette production additionnelle (éolienne, hydroélectrique) doit être acheminée des centrales vers les zones de consommation. Bien sûr, via des lignes électriques. Il y en aura donc davantage dans notre environnement. C’est inévitable.

Selon un réputé institut de recherche, pour atteindre leur objectif de décarbonation d’ici 2035, les États-Unis devront doubler, au minimum, leur réseau de transport d’électricité actuel.¹

Relativement à l’enfouissement des lignes de transport, les entreprises d’électricité invoquent des contraintes techniques: les lignes enfouies apportent moins de fiabilité.

Avec notre dépendance accrue envers l’électricité, dont pour le télétravail, cette option n’est clairement pas envisageable (sauf exception, dit Hydro, pour de courts segments, comme en région à forte densité urbaine, tel Montréal).

Et il y a aussi les coûts de l’enfouissement d’une ligne: de trois à 10 fois plus élevés qu’une ligne aérienne, et des durées de vie bien plus courtes.

Tout cela ne veut pas dire qu’il faut se résigner passivement à ces projets de lignes et de postes.

Au contraire.

Les citoyens sont plus informés, exigeants, les entreprises d’électricité le savent. Ils ont élargi la palette de possibilités pour accommoder les citoyens: planter des arbres pour camoufler leur présence, changer la couleur des pylônes, voire acheter les maisons des propriétaires impactés par des projets et qui veulent quitter.

Mais de manière plus générale, avoir de l’électricité propre, fiable, et servant à réduire les gaz à effet de serre — le grand défi de notre temps —, cela dépasse largement le mandat d’Hydro: c’est une responsabilité collective. L’électricité va prendre plus de place dans nos vies, et cela entrainera des contraintes: il faut voir à les gérer, au mieux, en se rappelant ses nombreux bénéfices.

¹ National Renewable Energy Laboratory, Examining Supply-Side Options to Achieve 100% Clean Electricity by 2035, 2022.

Yvan Cliche, retraité d’Hydro-Québec
Waterloo

Un an de guerre-Un grand bouleversement dans le monde de l’énergie

La Presse, 18 février 2023

L’année 2022 aura marqué l’histoire sur le plan énergétique. En envahissant l’Ukraine, et en voulant se servir de la dépendance de l’Europe envers son gaz pour la subjuguer, Vladimir Poutine a déclenché une crise énergétique mondiale sans précédent.

La crise de 2022 rappelle les deux crises pétrolières des années 1970, qui eurent lieu à la suite d’évènements au Moyen-Orient : embargo des pays arabes en 1973 et Révolution iranienne en 1979. Ces deux évènements ont fait monter en flèche les prix du pétrole, entraînant avec eux une crise économique de grande ampleur au début des années 1980. Les crises des années 1970 n’ont pas été sans conséquence, tant s’en faut. Elles ont convaincu les États-Unis de déployer des troupes au Moyen-Orient afin de protéger les sites pétroliers (elles y sont toujours), lancé résolument la France dans le nucléaire et, au Québec, accéléré l’électrification du chauffage.

La crise de 2022 ne sera pas non plus sans conséquence. En faisant exploser les prix du pétrole, mais aussi du gaz, les coffres de la Russie, grand producteur d’énergies fossiles, ont pu être remplis.

En réaction, les pays occidentaux ont imposé un embargo sur son pétrole et exigé des transporteurs et assureurs situés dans leurs pays d’imposer un prix plafond (60 $ le baril) sur le pétrole transporté par la Russie, signant là une première. Aux États-Unis, l’imposition de sanctions contre la Russie et son pétrole a aussi eu certaines conséquences jamais vues jusqu’ici.

Washington a notamment eu recours de façon massive aux barils de sa Réserve stratégique de pétrole afin d’apaiser les prix à la pompe. Près de 200 millions de ces barils ont été injectés dans le marché, ce qui constitue, de très loin, le recours le plus important à cette réserve mise en place en 1975.

Côté gaz, les deux principaux gazoducs reliant la Russie et l’Allemagne, Nord Stream 1 et 2, ont été rendus inopérants, en raison d’actions de sabotage. Nord Stream 2, tout juste achevé au début de 2022, et qui aurait rendu les Allemands encore plus dépendants de la Russie, n’a de toute manière jamais été mis en service, une perte sèche de 11 milliards de dollars pour Moscou.

Devant ce manque à gagner de gaz russe, et en raison de leur volonté de s’affranchir de leur principal pourvoyeur d’énergie, les Européens ont dû réagir rapidement, notamment en prévision du présent hiver.

La Norvège est notamment venue à leur secours grâce aux gazoducs qui la relient au Vieux Continent. Mais les Européens ont surtout pu compter sur du gaz liquéfié et livré par transport maritime.

Les États-Unis ont été les grands gagnants de ce virage en exportant en masse leur gaz vers l’Europe. Le pays est devenu rien de moins que le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié, devant l’Australie et le Qatar.

L’industrie américaine n’exportait pourtant aucun gaz en 2015. Cette nouvelle position de leadership est un revirement inattendu.

La crise a par ailleurs renforcé la volonté des États de réduire leur vulnérabilité en matière d’énergie. Résolue et déterminée à réduire sa trop forte dépendance, l’Europe a adopté un plan fort ambitieux visant à accélérer sa transition énergétique (REPower EU). Projets solaires, éoliens, électrolyseurs pour produire de l’hydrogène, thermopompes, batteries, économies d’énergie, tout est sur la table pour renforcer la sécurité énergétique du continent.

Washington a aussi adopté son Inflation Reduction Act, sa plus importante loi proclimat, comportant de généreuses incitations fiscales afin d’accélérer la transition vers des énergies à faibles émissions. Cette loi devrait remodeler le paysage énergétique aux États-Unis de manière substantielle au cours de la prochaine décennie.

DES EFFETS RÉELS AU QUÉBEC

La crise énergétique de 2022 aura eu des effets très concrets au Québec.

Hors de son territoire, aux États-Unis, Hydro-Québec a pu profiter grassement de la hausse fulgurante des prix du gaz, son principal concurrent. Son prix a en effet explosé, vers les plus hauts sommets en 15 ans, en raison de la forte demande mondiale. Hydro-Québec a ainsi pu vendre son électricité sur ses marchés d’exportation à un prix nettement supérieur : 7,6 cents/kilowattheure en 2022, contre 4,4 cents/kilowattheure en 2021, une augmentation de plus de 70 %. Ces ventes à prix plus élevé ont entraîné pour Hydro-Québec des bénéfices en progression très significative par rapport à l’an dernier. Son dernier profit trimestriel, par exemple, affichait une hausse de 90 % par rapport à la même période l’an dernier.

L’an 2022 est une année charnière et devrait accélérer la transition énergétique. À preuve : selon une analyse de BloombergNEF⁠1, on a investi l’an dernier autant d’argent dans les technologies associées à la transition que dans les énergies fossiles. C’est une première, annonciatrice d’une nouvelle ère dans le monde de l’énergie.

1. Consultez l’analyse de BloombergNEF (en anglais)

 

La donne change au Québec en matière de transition énergétique

Le Devoir, 18 février 2023

Il est beaucoup question de décarbonation de l’économie québécoise, notamment à la faveur des débats entre le gouvernement du Québec et Sophie Brochu, p.-d.g. d’Hydro-Québec, qui quittera son poste en avril. Le gouvernement doit, en effet, tenter une réponse aux industriels avides de notre électricité propre, fiable et bon marché dans ce contexte de transition énergétique. Des milliers de mégawatts supplémentaires sont espérés.

Toutefois, ces débats et questionnements sur la donne énergétique québécoise ne doivent pas nous faire oublier celle qui prévaut aux États-Unis. Pourquoi ? Parce qu’elle évolue rapidement et fortement, surtout en raison de l’adoption par le Congrès américain, en août dernier, de l’Inflation Reduction Act (IRA). Cette loi phare, mal nommée, n’est rien de moins que la législation la plus ambitieuse jamais adoptée aux États-Unis en matière de climat et d’énergie.

Les médias d’ici ont certes couvert cette nouvelle loi et ses conséquences, mais peu. Avec ses quelque 370 milliards $US qui seront versés en crédits divers dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, l’IRA aura pourtant des effets majeurs en matière d’énergie et autres.

Elle stimulera considérablement les investissements annuels dans le déploiement des énergies renouvelables aux États-Unis. Ceux-ci devraient passer de 64 milliards de dollars en 2022 à près de 114 milliards d’ici 2031, selon Wood Mackenzie. C’est colossal.

Les Américains ont la réputation de bouger très vite en matière d’énergie, surtout depuis la crise pétrolière des années 1970. Ce secteur est en effet considéré comme intimement lié à la sécurité nationale.

Un exemple récent de cette vélocité : la révolution des hydrocarbures de schiste, rendue possible par une approche novatrice dans l’extraction : le forage horizontal combiné à la fracturation hydraulique. L’ambiance était pourtant morose au début des années 2000 dans les milieux énergétiques aux États-Unis. Le pays entrevoyait des pénuries de pétrole et de gaz, qu’il devait donc se procurer en grande quantité à l’étranger. Mais grâce à une pluie de milliards venue d’investisseurs privés et destinée à extraire de vastes quantités d’énergies fossiles jusque-là inaccessibles, la « révolution » se mit en branle. Les États-Unis sont ainsi devenus le plus grand producteur de pétrole et de gaz au monde en un temps record.

La même chose s’est produite avec le gaz naturel liquéfié. Il y a seulement sept ans, les États-Unis n’exportaient aucun gaz naturel. Et en 2022, avec la guerre en Ukraine, les exportations du pays vers l’Europe décollèrent, au point qu’il est devenu le plus grand exportateur de gaz liquéfié au monde.

Avec l’IRA, de généreux crédits disponibles jusqu’en 2032 sont notamment attribués à la production locale d’énergies sans carbone. L’objectif déclaré est de réduire la dépendance des États-Unis à la Chine dans la production de panneaux solaires, d’éoliennes et de batteries, de même que dans l’approvisionnement des minéraux nécessaires à la mise en marché de ces équipements.

Ces montants sont tellement importants que le Canada et l’Europe s’inquiètent, et à raison. Les faveurs accordées à l’industrie américaine risquent de pousser leurs entreprises à déployer aux États-Unis leurs investissements prévus en matière d’énergies renouvelables.

Subitement depuis l’adoption de l’IRA, ces alliés historiques des États-Unis accusent un imposant retard en matière d’incitatifs à la transition. L’Europe y a d’ailleurs répondu ce mois-ci avec un Plan industriel du pacte vert, axé sur un déploiement plus rapide des projets d’énergies propres et un accès aux financements par le truchement d’allègements fiscaux.

Le gouvernement canadien a certes riposté lui aussi dans son énoncé économique de l’automne 2022 avec des crédits d’impôt à l’investissement pour les technologies propres et l’hydrogène produits sans émission. Mais plusieurs le talonnent afin qu’il se commette davantage lors de son prochain énoncé du printemps 2023, avec, par exemple, un engagement de consacrer 2 % du PIB aux investissements liés à la décarbonation.

Le prochain budget fédéral sera fort probablement un moment charnière dans les ambitions canadiennes en la matière.

Entrevues TV-radio-balado 2023

-Radio-Canada, Toronto, C’est jamais pareil, 19 janvier 2023
https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/cest-jamais-pareil/segments/chronique/429488/petrole-april-energie-demande-offre-agence-internationale

-ARC Energy podcast-A conversation on energy and Quebec (6 janvier 2023, diffusé 17 janvier)

A Conversation on Energy and Quebec

-QUB radio-L’énergie, doit-on l’exporter, 25 janvier
https://www.qub.ca/recherche/yvan%20cliche%20/episodes-balados

-Radio-Canada, 24.60 : Hausse de la demande d’électricité : le Québec à l’heure des choix, 31 janvier
https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8724949/24-60-hausse-demande-electricite-quebec-a-heure-choix?fromApp=appInfoIos&fromMobileApp=ios

-LCN, Contextes, Épisode du 2 mars 2023, sanctions énergétiques contre la Russie et flux pétroliers
https://www.qub.ca/tvaplus/video/cont-02mar-1094816613

-RDI Zone Économie, Hausse des prix de l’essence, 4 avril 2023
https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8753849/zone-economie-hausse-prix-essence

-Foire des technologies vertes, Stade olympique, 21 avril 2023
Les énergies renouvelables : à l’aube d’une nouvelle révolution industrielle
https://foireecosphere.org/programmation-festival-des-technologies-vertes-2023/

-QUB radio, Richard Martineau, Hydro, il va falloir être un petit peu rationnel dans notre usage, dit un spécialiste sur les questions d’énergie, 12 mai 2023
https://www.qub.ca/radio/balado/richard-martineau?silent_auth=true

-RDI Zone économie, Vers un déclin du pétrole ?, 18 septembre 2023
https://ici.radio-canada.ca/rdi/zone-economie/site/episodes/809398/zoneeconomie-petrole-essence-baril-industrie

-RDI Zone économie, Quelle issue à la guerre, 22 septembre 2023
https://ici.radio-canada.ca/rdi/zone-economie/site/episodes/810159/ukraine-economie-guerre

Démission de Sophie Brochu. Un sentiment d’inachevé

La Presse, 12 janvier 2023

Sophie Brochu a été nommée par le gouvernement du Québec le 1er avril 2020 pour un mandat de cinq ans, passant ainsi à l’histoire en tant que première femme présidente-directrice générale de la société d’État (exception faite du passage intérimaire de Lise Croteau en 2015).

YVAN CLICHEFELLOW, CHERCHEUR EN ÉNERGIE, CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHES INTERNATIONALES DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL (CERIUM)*

Sa démission, qui prendra effet en avril, surprend. Elle n’aura été à son poste que pour une période de trois ans. C’est un passage de courte durée à la tête de la plus importante société d’État du Québec si on le compare à celui de ses prédécesseurs tels Guy Coulombe (six ans), André Caillé (neuf ans) et Thierry Vandal (dix ans).

Il s’agit d’un poste prestigieux, à grande visibilité, qui place le ou la titulaire de cette redoutable fonction au cœur de multiples enjeux d’envergure, à la fois économiques, environnementaux et sociaux, et ce, sur tout le territoire de la province.

Sous le signe de la rupture

Dans sa communication aux employés à la suite de cette annonce, la PDG s’est décrite comme une « architecte », celle qui définit les contours du chantier que d’autres mettront en œuvre. Sophie Brochu aura en effet inscrit le parcours d’Hydro-Québec non pas dans la continuité, mais dans la rupture, forcée par l’obligation de la transition énergétique, l’un des plus grands défis de notre époque.

Le plan stratégique 2022-2026, adopté sous sa gouverne, parie sur une augmentation de 50 % de la production d’énergie au cours des 30 prochaines années afin de permettre au Québec de décarboner son économie.

L’électricité que nous consommerons sera plus chère. Elle devra donc être utilisée de manière plus parcimonieuse, surtout si l’on considère l’intérêt que suscite notre énergie propre auprès de plusieurs investisseurs partout dans le monde.

Outre ce plan stratégique, la PDG sortante a quelques bons coups à son actif, dont la gestion d’une grosse firme en pleine pandémie et une approche plus ouverte avec les communautés autochtones.

Pour les marchés hors Québec, deux succès de grande ampleur : le contrat d’exportation vers l’État de New York, le plus important de l’histoire d’Hydro-Québec, et l’acquisition de 13 centrales hydroélectriques en Nouvelle-Angleterre, un investissement qui positionne avantageusement l’entreprise en tant qu’acteur local d’importance dans les efforts de décarbonation de cette région des États-Unis. Sophie Brochu jouissait également d’une grande crédibilité auprès de ses employés, dont les plus jeunes, qui appréciaient son approche directe : à l’interne, le vouvoiement d’usage envers la personne dirigeante avait disparu ; tous l’interpellaient par son prénom.

Elle a aussi procédé à une vaste réorganisation, mettant un terme au règne des divisions (production, transport, distribution) en place depuis une longue période. Une nouvelle structure, très différente de celles du passé, vient tout juste d’être mise en place.

L’annonce de sa démission jette assurément une certaine consternation chez les employés. Les désaccords publics qu’elle a eus l’automne dernier avec le nouveau ministre responsable de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, au sujet de l’usage de notre électricité, leur avaient fait craindre une démission subite. Mais ces frictions semblaient choses du passé, à la faveur de la mise en place d’un comité sur l’économie et la transition énergétique présidé par le premier ministre et dans lequel la PDG avait sa place.

Le départ de Sophie Brochu marquera-t-il un changement de cap pour la société d’État ? La principale intéressée a signifié aux employés que ce ne sera guère le cas. Son plan stratégique serait « l’étoile du Nord » que son successeur et les employés doivent dorénavant réaliser. Or, on le sait, le véritable défi d’un plan aussi ambitieux réside dans son exécution, avec toutes les complexités que cela comporte.

Le passage de Sophie Brochu à la tête d’Hydro aura été marquant. Nul doute. Mais, il faut le dire, sa démission inattendue laisse l’impression d’une œuvre inachevée. Peut-être que le temps permettra de jeter un regard différent sur l’héritage de la première femme à avoir dirigé ce fleuron québécois.

* Ex-employé d’Hydro-Québec, de 1988 à 2018