Blogue du CORIM, 10 juin 2024
Yvan Cliche
On l’a souvent entendu, l’Inflation Reduction Act (IRA) est la plus importante mesure législative jamais prise en faveur du climat par le gouvernement américain. Les incitatifs fiscaux prévus dans cette loi historique, adoptée en 2022, ont contribué à générer aux États-Unis plus de 330 milliards de dollars de nouveaux investissements dans les énergies propres et les véhicules électriques.
On considère généralement aux États-Unis que l’IRA est, pour le moment, à la hauteur des attentes, notamment en ce qui concerne l’électrification des transports, avec à la clé la création de 100 000 emplois manufacturiers.
Guerre de subventions
L’IRA est généreux en matière d’appuis fiscaux et ambitieux dans la volonté de transformer l’économie américaine, notamment en favorisant les travailleurs syndiqués et des investissements dans les communautés défavorisées. L’IRA a également ouvert une course industrielle liée à la transition énergétique, voire une guerre de subventions.
Guerre de subventions des États-Unis avec des pays alliés d’abord : l’Europe (avec son Plan industriel du pacte vert), mais aussi le Canada (avec son budget d’avril 2023) se sont vu forcer d’offrir des aides similaires pour protéger leur industrie nationale, qui serait trop tentée sinon de poursuivre leur expansion aux États-Unis.
Guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine ensuite. Sous le mandat de Donald Trump, Washington a imposé des tarifs sur plusieurs importations chinoises. Or, l’administration Biden les a conservés, voire les a étendus en mai 2024, entre autres aux véhicules électriques. Si bien que Beijing a déposé, en mars, auprès de l’Organisation mondiale du commerce, une plainte officielle contre les États-Unis, accusant Washington de subventions discriminatoires en matière de production et d’achat de véhicules électriques.
La Chine est clairement visée dans des sections de l’IRA ayant trait aux entités étrangères (foreign entity of concern) : des clauses spécifiques visent en effet à bloquer son accès au marché américain pour la vente de véhicules sans émission de gaz à effet de serre.
Ces restrictions, à l’encontre de ce joueur clé de l’industrie des technologies propres, sont bien sûr avantageuses pour les entreprises de pays alliés des États-Unis, dont les entreprises canadiennes.
Le Québec face à l’IRA
Comment se positionne le Québec depuis l’adoption de l’IRA ? Un rapport de l’Institut du Québec et de l’Alliance pour une économie verte au Québec, paru en 2023, avait apporté une première série de réflexions sur les impacts de cette loi phare. À la suite d’entretiens avec des fonctionnaires, nous avons pu identifier les mesures plus spécifiques de l’IRA et leur effet potentiel sur l’économie québécoise.
Globalement, on estime que le Québec est grandement avantagé par certaines mesures, mais qu’il doit rester fort vigilant sur d’autres, car elles donnent aux entreprises américaines un avantage significatif dans des secteurs industriels liés à la transition énergétique.
Parmi les mesures favorables au Québec : l’approche prise par l’IRA en matière de minéraux critiques et stratégiques.
En offrant un rabais fiscal important aux consommateurs américains à l’achat d’un véhicule propre neuf respectant certains critères spécifiques en matière de provenance des minéraux, soit de pays avec lesquels les États-Unis ont un accord de libre-échange et, en matière de recyclage, de pays nord-américains, Washington a ouvert un marché extrêmement prometteur au Canada, et notamment au Québec qui a déjà élaboré un plan de valorisation sur l’horizon 2025.
L’alliance à long terme conclue en mars 2023 entre Ford et Nemaska Lithium (dont Investissement Québec est actionnaire) répond directement à ces dispositions de l’IRA : Ford s’assure ainsi auprès d’un producteur de lithium d’un approvisionnement fiable et à long terme pour ses batteries de véhicules électriques.
Globalement, on estime que le Québec est grandement avantagé par certaines mesures, mais qu’il doit rester fort vigilant sur d’autres, car elles donnent aux entreprises américaines un avantage significatif dans des secteurs industriels liés à la transition énergétique.
Un fort lobbying canadien
Ces dispositions, au demeurant, n’étaient pas présentes lors des premières moutures de l’IRA. Elles ont été incluses à la suite d’intenses efforts de représentation économique et diplomatique entrepris par Ottawa, Québec et d’autres capitales de provinces canadiennes auprès de diverses instances du gouvernement américain. « C’est incroyable comment les Américains peuvent oublier rapidement l’importance du Canada », nous a indiqué un fonctionnaire québécois. (Des efforts qui devront être repris advenant l’élection de l’équipe républicaine de Donald Trump, car celui-ci est ouvertement opposé à l’IRA et entend annuler la loi durant les premiers jours d’un éventuel deuxième mandat.)
À Québec, on perçoit depuis l’adoption de l’IRA beaucoup de mouvements, d’échanges, de discussions entre des entreprises américaines et québécoises en matière d’extraction et de transformation des minéraux. Des investissements significatifs sont en vue à court et moyen terme.
Mieux, on apprenait récemment que le ministère de la Défense des États-Unis avait octroyé des contrats d’études de faisabilité à deux firmes canadiennes pour des gisements miniers, dont une entreprise au Québec, Lomiko Metals (graphite).
Il y a donc une importance stratégique accordée par Washington à la volonté de se délier de la Chine. Dans ce contexte, le Québec a bonne confiance qu’en s’inscrivant plus étroitement dans les chaînes de valeur nord-américaines des minéraux et des composantes de batteries pour véhicules électriques, l’Amérique du Nord pourra, à terme, reprendre en partie le terrain perdu en la matière au profit des Chinois, devenus maîtres en extraction et en raffinage des minéraux.
On indique aussi un autre avantage, soit le cadre réglementaire minier du Québec, plus favorable que celui des États-Unis. Dans ce pays, du fait des réglementations tatillonnes, une mine prend souvent largement plus d’une décennie à entrer en exploitation, de la découverte à l’extraction du premier minerai.
Une industrie américaine vigoureuse à prévoir dans 10 ans
Les crédits alléchants de l’IRA prennent fin en 2033, avec des crédits offerts au volet production d’énergie propre ou au volet investissement. D’ici 10 ans, avec la forte augmentation de la demande en électricité due à la transition, il est fort à parier que des entreprises américaines d’importance auront émergé, sinon consolidé une avance technologique décisive dans la chaîne d’approvisionnement liée à la production éolienne, solaire, d’hydrogène, en géothermie, voire aux technologies de captage et de stockage du carbone.
Ces crédits ne sont pas offerts aux entreprises n’ayant pas de présence en sol américain. Donc le Québec en est exclu.
Certes, des crédits intéressants sont offerts par Ottawa, mais la taille du marché américain avantage les entités présentes aux États-Unis.
Dans un tel contexte, il est permis de penser que les entreprises québécoises sans présence en territoire américain devront, à moyen terme, affronter une concurrence redoutable. Avec l’IRA, il est en effet devenu plus difficile pour le Québec d’attirer de gros joueurs de la chaîne d’approvisionnement en énergie propre, voire de les inciter à augmenter leur production en territoire québécois plutôt qu’au sud de la frontière.
Pour le moment, cet effet induit de l’IRA n’est pas jugé « dévastateur » pour l’économie québécoise. Le Québec est conscient qu’il ne peut offrir à tous les acteurs présents sur son territoire des avantages fiscaux aussi généraux comme ceux de l’IRA. Le Québec doit donc miser sur d’autres facteurs stratégiques pour conserver ses avantages comparatifs : cadre réglementaire attractif, accès à une énergie propre et relativement abordable, qualité de la main-d’œuvre, accompagnement des entreprises.
Une vigie serrée et stratégique est exercée par Québec pour lui permettre de bien jauger les impacts à moyen terme de l’IRA et ainsi déterminer, avec tact et précision, comment il doit agir pour aider nos entreprises à maintenir leur compétitivité dans ce contexte nouveau.
Un contexte annonciateur d’une économie de plus en plus axée sur un système énergétique qui cherche à se décarboner, où une position dominante dans les technologies propres et les mines sera un attribut de choix de la puissance économique et de l’influence politique des nations.
Mesures potentiellement positives de l’IRA pour le Québec
New Clean Vehicle Tax Credit
L’IRA offre un crédit d’impôt pouvant atteindre 7 500 USD aux acheteurs d’un « nouveau véhicule propre » au moment de l’achat. Ce crédit est divisé en deux parties :
- 3 750 dollars USD pour un véhicule propre qui répond à certaines exigences en matière de minéraux critiques
- 3 750 dollars USD pour un véhicule propre qui répond à certaines exigences en matière de composantes de batterie
Exigences relatives aux minéraux critiques
En vertu des exigences relatives aux minéraux critiques, un pourcentage minimum de la valeur de ces minéraux critiques dans la batterie doit être soit:
- extrait ou transformé aux États-Unis ou dans un pays avec lequel les États-Unis ont conclu un accord de libre-échange
- recyclés en Amérique du Nord
Le pourcentage applicable pour 2024 est de 50 %. Après 2024, ce pourcentage augmente de 10 % par an jusqu’à 80 % après 2026.
Exigences relatives aux batteries
En vertu des exigences relatives aux composantes de batteries, un pourcentage minimum des composantes de la batterie doit être :
- fabriqué ou assemblé en Amérique du Nord
Le pourcentage applicable pour 2024 est de 60 %. Après 2025, ce pourcentage augmente de 10 % par an jusqu’à 100 % en 2029.
Clean Heavy-Duty Vehicles Program
Investissement d’un milliard USD dans le remplacement des véhicules lourds par des véhicules à émissions nulles, ouvert en avril 2024. Sont admissibles les États, les municipalités, les associations de transport scolaire à but non lucratif. Ce plan est ouvert à toute entité en mesure de vendre ce produit en sol américain, y compris donc aux entreprises québécoises.
Mesures de l’IRA potentiellement moins favorables au Québec
Advanced Manufacturing Tax Credit
Il s’agit d’un crédit de 25 % pour un investissement dans le secteur manufacturier, principalement dans les secteurs jugés critiques comme les semi-conducteurs et l’énergie propre. Ce crédit est réservé uniquement aux entités américaines.
Advanced Energy Project Credit
Les fabricants et autres entités qui investissent dans des projets d’énergie de pointe admissibles peuvent demander un crédit d’impôt auprès du Department of Energy. Un total de 10 milliards de dollars a été alloué aux crédits dans le cadre de l’Inflation Reduction Act. Le crédit d’impôt est égal à 30 % des coûts d’investissement admissibles pour les projets qui satisfont aux exigences en matière de salaires et de formation de la main-d’œuvre. Ce crédit est réservé uniquement aux entités américaines.
Article rédigé par:
Yvan Cliche
Fellow et chercheur en énergie au CÉRIUM
Les opinions et les points de vue émis n’engagent que leurs auteurs et leurs autrices.