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Subventions à l’industrie pétrolière Le Canada (un peu) moins fou

La Presse, 25 juillet 2023

PHILIPPE MERCURELA PRESSE

Subventionner l’industrie pétrolière et gazière est « la définition même de la folie », a déjà dit l’émissaire américain pour le climat John Kerry.

À ce chapitre, le Canada est le fou en chef du G20. Les chiffres varient selon les sources, mais le pays soutient son industrie des combustibles fossiles à coups de milliards chaque année (15 milliards de dollars canadiens annuellement, selon l’organisme Oil Change International).1

Le fédéral encourage ainsi, à même nos taxes et impôts, le plus important problème de notre époque. Et il fait preuve d’une incroyable contradiction. D’une main, Ottawa taxe (avec raison !) la pollution. De l’autre, il la subventionne. Ne cherchez pas la logique, il n’y en a pas.

La bonne nouvelle, c’est que le Canada est (un peu) moins fou depuis lundi. Le gouvernement fédéral vient en effet d’abolir les subventions directes à l’industrie jugées « inefficaces ».

Non, la mesure n’est pas parfaite. Et oui, elle reste assez limitée. Avant de répondre aux journalistes qui réclamaient avec insistance des chiffres sur les dollars qui seront économisés par Ottawa, les fonctionnaires fédéraux ont longuement tergiversé. Aucune subvention déjà accordée ne sera retirée, ont-ils répondu, et il s’agit de prévenir les dérives futures.

Mais à combien s’élèvent aujourd’hui les subventions jugées « inefficaces » selon le nouveau cadre ? Une source au cabinet du ministre de l’Environnement Steven Guilbeault a fini par avancer le chiffre de 1 milliard par année. Considérant l’ampleur des subventions versées par Ottawa, c’est peu.

On aimerait d’ailleurs voir le fédéral faire preuve de davantage de transparence sur l’ampleur de son soutien à l’industrie pétrolière et gazière et sur les impacts chiffrés des mesures qu’il annonce.

Il existe aussi un malaise à voir l’industrie pétrolière pouvoir continuer à toucher certaines subventions dites « efficaces ». Celles qui sont offertes à tous les secteurs industriels, par exemple, pourront continuer d’être utilisées par les producteurs d’or noir.

Les subventions à la capture et au stockage du carbone sont elles aussi jugées « efficaces »… même si ces technologies n’ont jamais démontré leur efficacité à grande échelle. C’est pour le moins paradoxal.

On comprend évidemment l’idée d’embarquer les grandes entreprises pétrolières dans la transition énergétique. L’expert Yvan Cliche a toutefois montré récemment que celles-ci délaissent cette transition, et ce, malgré les profits records engrangés en 20222.

Disons qu’il faut être optimiste pour penser que des subventions fédérales dites « efficaces » parviendront à faire pivoter ce gros navire.

Malgré ces bémols, il existe quelques raisons d’applaudir. La première est qu’en vertu de ses engagements internationaux, le Canada avait jusqu’en 2025 pour abolir les subventions « inefficaces » à l’industrie pétrolière. Or, il a devancé l’annonce de deux ans et devient ainsi le premier pays au monde à le faire. Dans un domaine où on a l’habitude de voir les élus se traîner les pieds, une telle proactivité est réjouissante.

Cela place le Canada dans une excellente position pour exiger de l’action de la part des autres pays. Ça s’appelle du leadership.

Sachant à quel point les questions énergétiques divisent le Canada et opposent les provinces productrices de pétrole aux autres, il faut aussi parler d’un certain courage politique de la part du gouvernement Trudeau.

L’autre raison d’être optimiste est qu’il faut prendre l’annonce de lundi dans l’ensemble du plan d’action d’Ottawa sur les subventions à l’industrie pétrolière.

Avant cela, le fédéral avait déjà aboli ou « rationnalisé » neuf mesures de soutien fiscal destinées à l’industrie pétrolière. L’an dernier, il avait aussi cessé son soutien aux initiatives internationales visant cette industrie.

Le gros morceau est quant à lui attendu l’an prochain. Il s’agit d’aller au-delà des subventions directes et de retirer toutes les aides publiques (comme les prêts ou garanties de prêt) destinées à l’industrie pétrolière. C’est là que le Canada se montre le plus généreux, notamment par l’entremise d’Exportation et développement Canada (EDC).

Il est encourageant de savoir qu’Ottawa travaille à cette troisième étape, même si on aimerait la voir se déployer plus rapidement.

Face à l’urgence climatique qui n’attend pas pour faire sentir ses effets, les réponses politiques n’apparaissent jamais assez rapides ni décisives. Au moins, le Canada a reconnu son problème de soutien à l’industrie pétrolière et travaille à la sevrer de nos deniers publics. Si on veut voir le verre à moitié plein, il s’agit d’une première étape encourageante.

1. Consultez le rapport Past Last Call : G20 Public Finance Institutions are still Bankrolling Fossil Fuels (en anglais)

2. Lisez la lettre d’opinion « Les grandes pétrolières délaissent la transition énergétique »

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Les retraités actifs, un réservoir d’énergie

3 juin 2023

Journal L’Action (APRHQ)

À Hydro-Québec où il a fait carrière pendant presque 25 ans, entre 1997 et 2021, dans les domaines de la tarification, de la planification stratégique, en services à la clientèle d’affaires et en électrification des transports, Nacer Boudjerida avait la réputation d’un homme courtois, posé et réfléchi.

Quelques années après son arrivée au Québec, Nacer avait déjà fréquenté l’université québécoise et décroché un MBA en finances (HEC Montréal) en 1997.

Mais une fois ses enfants devenus adultes, on apprenait de lui qu’il suivait régulièrement des cours universitaires en soirée, après ses heures de travail à Hydro, en anthropologie, en histoire, en philosophie, uniquement pour satisfaire sa curiosité, étancher sa soif de connaissances.

C’est donc sans trop de surprise qu’on découvre que Nacer, à peine une semaine après avoir pris sa retraite, entreprend ce projet de longue haleine qui le définit bien: un doctorat en informatique cognitive à l’UQAM.

« J’avais l’intention de continuer à suivre des cours dans différents domaines, mais une discussion avec un professeur m’a convaincu qu’il valait mieux utiliser mon temps pour m’engager dans un projet structuré, cohérent, avec un début et un aboutissement », dit-il.

Nacer vient ainsi de terminer ses deux années de cours obligatoires de troisième cycle, occupées à fouiner dans la bibliothèque de l’UQAM et autres plateformes de connaissances pour mener à bien les travaux de session d’une dizaine de cours. Souvent en équipe avec des jeunes qui sont deux, trois fois moins âgés… mais dont il apprécie grandement la compagnie au quotidien.

Après son examen de synthèse qu’il passe cet été, ce père d’un fils médecin et d’une fille psychologue, grand-père de deux petits-enfants, présentera devant un jury son projet de recherche. Il sera ensuite mobilisé pendant environ deux ans sur l’étude d’un thème combinant deux des grands enjeux de notre temps: comment combattre le dogmatisme avec l’intelligence artificielle et le raisonnement logique.

Comment Nacer en est-il arrivé à s’intéresser à un sujet aussi pointu?

Pour mieux comprendre la genèse de son idée, il faut se replonger au début des années 1990, en Algérie. Nacer est promis à cette époque à un bel avenir. Ingénieur mécanique, cadre de la compagnie nationale de chemin de fer, il file la douce vie avec sa femme Leïla Chami qui aura comme lui par la suite, une belle carrière à Hydro en tant qu’économiste.

Mais l’hydre du terrorisme islamiste apparaît dans ce pays au début de la décennie 1990, faisant fuir nombre de ses compatriotes. Nacer et Leïla, avec un enfant de 6 ans, ne se sentent plus en sécurité et choisissent le Québec comme terre d’accueil.

Nacer reste marqué par cette époque. Avec des souvenirs qui ne l’ont jamais quitté. Car ce radicalisme de la pensée, il en a vu concrètement les effets.

Subitement, à Alger, beaucoup de cadres du secteur public commencent à être pointés du doigt. Certains, comme lui, voient même une menace sérieuse peser sur leur vie, tout simplement parce qu’ils ne partagent pas la vision extrémiste et la dénoncent.

Quant à se lancer dans un projet intellectuel d’aussi longue haleine, pourquoi ne pas le consacrer à rechercher des moyens efficaces pouvant contribuer à endiguer ce phénomène? Sa thèse portera donc sur la façon de neutraliser la montée de ces conceptions étroites de la vie qui ont fait tant de dégâts à travers l’Histoire.

Plus précisément, il compte étudier comment l’intelligence artificielle et la puissance du raisonnement logique pourraient contribuer à démonter le dogmatisme et ainsi prévenir que des jeunes y succombent et gâchent leur vie.

Comment cela se passe-t-il d’entreprendre des études universitaires qui en général se réalisent lors de la jeunesse, au début de la vingtaine?

Nacer admet que certains cours se sont révélés plus difficiles que d’autres, notamment en informatique (génie logiciel, programmation) où il a dû mettre les bouchées doubles. Mais il a su trouver aussi de l’aide auprès d’autres étudiants qu’il pouvait en contrepartie aider en sciences cognitives.

Et puis il raconte que ce projet de doctorat se fait par pur plaisir, sans stress, sans la recherche subséquente d’une carrière, d’un emploi. Mais que cela constitue néanmoins une occupation à temps plein! Il est souvent présent des journées entières au pavillon des sciences de l’UQAM et sa présence dans l’édifice dépasse souvent et largement les sept heures par jour…

Présentement, dans son compte LinkedIn, Nacer s’affiche tout simplement comme un «étudiant en sciences ». D’ici deux ou trois ans, probablement en 2025, il pourra se présenter en tant que « docteur en sciences ». Nul doute que lui et ses proches, dont plusieurs ex-collègues hydro-québécois, seront très fiers d’une si belle réussite.

Quand on lui demande de comparer son expérience de retraite avec celle de retraités qu’il côtoie, Nacer répond: « Parmi nos retraités d’Hydro, il y a ceux qui se lancent dans le bénévolat; d’autres qui se rattrapent sur leurs loisirs préférés et leurs passions tant de fois repoussés (voyages, sport, travaux divers, etc.). Il y a aussi ceux qui retournent dans le monde du travail. Puis, il y a ceux qui reviennent à l’université pour enrichir leurs réflexions qui peuvent éventuellement contribuer à enrichir notre société. Chose certaine, ce que je constate, c’est que nos retraités gardent toujours de la bonne énergie ! »

Comment électrifier le Québec sans le rendre vulnérable

Les Affaires, 20 mai 2023

ANALYSE ÉCONOMIQUE. Transports, usines, institutions… L’électrification de la société québécoise va s’accélérer, ce qui l’aidera à atteindre ses cibles climatiques à long terme. En revanche, elle pourrait être plus vulnérable aux pannes d’électricité, car ses sources d’approvisionnement en énergie seront beaucoup moins diversifiées.

C’est ce qu’affirment en entrevue à Les Affaires deux spécialistes en énergie, Jean-Thomas Bernard, professeur auxiliaire à l’Université d’Ottawa, et Yvan Cliche, fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) et auteur de l’essai Jusqu’à plus soif (Pétrole-gaz-éolien-solaire: enjeux et conflits énergétiques).

À bien y penser, le portefeuille de sources d’énergie d’une société n’est pas si différent que le portefeuille d’un investisseur institutionnel comme la Caisse de dépôt et placement du Québec: plus il est diversifié, plus il est résilient aux chocs.

En matière d’investissement, c’est la diversification dans les actions, les obligations, les placements privés et le secteur immobilier qui augmente la résilience d’un portefeuille.

Sur le plan énergétique, c’est la disponibilité de plusieurs sources d’énergie qui accroît la résilience d’une société si l’une des sources fait défaut, par exemple, en raison d’une catastrophe naturelle, d’une grève, d’un embargo, d’une guerre ou d’une cyberattaque.

Le Québec a un profil énergétique diversifié

En 2019, le Québec avait une demande en énergie relativement diversifiée, selon les données de la Régie de l’énergie du Canada — l’année de référence la plus récente afin de pouvoir comparer les provinces et les territoires.

Ainsi, en 2019, les produits pétroliers raffinés arrivaient au premier rang (40%) au Québec, suivis par l’électricité (37%), le gaz naturel (13%), les biocarburants (10%) et les autres sources (1%).

À titre comparatif, l’Ontario avait ce profil: produits pétroliers raffinés (46%), gaz naturel (30%), électricité (16%), biocarburants (4%) et autres (4%).

Fort de son potentiel hydroélectrique, le Québec pourra donc se décarboner plus facilement et de manière plus importante comparativement à ses voisins ontariens.

Le jour viendra où l’électricité sera, et de loin, la principale source d’énergie dans la société québécoise, alors que les parts des produits pétroliers et du gaz naturel auront grandement diminué.

Si ce virage est essentiel, il pourrait en revanche rendre plus vulnérable notre société et notre économie lors d’une mégapanne d’électricité, de cause naturelle ou non naturelle (par exemple, une cyberattaque de terroristes ou d’un État).

«Dans ce contexte, nous serons de plus en plus exposés», fait remarquer Jean-Thomas Bernard.

Et on peut le comprendre aisément.

Dans l’avenir, des pannes d’électricité affecteront davantage les usines, les entreprises de transport et les institutions, sans parler d’une foule de services, notamment bancaire, pour les services en ligne.

Bien entendu, les batteries permettront de stocker de plus en plus d’électricité au fil des ans. Toutefois, l’autonomie qu’elle procure demeurera relativement faible, du moins dans un avenir prévisible.

C’est la raison pour laquelle Jean-Thomas Bernard estime que les produits pétroliers et le gaz naturel ne sont pas à la veille de disparaître, même si leur proportion dans le profil énergétique du Québec diminuera.

«On va voir ces sources d’énergie comme une police d’assurance», dit-il.

On peut penser aux services d’urgence (police, pompier, ambulance), aux génératrices pour les hôpitaux ou les résidences pour aînés, sans parler du transport de produits essentiels, comme la nourriture, les médicaments et les ressources naturelles.

D’autres avenues sont aussi possibles pour limiter le risque que l’électrification de l’économie québécoise ne la rende plus vulnérable aux pannes d’électricité, selon Jean-Thomas Bernard et Yvan Cliche.

Microréseau autonome à Lac-Mégantic

À terme, on peut par exemple imaginer la création de microréseaux électriques dans plusieurs régions du Québec.

Le Microréseau de Lac-Mégantic — le premier au Québec — en est un bel exemple. Mis sur pied par Hydro-Québec et la communauté, il permet d’alimenter un quartier du centre-ville grâce à des panneaux solaires et à des batteries de grandes capacités.

Les surplus d’électricité peuvent être injectés dans le réseau central d’HQ. En cas de panne de ce dernier, le microréseau peut même être autonome durant un certain temps.

La multiplication des bouclages dans le réseau central d’Hydro-Québec est une autre façon d’accroître la résilience de l’approvisionnement en électricité aux quatre coins de la province, soulignent les deux spécialistes en énergie.

Pour l’essentiel, un bouclage vise à s’assurer qu’une région, une ville ou un quartier soit alimenté par au moins deux lignes de transport ou de distribution d’électricité.

Par exemple, après la tempête de verglas de 1998, le gouvernement du Québec a demandé à Hydro-Québec de construire la ligne Hertel-Des Cantons de 735 kV, en Montérégie, afin de renforcer l’alimentation en électricité de Montréal.

Durant la tempête de verglas en 1998, la métropole est passée tout près de pâtir d’une panne généralisée.

Joint par Les Affaires, un porte-parole d’Hydro-Québec, Maxence Huard-Lefebvre, explique que la société d’État fait de plus en plus de bouclages pour accroître la résilience de son réseau.

Aux yeux d’Yvan Cliche, les interconnexions avec les réseaux voisins permettent aussi d’accroître la résilience du réseau d’HQ en cas d’une panne majeure. Actuellement, le Québec en compte une douzaine avec les réseaux voisins.

Il donne le contre-exemple du Texas.

En 2021, lors d’une tempête hivernale, l’État a pâti d’une grande panne d’électicité, car il n’avait pas ce niveau d’interconnexions avec ses voisins, son réseau fonctionnant pratiquement en autarcie.

Conscients de cette fragilité, les Américains sont d’ailleurs en train d’interconnecter davantage les réseaux électriques dans le pays, souligne Yvan Cliche.

Les biocarburants et les voitures dites batteries — lors d’une panne, une voiture électrique pourrait par exemple alimenter certains équipements dans une maison, comme le réfrigérateur — sont aussi des options qui assureraient une plus grande résilience de la société québécoise.

Dans un contexte de luttes aux changements climatiques, l’électrification accrue de l’économie québécoise est nécessaire. Et nous avons en plus les ressources et l’expertise pour le faire rapidement et à grande échelle.

L’immense défi sera d’y arriver sans faire de compromis sur notre résilience collective.

Bref, sans devenir une économie verte, mais vulnérable.

LES FINALISTES ET LES COUPS DE COEUR DU PRIX HUBERT-REEVES 2023

Le lundi 1er mai 2023

COMMUNIQUÉ – Pour diffusion immédiate

LES FINALISTES ET LES COUPS DE COEUR DU PRIX HUBERT-REEVES 2023

Les meilleurs livres francophones en compétition pour un prestigieux prix littéraire en vulgarisation scientifique.

Montréal, le 1er mai 2023 – L’Association des communicateurs scientifiques du Québec (ACS) dévoile aujourd’hui les finalistes Grand public et les coups de cœur Jeunesse du prix Hubert-Reeves 2023, le prestigieux concours littéraire qui récompense les meilleurs ouvrages canadiens francophones de vulgarisation scientifique.

Les finalistes Grand public
 jusqu'a plus soif - livre 

 Dans la catégorie Grand public, les finalistes du prix Hubert-Reeves 2023 sont :

Ici la Terre – Dix aventures scientifiques qui ont changé notre image du monde, de Frédéric Bouchard, éditions Multimondes. Notre planète ne s’est pas faite en une journée ; la science pour la comprendre non plus. Il faut suivre, au fil des derniers siècles, les tribulations de Sténon le bienheureux, James Hutton, Jean-Baptiste Delambre, Marie Curie et de plusieurs autres scientifiques pour s’en convaincre. Ce sont leurs découvertes pour le moins spectaculaires qui nous ont révélé comment la Terre s’est formée et transformée pendant plus de quatre milliards et demi d’années.

Il en ressort dix récits rocambolesques qui nous emmènent depuis Florence, en Italie, jusque dans les abysses de l’océan Atlantique en passant par la taïga sibérienne et Montréal. Ce sont aussi de précieuses leçons de géologie.

Jusqu’à plus soif – Pétrole, Gaz, Éolien, Solaire : Enjeux et conflits énergétiques, de Yvan Cliche, éditions Fides. Le pétrole est une arme. Un enjeu stratégique. Une obsession. Il influence notre monde à grande échelle, celui d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Il est source de pouvoir et de convoitise. Incontournable dans la vie politique et militaire, la simple variation de son prix bouleverse les économies, à la fois des pays producteurs, mais aussi des pays consommateurs.Aujourd’hui, les changements climatiques et le développement des énergies renouvelables  menacent le monopole du pétrole comme source d’énergie dominante. L’éolien, le gaz et le solaire risquent de bouleverser les cartes de la géopolitique mondiale.

De l’exploitation des premiers puits de pétrole à l’émergence des énergies renouvelables, cet essai offre un regard lucide sur les enjeux, les conflits et les défis qui attendent les générations présente et future. 

À la défense de la biodiversité alimentaire – Sur la trace des aliments disparus, de Bernard Lavallée, Les éditions La Presse. Nos assiettes ne nous ont jamais semblé aussi variées et nos épiceries aussi foisonnantes. Mais se pourrait-il que derrière cette profusion se cache une perte mondiale de la biodiversité alimentaire, d’autant plus pernicieuse qu’elle passe inaperçue ?

C’est bien ce qui préoccupe depuis des années Bernard Lavallée, pour qui les aliments représentent notre lien le plus fondamental avec la nature. Sans jamais laisser tomber son humour rafraîchissant, il retrace cinq grands moments de notre histoire alimentaire et leurs effets sur la diversité de notre alimentation. De captivants portraits d’aliments autrefois abondants mais aujourd’hui disparus accompagnent ses constats, comme autant d’exemples de ce qui pourrait arriver aux plantes et aux animaux dont nous nous rassasions aujourd’hui. Une façon convaincante de nous donner envie de protéger ce qui peut encore l’être.

Le Maroc, Israël et les Juifs marocains

Rencontre avec le journaliste marocain Jamal Amiar


 « La culture juive fait partie intégrante de l’identité marocaine »

La Voix sépharade, mars / avril 2023 (pp.38 à 40)

Yvan Cliche

Dans un ouvrage remarqué et remarquable, Le Maroc, Israël et les Juifs marocains. Culture, politique, diplomatie, business et religion (BiblioMonde, 2022), le journaliste Jamal Amiar brosse un tour d’horizon approfondi de la coexistence judéo-musulmane au Maroc et du rôle des Juifs marocains en Israël.

L’auteur décrit la relation unique liant le Maroc à la communauté juive originaire du pays. Cette relation, plus symbiotique et harmonieuse que partout ailleurs dans le monde arabe, souligne M. Amiar, tient notamment au fait que les Juifs n’ont jamais été incités à partir de leur contrée natale. Et malgré leur départ, les liens politiques et humains entre Marocains juifs et musulmans se sont poursuivis, de manière continue, malgré les lourds soubresauts politiques au Proche-Orient.

Cette relation, unique, a permis au Maroc de jouer un rôle central dans la diplomatie relative au conflit israélo-palestinien. Et aussi d’obtenir, en 2020, la reconnaissance américaine de sa pleine souveraineté sur le Sahara en échange du rétablissement d’un lien diplomatique avec l’État hébreu (accords d’Abraham).

La Voix sépharade a pu échanger récemment avec Jamal Amiar via une séance Zoom Montréal-Tanger.

Qu’est-ce qui explique selon vous ce décollage rapide, que vous décrivez fort bien dans votre livre, de la relation israélo-marocaine à la suite de la signature des accords d’Abraham ?

L’intensité de cette relation découle de la longévité et de la vigueur des liens établis entre les États de ces deux pays depuis des décennies, mais aussi et surtout entre les communautés, les peuples. Et ce, malgré la baisse drastique de la taille de la communauté juive au Maroc. Celle-ci est passée, pour rappel, de 300 000 personnes en 1948 à 3000 aujourd’hui. Une communauté réduite certes, mais qui a su se maintenir, voire renaître. Cette renaissance, je la constate depuis longtemps. La présence juive au Maroc aurait pu disparaître mais, heureusement, elle s’est maintenue, contrairement aux autres pays arabes, dans le domaine patrimonial et culturel. En parallèle, j’ai assisté au fil du temps à la visibilité grandissante de la culture marocaine en Israël, voire au poids politique de plus en plus déterminant de la communauté juive d’origine marocaine dans ce pays.

Le Maroc a rétabli ses relations diplomatiques avec Israël en 2020, mais pas au rang d’ambassadeur. Qu’est-ce qui explique selon vous cette prudence du côté marocain ?

Des relations au niveau ambassadeur sont certes symboliquement très importantes mais, en même temps, les Marocains et les Israéliens sont des gens très pragmatiques. Les Marocains jouent de prudence pour ne pas donner un blanc-seing à l’État hébreu, dans le dossier palestinien notamment. Rabat veut aussi jauger comment la situation va évoluer au niveau de l’opinion publique marocaine. Je vois les choses ainsi : les Marocains vont de plus en plus prendre conscience qu’il y a 800 000 de leurs concitoyens en Israël. Dès lors, la relation entre les deux pays ne peut que devenir « normale ». Et cette normalité devrait amener une relation à un plus haut niveau.

Votre livre fait état des liens étroits tissés entre les élites marocaines et israéliennes sur le plan économique, universitaire, judiciaire, etc. Mais qu’en est-il au niveau de la population en général, de ce qu’on nomme ici au Québec le « monde ordinaire » ?

C’est un argument qui est souvent amené pour diminuer l’importance de la proche relation qui existe entre Israéliens et les Marocains. Vous savez, beaucoup d’étudiants provenant des classes populaires ont étudié la culture juive au Maroc et ont poursuivi leurs études en Israël, voire y ont pris racine, fondé des familles, etc. Dans la population en général au Maroc, la relation avec l’Algérie par exemple soulève pas mal plus d’émotion que celle avec l’État hébreu. De toute manière, dans ce dossier comme dans d’autres, il y aura toujours des critiques, des oppositions, mais cela ne doit pas nous empêcher d’avancer, de manière constructive.

Vous rappelez à quel point la communauté juive du Maroc a rapetissé au fil des ans. Comment les Marocains d’aujourd’hui, et les prochaines générations, pourront-elles garder un lien étroit avec la culture juive ancestrale de leur pays ? Comment cette exception marocaine pourra-t-elle être maintenue à long terme ?

On m’a souvent posé cette question, et c’est bien normal ! D’une part, la présence juive marocaine, ce n’est pas uniquement le nombre, c’est la présence culturelle. Celle-ci est encore bien réelle, bien présente, très riche. Le patrimoine est là, mais des travaux d’ampleur sont encore nécessaires, par exemple pour restaurer le patrimoine construit, dont les mellahs (quartiers juifs). D’autre part, je mettrais en évidence ma propre contribution : je ne connais pas d’autres pays arabes où un non-Juif aurait pu, comme moi, écrire sans souci un livre sur la contribution significative associée à la présence et de la culture juives dans son pays. Par ailleurs, comme le signale une personne que j’ai interviewée dans mon livre, le futur juif au Maroc sera déterminé en bonne partie la relation israélo-marocaine. Les liens se développent, sur tous les registres, dans tous les domaines d’activités. Par exemple, avec le tourisme en hausse, des Marocains se mettent à l’hébreu pour mieux accueillir les Israéliens… c’est tout dire.

Votre livre souligne à quel point le Maroc fait figure d’exception dans sa relation historique avec sa communauté juive. Pouvez-vous revenir sur cette singularité.


C’est une exception, et pour une raison très simple : au Maroc, contrairement à d’autres pays, que ce soit en Europe ou dans le monde arabe, jamais la condition de la communauté juive n’a été instrumentalisée à des fins politiques. Aucun dirigeant n’a cédé à la tentation de pointer du doigt la communauté hébraïque pour des problèmes internes ou externes. Le Maroc a aussi accueilli plusieurs Juifs durant et après la Deuxième Guerre mondiale. Même durant les périodes d’Aliyah (émigration juive vers Israël), dans les années 1950, celle-ci a été organisée et gérée de manière officielle ou officieuse. Ce traitement a contribué à établir une relation de confiance, permettant à terme les développements politiques que l’on voit présentement. Je ne dis pas que tout a été parfait, pas du tout, mais je trouve dommage que des auteurs, comme l’historien français Georges Bensoussan, ne jettent qu’un regard négatif sur cette relation dans son ensemble. Chose certaine, les Juifs marocains que j’ai rencontrés, et ce partout dans le monde, y compris durant mes nombreux voyages en Israël, conservent un lien sentimental très fort avec le Maroc.

Comment entrevoyez-vous la poursuite des relations Maroc-Israël avec la nouvelle coalition au pouvoir en Israël, dirigée par Benyamin Netanyahou ?

Cette relation est solide, largement capable de résister aux aléas de la politique israélienne. Elle est très précieuse, importante, centrale, pour les deux pays. Je suis résolument convaincu que les échanges entre les deux pays, dans tous les domaines, continueront à se développer. L’enjeu palestinien reste bien sûr déterminant, mais Israël ne souhaite certes pas de ce côté une dégradation de la situation.

Question d’ordre plus personnel : pourquoi un non-Juif, du Maroc, s’est autant intéressé, toute sa vie, à la relation de son pays avec sa communauté juive et son destin en Israël ?


J’ai grandi à Casablanca, à Tanger, et je me suis intéressé tout jeune à la politique. Puis, j’ai vu une communauté avec laquelle j’ai grandi, en toute amitié, partir, quitter le foyer en même temps qu’on entendait parler que de conflits entre les Juifs et les Musulmans au Proche-Orient. Cet enjeu m’a donc immédiatement interpellé, il a suscité ma curiosité. Après 30 ans d’études sur le sujet, des dizaines d’articles, un livre, il me reste encore des zones à approfondir, dont la proximité musulmane marocaine avec la culture juive et l’attachement des Juifs pour le Maroc. Cela dit, le constat que je tire de mes recherches est simple : l’héritage juif fait partie intégrante de la culture marocaine. D’ailleurs, cela a été reconnu formellement dans la Constitution du Maroc, en 2011. Cette relation est singulière, riche, complexe, en évolution, elle doit donc continuer d’être étudiée. J’espère que mon livre contribuera à la poursuite des recherches et des enquêtes sur cette question centrale dans l’identité marocaine.

Entrevue avec le professeur Dan Blumberg, vice-président, Université Ben-Gurion du Néguev, président, Agence spatiale israélienne «

« La force de la science en Israël tient du lien organique entre l’académique et l’industrie »

La Voix sépharade, mars / avril 2023 (p.10-11)

Yvan Cliche


Le scientifique Dan Blumberg, vice-président à l’Université Ben-Gurion du Néguev, a été nommé en 2022 à la présidence de l’Agence spatiale israélienne.

M. Blumberg œuvre depuis une région, Beer Sheva, en pleine ébullition, et l’université Ben-Gurion* est au cœur de cet élan, inspiré notamment par la décentralisation récente d’opérations de l’armée israélienne.

Cette décentralisation vient renforcer le projet de mise en place d’un Beer Sheva Innovation District, rassemblant l’université, fréquenté par quelque 20 000 étudiants, le parc de haute technologie, où travaillent environ 2 500 personnes, le monde médical, qui compte environ 4 500 employés, et le campus de télécommunications de l’armée, où environ 5 000 recrues et soldats de carrière sont censés servir.

 La Voix sépharade a eu le privilège de discuter avec Dan Blumberg de l’état de la science en Israël. L’entretien s’est déroulé via Zoom le 11 janvier 2023.

Pouvez-vous nous brosser un portrait général de l’état de la recherche scientifique en Israël ?
Israël compte une dizaine d’universités, et je pense qu’on peut dire qu’elles se débrouillent bien, voire très bien pour la plupart d’entre elles en matière de production scientifique. Israël a mis en place un écosystème efficace de transfert technologique entre le monde académique et l’économie, l’industrie. On a mécanisme formel facilitant ce lien être l’académique et l’industrie, cette « vallée de la mort » comme on l’appelle dans mon milieu, soit le Israel Innovation Authority, responsable des transferts de connaissances. Nous avons dans le pays une culture entrepreneuriale dynamique, une infrastructure technologique robuste et une main-d’œuvre hautement qualifiée. L’innovation est l’une des ressources naturelles les plus précieuses d’Israël, que nous devons l’entretenir. Bien sûr, certains diront qu’on peut mieux faire, et c’est le cas.

Comment expliquer cette relation proche, qui semble mieux fonctionner qu’ailleurs, entre le milieu universitaire et l’industrie ?
Il y a trois raisons à cela. Israël est une société très réseautée, connectée. Si vous ne savez pas qu’un chercheur produit de la connaissance dans un domaine qui vous intéresse, vous ne pouvez rien entreprendre à ce sujet ! Or, la petite taille du pays, la proximité crée par le service militaire obligatoire notamment, concourent à ce réseautage plus étroit.

Le deuxième élément est que le financement des bailleurs de fonds pour la recherche scientifique est souvent dirigé vers le transfert de connaissances, avec des incitatifs à cette fin. Enfin, le troisième élément découle de la nécessité : on a construit ce pays dans un court laps de temps, de manière un peu isolée. On a été amené à trouver nous-mêmes, chez nous, des solutions à nos enjeux.

Vous avez récemment été nommé comme dirigeant de l’Agence spatiale israélienne. Comment expliquer qu’un petit pays comme Israël se soit taillé une place dans ce secteur pointu, et quelles sont vos priorités à court et moyen terme ?
Israël a mis en place une agence spatiale en 1983. Un premier satellite a été lancé en 1988. Quand on a signé la paix avec l’Égypte, l’accord prévoyait que l’on pourrait surveiller la démilitarisation du désert du Sinaï. Munis cette nouvelle capacité, nous avons voulu la développer, avec la communication par satellites notamment, et nous sommes taillé une place dans le concert des nations actives dans ce domaine.

Si l’espace était autrefois le domaine réservé de quelques pays puissants, la situation a changé ces dernières années et devrait encore évoluer au cours de la prochaine décennie. De plus en plus de pays s’impliquent dans des missions spatiales et aussi des entreprises privées, qui lancent leurs propres satellites. Les technologies sont moins chères et évoluent rapidement.

Nous cherchons à renforcer l’écosystème économique autour de ce secteur névralgique. D’autant qu’Israël y a un rôle comme le prouve l’existence d’une firme comme Space Pharma, spécialisée en médecine spatiale. Le secteur s’élargit et il faut multiplier les collaborations, notamment pour un petit pays comme le nôtre qui doit rester en avant de la parade s’il veut rester pertinent : je pense à des domaines en ascension, comme les voyages privés dans l’espace, les nanosatellites, l’imagerie. Ce serait bien d’ailleurs d’établir une coopération avec le Canada, un acteur significatif dans le domaine spatial. Il nous faudrait un mécanisme conjoint de financement de la recherche.

L’Université Ben-Gurion du Néguev a développé une expertise touchant la vie humaine dans des zones à température élevée, et l’utilisation efficiente de l’eau dans ce contexte. Avec l’enjeu des changements climatiques, il s‘agit d’un enjeu qui concerne de plus en plus tous les continents. N’est-ce pas là une opportunité intéressante pour votre université et Israël ?

Des progrès significatifs ont déjà émergé de la région de Beer Sheva : l’irrigation goutte à goutte et la dessalement. (L’irrigation goutte à goutte est un type de système de micro-irrigation qui permet d’économiser l’eau en la laissant s’égoutter lentement jusqu’aux racines des plantes, soit au-dessus de la surface du sol, soit sous la surface. L’objectif est de placer l’eau directement dans la zone des racines et de minimiser l’évaporation).

Avec l’enjeu climatique, la communauté internationale va de plus en plus se tourner vers Israël pour en connaitre davantage sur la possibilité de bien vivre en zones chaudes. Les chercheurs de notre université mènent des recherches interdisciplinaires pour trouver des solutions au problème de la détérioration des ressources en eau, pour fournir de l’eau potable pour la population, pour l’agriculture et l’industrie, grâce à des avancées dans les technologies de récupération de l’eau.

Les chercheurs de l’université s’attaquent aussi à développer des techniques de construction avancées et des matériaux adaptés à la chaleur et au soleil du désert. En énergie, nous menons des recherches sur l’énergie solaire, les biocarburants, et les nano-matériaux, sur les réseaux et les villes intelligentes. Nos recherches mènent déjà à des économies en matière de consommation d’énergie. Ce ne sont que quelques exemples.

Quel rôle social joue votre université, située en plein désert ?
L’Université Ben-Gurion joue un rôle central dans l’économie de toute une région. Au fil du temps, elle a bâti tout un écosystème de collaboration, des tentacules dans tous les secteurs.

Nous avons aussi une histoire, qui aide à comprendre ce que nous sommes. La région de Beer Sheva a longtemps été la cour arrière d’Israël. Or, aujourd’hui, une ville comme Tel Aviv est maintenant peu accessible au niveau du logement. Beer Sheva est devenu ainsi un pôle d’attraction pour des gens soucieux d’une belle carrière et d’une belle qualité de vie. La communauté d’ici est résolue à créer et à renforcer le contexte d’une communauté dynamique, où les jeunes pourront venir s’épanouir pas seulement au sein de notre université, mais aussi dans l’écosystème économique qui en découle.

La décentralisation des activités des technologies de l’information et de cybersécurité de l’armée israélienne est très aidante à cet égard. La clé pour nous sera de travailler de manière étroite avec ce partenaire. Plus globalement, nous sommes en mesure d’offrir aux chercheurs et aux industriels des infrastructures dignes du 21e siècle, à moindres frais qu’ailleurs, et avec une proximité entre la recherche et l’industrie à nul pareil.

Le Premier ministre Ben Gurion avait ce rêve de peupler le désert israélien. Est-ce que ce rêve a été atteint ?
Le Néguev constitue 50 % du territoire israélien, mais seulement 11 % de sa population. Il y a donc encore un écart entre l’importance numérique de la population que nous abritons et l’espace dont nous disposons. La mise en place d’un fort pôle en matière d’innovation crée présentement un élan important, si bien que, depuis quelque temps, plus d’étudiants restent ici une fois leurs études complétées. Notre défi est de renforcer cet écosystème, créer une communauté vibrante, attractive, de maintenir à long terme le beau momentum que nous vivons présentement.

*À Montréal et au Canada, l’Université Ben-Gurion est représentée par
« Ben-Gourion Canada », un organisme à but non lucratif. Pour plus d’informations : www.bengurion.ca

Julia Benarroch, 15 ans
Le plaisir, tout simple, de fouler la glace…

La Voix sépharade, mars / avril 2023 (p.76-77)

Yvan Cliche

Les moments passés sur une patinoire sont toujours parmi les plus beaux de la semaine pour Julia Benarroch. L’adolescente de 15 ans de Côte St-Luc, élève au secondaire 4 à l’école Maimonide de Montréal, entretient une passion pour le sport chéri des Canadiens depuis les premiers moments où elle a chaussé des patins, vers l’âge de 8 ans.

Julia joue maintenant au niveau le plus élevé du hockey féminin pour les Warriors du Lac St-Louis, une région qui a vu émerger nombre de grands talents du hockey professionnel depuis des décennies.

Récemment, en décembre, elle a été invitée à un essai en vue de la constitution d’une équipe masculine de hockey qui représentera Montréal aux JCC maccabi games, une compétition pour adolescents juifs (12-17 ans), qui se tiendra en Israël lors de l’été 2023.

Pour cette évaluation de son potentiel hockey, un samedi soir, Julia affronte des garçons de son groupe d’âge : des jeunes de fort habiles, avec des tirs au but foudroyants, que Julia affronte avec aplomb. Résultats des tests d’évaluation ? Julia fait l’équipe et ira représenter Montréal en Israël !

« Très jeune, je me suis mise à regarder le hockey à la télé et j’ai eu envie d’essayer la pratique de ce sport », raconte Julia. Une fois inscrite dans une ligue locale, son choix s’est rapidement porté vers la position la plus stratégique : celle de gardienne de but. Depuis, elle vit une véritable passion pour ce sport pratiqué depuis plus de 100 ans au Canada.

À preuve de cette passion, Julia est sur la patinoire presque tous les jours : la semaine pour les entrainements et la fin de semaine, pour des matchs organisés, un peu partout au Québec.

Sa mère, Nadine Familiant, qui la transporte quotidiennement aux arénas et qui assiste à tous ses matchs, raconte que, lors de rassemblements familiaux ou amicaux, Julia se rassemblait d’emblée autour des invités qui poursuivaient leur conversation en gardant un œil sur le match de hockey en cours à la télé.

Gérer son horaire exige bien sûr beaucoup de discipline de la part de Julia : il faut jongler entre les obligations scolaires et le temps passé sur la glace. La jeune fille dit apprécier le soutien de son école, qui l’accommode au mieux pour gérer les nombreuses heures consacrées à son sport.

Sa vie d’athlète impose aussi quelques sacrifices, dont par exemple celui de parfois manquer des fêtes d’amies.


Aider d’autres jeunes amoureux du hockey
Son amour du hockey est si grand que l’adolescente trouve du temps pour donner, à titre bénévole, des cliniques à de jeunes gardiens de but.

Quand La Voix sépharade l’a rencontrée, Julia arrivait d’une séance d’enseignement sur l’art de garder les buts d’une durée de trois heures auprès de jeunes de 7 à 9 ans de l’est de Montréal. Une séance organisée dans le cadre de la Célébration du hockey féminin Caroline Ouellette, du nom d’une joueuse du Québec titulaire de quatre médailles olympiques obtenues entre 1998 et 2018.

L’athlète modèle qui l’inspire est le gardien de but québécois Marc-André Fleury. M. Fleury est un sportif originaire de Sorel, actif au niveau professionnel depuis 2003, avec près de 1000 matchs en carrière, et champion olympique avec l’équipe du Canada (2010). Il est aussi récipiendaire de trois coupes Stanley, trophée emblématique du hockey professionnel en Amérique du Nord.

La mère de Julia nous montre d’ailleurs une photo de sa fille avec le légendaire hockeyeur québécois, lors d’un passage à Montréal. Signe de complicité, M. Fleury a même posé sa signature sur les jambières qu’utilisent Julia…

Comment Julia compose-t-elle avec la pression mentale qui vient avec la position de gardienne de but ? Il est important de bien gérer ses émotions. « Après un but marqué contre moi, je pousse la rondelle hors du filet, je vais donner quelques coups de patin hors de mon cercle afin de garder ma concentration. Comme gardienne, tu dois seulement penser au prochain arrêt. »

Une approche qui lui sert bien. Julia savoure particulièrement un tournoi joué en 2022, pour une coupe nommée Bélair-Direct. Durant un match, elle a fait face avec succès à sept tirs de barrage. Et, pour le dernier match, soit la grande finale, Julia a blanchi ses opposants dans un affrontement serré, qui s’est terminé 2 à 0.

Pour la suite de sa vie d’athlète, Julia envisage de poursuivre ses études au Cégep, puis à l’université, mais dans une institution membre d’une ligue organisée de hockey féminin affrontant d’autres établissements scolaires de même niveau.

Une nouvelle ligue féminine de niveau professionnel a débuté en 2023 ses activités en Amérique du Nord. Elle compte une équipe basée à Montréal, nommée la Force de Montréal. La ligue compte présentement des formations à Toronto, et aux États-Unis à Boston, à Buffalo, au Connecticut, au Minnesota, au New Jersey.

Quand on lui demande si un jour elle aimerait endosser l’uniforme de la formation montréalaise, le visage de Julia s’illumine : ses yeux scintillent et elle arbore un large sourire…

LE MAROC, ISRAËL ET LES JUIFS MAROCAINS

Rencontre avec le journaliste marocain Jamal Amiar

« La culture juive fait partie intégrante de l’identité marocaine »

par Yvan Cliche

La Voix sépaharade, mars 2023

Jamal Amiar

Dans un ouvrage remarqué et remarquable, Le Maroc, Israël et les Juifs marocains. Culture, politique, diplomatie, business et religion (Éditions BiblioMonde, 2022), le journaliste marocain Jamal Amiar brosse un tour d’horizon approfondi de la coexistence judéo-musulmane au Maroc et du rôle des Juifs marocains en Israël.

L’auteur décrit la relation unique liant le Maroc à la communauté juive originaire du pays. Cette relation, plus symbiotique et harmonieuse que partout ailleurs dans le monde arabe, souligne Jamal Amiar, tient notamment au fait que les Juifs n’ont jamais été incités à partir de leur contrée natale. Et malgré leur départ, les liens politiques et humains entre Marocains juifs et musulmans se sont poursuivis, de manière continue, malgré les lourds soubresauts politiques au Proche-Orient.

Cette relation, unique, a permis au Maroc de jouer un rôle central dans la diplomatie relative au conflit israélo-palestinien. Et aussi d’obtenir, en 2020, la reconnaissance américaine de sa pleine souveraineté sur le Sahara en échange du rétablissement d’un lien diplomatique avec l’État hébreu (accords d’Abraham).

La Voix sépharade a pu échanger récemment avec Jamal Amiar via une séance Zoom Montréal-Tanger.

Qu’est-ce qui explique selon vous ce décollage rapide, que vous décrivez fort bien dans votre livre, de la relation israélo-marocaine à la suite de la signature des accords d’Abraham ?

L’intensité de cette relation découle de la longévité et de la vigueur des liens établis entre les États de ces deux pays depuis des décennies, mais aussi et surtout entre les communautés, les peuples. Et ce, malgré la baisse drastique de la taille de la communauté juive au Maroc. Celle-ci est passée, pour rappel, de 300 000 personnes en 1948 à environ 3 000 aujourd’hui. Une communauté réduite certes, mais qui a su se maintenir, voire renaître. Cette renaissance, je la constate depuis longtemps. La présence juive au Maroc aurait pu disparaître, mais heureusement, elle s’est maintenue, contrairement aux autres pays arabes, dans le domaine patrimonial et culturel. En parallèle, j’ai assisté au fil du temps à la visibilité grandissante de la culture marocaine en Israël, voire au poids politique de plus en plus déterminant de la communauté juive d’origine marocaine dans ce pays.

Le Maroc a rétabli ses relations diplomatiques avec Israël en 2020, mais pas au rang d’ambassadeur. Qu’est-ce qui explique selon vous cette prudence du côté marocain ?

Des relations au niveau ambassadeur sont certes symboliquement très importantes mais, en même temps, les Marocains et les Israéliens sont des gens très pragmatiques. Les Marocains jouent de prudence pour ne pas donner un blanc-seing à l’État hébreu, dans le dossier palestinien notamment. Rabat veut aussi jauger comment la situation va évoluer au niveau de l’opinion publique marocaine. Je vois les choses ainsi : les Marocains vont de plus en plus prendre conscience qu’il y a 800 000 de leurs concitoyens en Israël. Dès lors, la relation entre les deux pays ne peut que devenir « normale ». Et cette normalité devrait amener une relation à un plus haut niveau.

Votre livre fait état des liens étroits tissés entre les élites marocaines et israéliennes sur le plan économique, universitaire, judiciaire, etc. Mais qu’en est-il au niveau de la population en général, de ce qu’on nomme ici au Québec le « monde ordinaire » ?

C’est un argument qui est souvent invoqué pour diminuer l’importance de la proche relation qui existe entre Israéliens et Marocains. Vous savez, beaucoup d’étudiants provenant des classes populaires ont étudié la culture juive au Maroc et ont poursuivi leurs études en Israël. Dans la population en général au Maroc, la relation avec l’Algérie par exemple soulève bien plus d’émotion que celle avec l’État hébreu. De toute manière, dans ce dossier comme dans d’autres, il y aura toujours des critiques, des oppositions, mais cela ne doit pas nous empêcher d’avancer de manière constructive.

Vous rappelez à quel point la communauté juive du Maroc a rapetissé au fil des ans. Comment les Marocains d’aujourd’hui, et les prochaines générations, pourront-ils garder un lien étroit avec la culture juive ancestrale de leur pays? Comment cette exception marocaine pourra-t-elle être maintenue à long terme ?

On m’a souvent posé cette question, et c’est bien normal! D’une part, la présence juive marocaine, ce n’est pas uniquement le nombre, c’est aussi la présence culturelle. Celle-ci est encore bien réelle, bien présente, très riche. Le patrimoine est là, mais des travaux d’ampleur sont encore nécessaires, par exemple pour restaurer le patrimoine existant, dont les mellahs (quartiers juifs). D’autre part, je mettrais en évidence ma propre contribution : je ne connais pas d’autres pays arabes où un non-Juif aurait pu, comme moi, écrire sans souci un livre sur la contribution significative associée à la présence et à la culture juives dans son pays. Par ailleurs, comme le signale une personne que j’ai interviewée dans mon livre, le futur juif au Maroc sera déterminé en bonne partie par la relation israélo-marocaine. Les liens se développent, sur tous les registres, dans tous les domaines d’activités. Par exemple, le tourisme est en hausse, des Marocains se mettent à l’hébreu pour mieux accueillir les Israéliens… c’est tout dire.

Votre livre souligne à quel point le Maroc fait figure d’exception dans sa relation historique avec sa communauté juive. Pouvez-vous revenir sur cette singularité.

C’est une exception, et pour une raison très simple : au Maroc, contrairement à d’autres pays, que ce soit en Europe ou dans le monde arabe, jamais la condition de la communauté juive n’a été instrumentalisée à des fins politiques. Aucun dirigeant n’a cédé à la tentation de pointer du doigt la communauté hébraïque pour problèmes internes ou externes. Le Maroc a aussi accueilli des réfugiés juifs durant et après la Deuxième Guerre mondiale. Même durant les périodes d’Aliyah (émigration juive vers Israël), dans les années 1950, celle-ci a été organisée et gérée de manière officielle ou officieuse. Ce traitement a contribué à établir une relation de confiance, permettant à terme les développements politiques que l’on voit présentement. Je ne dis pas que tout a été parfait, pas du tout, mais je trouve dommage que des auteurs, comme l’historien français Georges Bensoussan, ne jettent qu’un regard négatif sur cette relation dans son ensemble. Chose certaine, les Juifs marocains que j’ai rencontrés, et ce partout dans le monde, conservent un lien sentimental très fort avec le Maroc.

Comment entrevoyez-vous la poursuite des relations Maroc-Israël avec la nouvelle coalition au pouvoir en Israël, dirigée par Benyamin Netanyahou ?

Cette relation est solide, largement capable de résister aux aléas de la politique israélienne. Elle est très précieuse, importante, centrale, pour les deux pays. Je suis résolument convaincu que les échanges israélo-marocains, dans tous les domaines, continueront à se développer. L’enjeu palestinien reste bien sûr déterminant, mais Israël ne souhaite certes pas de ce côté une dégradation de la situation.

Question d’ordre plus personnel : pourquoi un non-Juif, du Maroc, s’est autant intéressé, toute sa vie, à la relation de son pays avec sa communauté juive et à son destin en Israël ?

J’ai grandi à Casablanca et à Tanger. Je me suis intéressé tout jeune à la politique. Puis, j’ai vu une communauté avec laquelle j’ai grandi, en toute amitié, partir, quitter le foyer en même temps qu’on entendait parler que de conflits entre les Juifs et les Musulmans au Proche-Orient. Cet enjeu m’a donc immédiatement interpellé, il a suscité ma curiosité. Après 30 ans d’études sur le sujet, des dizaines d’articles, un livre, il me reste encore des zones à approfondir, dont la proximité musulmane marocaine avec la culture juive et l’attachement des Juifs pour le Maroc. Cela dit, le constat que je tire de mes recherches est simple : l’héritage juif fait partie intégrante de la culture marocaine. D’ailleurs, cela a été reconnu formellement dans la Constitution du Maroc, en 2011. Cette relation est singulière, riche, complexe, en évolution, elle doit donc continuer d’être étudiée. J’espère que mon livre contribuera à la poursuite des recherches et des enquêtes sur cette question qui est centrale dans l’identité marocaine.

Yvan Cliche

Le rapprochement Iran-Arabie saoudite stabilisera le marché pétrolier

Les Affaires, 18 mars 2023

François Normand

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite orchestré par la Chine peut soulever des inquiétudes géopolitiques, car il renforce les liens entre trois régimes autoritaires. En revanche, sur le plan économique, cette entente stabilisera le marché mondial du pétrole et les prix, et ce, au bénéfice de nos entreprises.

«Ça fait baisser le risque géopolitique. L’Arabie saoudite et l’Iran abritent les 2e et 3e réserves mondiales de pétrole. Ce rapprochement fait en sorte qu’ils ne vont pas se tirer dessus», souligne à Les Affaires Yvan Cliche, fellow et spécialiste en énergie au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM).

Par conséquent, cette entente réduit grandement le risque d’une guerre directe entre les deux pays.

C’est donc une bonne nouvelle puisque tout risque géopolitique «est directement répercuté dans les prix», souligne celui qui a publié en 2022 l’essai Jusqu’à plus soif (Pétrole-gaz-éolien-solaire: enjeux et conflits énergétiques), chez Fides.

C’est sans parler du fait qu’une guerre pourrait aussi perturber la production dans ces deux pays ainsi que les approvisionnements en pétrole de plusieurs pays, notamment en Europe et en Asie.

Un coup de circuit diplomatique pour la Chine

Le 10 mars, l’Iran et l’Arabie saoudite ont créé toute une surprise en annonçant que les deux pays étaient arrivés à une nouvelle entente sous l’égide de la Chine.

Cet accord prévoit entre autres la réouverture de leurs ambassades et représentations respectives d’ici le début du mois de mai.

Ce rapprochement a surpris parce que l’Iran (chiite) et l’Arabie saoudite (sunnite) sont deux puissances rivales au Moyen-Orient. Elles s’affrontaient par exemple indirectement dans les guerres civiles au Yémen et en Syrie.

Pour la Chine, c’est un coup de circuit diplomatique qui confirme son influence grandissante au Moyen-Orient. Beijing apparaît comme une puissance médiatrice en faveur de la paix, mais qui menace, paradoxalement, d’envahir Taïwan.

En revanche, pour les États-Unis, c’est un retrait sur trois prises diplomatique, qui confirme une perte d’influence et de prestige dans cette région du monde — qui a commencé avec l’invasion injustifiée et illégale de l’Irak en 2003.

Selon Yvan Cliche, c’est sur le plan économique et énergétique que la Chine a frappé un grand coup parce qu’elle a sécurisé davantage ses sources d’approvisionnement en pétrole — l’Iran et l’Arabie saoudite exporteront dorénavant plus de pétrole en Chine.

Dans son essai, il explique d’ailleurs que la deuxième économie mondiale est devenue le plus gros importateur de pétrole au monde en 2014. Dans ce contexte, sécuriser ses approvisionnements est devenu une véritable obsession géopolitique pour la Chine.

«À elle maintenant, comme les États-Unis autrefois, de développer un souci d’approvisionnement fiable et constant en énergie pour soutenir sa croissance économique spectaculaire», écrit-il.

Sécuriser ses approvisionnements en pétrole est devenu une véritable obsession géopolitique pour la Chine. (Photo: 123RF)

La Chine doit de plus en plus sécuriser ses approvisionnements

C’est la raison pour laquelle la politique étrangère de la Chine est avant tout motivée depuis une trentaine d’années par des impératifs énergétiques.

En entrevue, Yvan Cliche a partagé des statistiques qui illustrent pourquoi l’Iran et l’Arabie saoudite — deux membres de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP), mais qui est dominée par les Saoudiens — sont des joueurs clés pour Beijing.

L’Arabie saoudite est le premier producteur de l’OPEP, avec une production de 11 millions barils/jour en 2021.

De plus, elle n’a aucune contrainte de production, qu’elle peut donc augmenter ou diminuer à sa guise. Par le truchement de l’offre et la demande, le royaume saoudien vise un prix de marché «relativement élevé» aux alentours de 80 $US le baril, selon Yvan Cliche.

L’Iran, elle, a une production de 3,5 millions de b/j en 2021, en baisse importante par rapport à 2017 à 4,8 millions b/j.

Contrairement à l’Arabie saoudite, le régime des mollahs n’a pas de cibles de prix. Il souhaite donc vendre à tout prix son pétrole à la Chine afin de regarnir ses coffres mis à mal par des années de sanctions économiques.

Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite survient alors que l’échiquier géopolitique mondial est en mutation accélérée.

Beijing au centre d’une nébuleuse autoritaire

Ainsi, non seulement la Chine sécurise-t-elle davantage ses approvisionnements en provenance du Moyen-Orient et de la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine, mais elle se positionne aussi au centre d’une nébuleuse de régimes autoritaires en Eurasie, sans oublier la Corée du Nord.

Bien entendu, les Occidentaux et leurs alliés asiatiques, dont le japon, la Corée du Sud et l’Inde, n’ont pas dit leur dernier mot.

En revanche, on sent bien que le monde est en train de changer à la vitesse grand V, devenant de plus en plus instable et imprévisible.

C’est tout le contraire toutefois pour le marché énergétique.

Les prix du baril de pétrole devraient demeurer plus stables dans un avenir prévisible.

À moins bien entendu qu’une nouvelle guerre n’éclate dans le monde, par exemple entre la Chine et les États-Unis à propos de Taïwan.

LE MAROC, ISRAËL ET LES JUIFS MAROCAINS

La Voix sépharade, mars 2023

Rencontre avec le journaliste marocain Jamal Amiar

« La culture juive fait partie intégrante de l’identité marocaine »

par Yvan Cliche

Jamal Amiar

Dans un ouvrage remarqué et remarquable, Le Maroc, Israël et les Juifs marocains. Culture, politique, diplomatie, business et religion (Éditions BiblioMonde, 2022), le journaliste marocain Jamal Amiar brosse un tour d’horizon approfondi de la coexistence judéo-musulmane au Maroc et du rôle des Juifs marocains en Israël.

L’auteur décrit la relation unique liant le Maroc à la communauté juive originaire du pays. Cette relation, plus symbiotique et harmonieuse que partout ailleurs dans le monde arabe, souligne Jamal Amiar, tient notamment au fait que les Juifs n’ont jamais été incités à partir de leur contrée natale. Et malgré leur départ, les liens politiques et humains entre Marocains juifs et musulmans se sont poursuivis, de manière continue, malgré les lourds soubresauts politiques au Proche-Orient.

Cette relation, unique, a permis au Maroc de jouer un rôle central dans la diplomatie relative au conflit israélo-palestinien. Et aussi d’obtenir, en 2020, la reconnaissance américaine de sa pleine souveraineté sur le Sahara en échange du rétablissement d’un lien diplomatique avec l’État hébreu (accords d’Abraham).

La Voix sépharade a pu échanger récemment avec Jamal Amiar via une séance Zoom Montréal-Tanger.

Qu’est-ce qui explique selon vous ce décollage rapide, que vous décrivez fort bien dans votre livre, de la relation israélo-marocaine à la suite de la signature des accords d’Abraham ?

L’intensité de cette relation découle de la longévité et de la vigueur des liens établis entre les États de ces deux pays depuis des décennies, mais aussi et surtout entre les communautés, les peuples. Et ce, malgré la baisse drastique de la taille de la communauté juive au Maroc. Celle-ci est passée, pour rappel, de 300 000 personnes en 1948 à environ 3 000 aujourd’hui. Une communauté réduite certes, mais qui a su se maintenir, voire renaître. Cette renaissance, je la constate depuis longtemps. La présence juive au Maroc aurait pu disparaître, mais heureusement, elle s’est maintenue, contrairement aux autres pays arabes, dans le domaine patrimonial et culturel. En parallèle, j’ai assisté au fil du temps à la visibilité grandissante de la culture marocaine en Israël, voire au poids politique de plus en plus déterminant de la communauté juive d’origine marocaine dans ce pays.

Le Maroc a rétabli ses relations diplomatiques avec Israël en 2020, mais pas au rang d’ambassadeur. Qu’est-ce qui explique selon vous cette prudence du côté marocain ?

Des relations au niveau ambassadeur sont certes symboliquement très importantes mais, en même temps, les Marocains et les Israéliens sont des gens très pragmatiques. Les Marocains jouent de prudence pour ne pas donner un blanc-seing à l’État hébreu, dans le dossier palestinien notamment. Rabat veut aussi jauger comment la situation va évoluer au niveau de l’opinion publique marocaine. Je vois les choses ainsi : les Marocains vont de plus en plus prendre conscience qu’il y a 800 000 de leurs concitoyens en Israël. Dès lors, la relation entre les deux pays ne peut que devenir « normale ». Et cette normalité devrait amener une relation à un plus haut niveau.

Votre livre fait état des liens étroits tissés entre les élites marocaines et israéliennes sur le plan économique, universitaire, judiciaire, etc. Mais qu’en est-il au niveau de la population en général, de ce qu’on nomme ici au Québec le « monde ordinaire » ?

C’est un argument qui est souvent invoqué pour diminuer l’importance de la proche relation qui existe entre Israéliens et Marocains. Vous savez, beaucoup d’étudiants provenant des classes populaires ont étudié la culture juive au Maroc et ont poursuivi leurs études en Israël. Dans la population en général au Maroc, la relation avec l’Algérie par exemple soulève bien plus d’émotion que celle avec l’État hébreu. De toute manière, dans ce dossier comme dans d’autres, il y aura toujours des critiques, des oppositions, mais cela ne doit pas nous empêcher d’avancer de manière constructive.

Vous rappelez à quel point la communauté juive du Maroc a rapetissé au fil des ans. Comment les Marocains d’aujourd’hui, et les prochaines générations, pourront-ils garder un lien étroit avec la culture juive ancestrale de leur pays? Comment cette exception marocaine pourra-t-elle être maintenue à long terme ?

On m’a souvent posé cette question, et c’est bien normal! D’une part, la présence juive marocaine, ce n’est pas uniquement le nombre, c’est aussi la présence culturelle. Celle-ci est encore bien réelle, bien présente, très riche. Le patrimoine est là, mais des travaux d’ampleur sont encore nécessaires, par exemple pour restaurer le patrimoine existant, dont les mellahs (quartiers juifs). D’autre part, je mettrais en évidence ma propre contribution : je ne connais pas d’autres pays arabes où un non-Juif aurait pu, comme moi, écrire sans souci un livre sur la contribution significative associée à la présence et à la culture juives dans son pays. Par ailleurs, comme le signale une personne que j’ai interviewée dans mon livre, le futur juif au Maroc sera déterminé en bonne partie par la relation israélo-marocaine. Les liens se développent, sur tous les registres, dans tous les domaines d’activités. Par exemple, le tourisme est en hausse, des Marocains se mettent à l’hébreu pour mieux accueillir les Israéliens… c’est tout dire.

Votre livre souligne à quel point le Maroc fait figure d’exception dans sa relation historique avec sa communauté juive. Pouvez-vous revenir sur cette singularité.

C’est une exception, et pour une raison très simple : au Maroc, contrairement à d’autres pays, que ce soit en Europe ou dans le monde arabe, jamais la condition de la communauté juive n’a été instrumentalisée à des fins politiques. Aucun dirigeant n’a cédé à la tentation de pointer du doigt la communauté hébraïque pour problèmes internes ou externes. Le Maroc a aussi accueilli des réfugiés juifs durant et après la Deuxième Guerre mondiale. Même durant les périodes d’Aliyah (émigration juive vers Israël), dans les années 1950, celle-ci a été organisée et gérée de manière officielle ou officieuse. Ce traitement a contribué à établir une relation de confiance, permettant à terme les développements politiques que l’on voit présentement. Je ne dis pas que tout a été parfait, pas du tout, mais je trouve dommage que des auteurs, comme l’historien français Georges Bensoussan, ne jettent qu’un regard négatif sur cette relation dans son ensemble. Chose certaine, les Juifs marocains que j’ai rencontrés, et ce partout dans le monde, conservent un lien sentimental très fort avec le Maroc.

Comment entrevoyez-vous la poursuite des relations Maroc-Israël avec la nouvelle coalition au pouvoir en Israël, dirigée par Benyamin Netanyahou ?

Cette relation est solide, largement capable de résister aux aléas de la politique israélienne. Elle est très précieuse, importante, centrale, pour les deux pays. Je suis résolument convaincu que les échanges israélo-marocains, dans tous les domaines, continueront à se développer. L’enjeu palestinien reste bien sûr déterminant, mais Israël ne souhaite certes pas de ce côté une dégradation de la situation.

Question d’ordre plus personnel : pourquoi un non-Juif, du Maroc, s’est autant intéressé, toute sa vie, à la relation de son pays avec sa communauté juive et à son destin en Israël ?

J’ai grandi à Casablanca et à Tanger. Je me suis intéressé tout jeune à la politique. Puis, j’ai vu une communauté avec laquelle j’ai grandi, en toute amitié, partir, quitter le foyer en même temps qu’on entendait parler que de conflits entre les Juifs et les Musulmans au Proche-Orient. Cet enjeu m’a donc immédiatement interpellé, il a suscité ma curiosité. Après 30 ans d’études sur le sujet, des dizaines d’articles, un livre, il me reste encore des zones à approfondir, dont la proximité musulmane marocaine avec la culture juive et l’attachement des Juifs pour le Maroc. Cela dit, le constat que je tire de mes recherches est simple : l’héritage juif fait partie intégrante de la culture marocaine. D’ailleurs, cela a été reconnu formellement dans la Constitution du Maroc, en 2011. Cette relation est singulière, riche, complexe, en évolution, elle doit donc continuer d’être étudiée. J’espère que mon livre contribuera à la poursuite des recherches et des enquêtes sur cette question qui est centrale dans l’identité marocaine.

Yvan Cliche