Le Continuum, 30 septembre 1985
« Ils sont de religion différente, mais ça me fait rien, quand j’ai joué avec eux, j’ai oublié tout. Du moment qu’on s’amuse bien. » S. Schechter, 4e année
Feignant l’indifférence (pour mieux le surprendre !), je demandais l’autre jour à un copain à combien il estimait le nombre de nationalités présentes dans le quartier Côte-des-Neiges. « Bah, il doit bien en avoir une dizaine, au maximum », me renvoya-t-il d’un ton égal à mon apathie trompeuse.
Cette réponse me fait ressentir la douce joie de celui qui s’apprête à abasourdir son interlocuteur d’une éblouissante information, un peu comme le p’tit gars en culotte courte qui annonce hardiment à ses copains qu’il vient d’obtenir la plus belle bicyclette du quartier.
« Eh bien, mon vieux, répliquai-je, fièrement à mon valeureux ami, assuré que ma réplique provoquerait en lui une animation fébrile du corps et de l’esprit. Il y en a… 106! »
Cent six nationalités donc, dans notre quartier! Voilà le Québec des années 2000! Et parmi ces nombreuses communautés, une d’elle nous est plus familière, quoique mal connue : il s’agit de la communauté juive, évaluée à environ 100 000 âmes.
Pour nombre d’entre nous, les Juifs, ce sont ceux qui ont de petits « boudins » pendus près des oreilles, arborant selon les cas une calotte ou un large chapeau à bord de fourrure et des souliers pointus, le corps mystérieusement recouvert d’une interminable redingote noire. Parlant seulement l’anglais et le yiddish, ils font, semble-t-il, beaucoup d’argent qu’ils accumulent précieusement dans de nombreux coffres forts au centre-ville.
Une meilleure compréhension
Coordonnateur du projet Action-Rapprochement, Maurice Chalom, andragogue et psychopédagogue, est catégorique. « Les préjugés se bâtissent autour de la méconnaissance. Plus du connais l’autre, plus tu t’éloignes des stéréotypes en vogue et plus cette connaissance d’autrui t’amène à réaliser que les préjugés ne sont pas fondés ».
Conçu en 1981 dans le quartier Côte-des-Neiges, le projet Action-Rapprochement fait suite à une initiative de la communauté juive visant à favoriser une meilleure compréhension entre cette communauté et les francophones de Montréal. Contrairement aux projets précédents, l’initiative actuelle se veut permanente et vise des étudiants de 4e, 5e et 6e années primaire (10 à 13 ans) du Grand Montréal, rive sud comprise.
« Notre programme est une pédagogie d’éducation inter-culturelle. Notre approche est ludique et lente, dans un langage adapté à celui des enfants, d’établir une communication entre les deux groupes en présence et à développer ensuite une confiance réciproque par le biais d’informations objectives sur ce qu’est l’autre, sa religion, etc. » mentionne M. Chalom.
« Comme l’école est un lieu de socialisation, et comme entre 10 et 13 ans les préjugés ne sont pas encore trop ancrés dans les esprits, tout un ensemble d’activités communes (classes d’immersion, pique-niques, etc.) entre classes formées d’étudiants juifs et classes formées d’étudiants francophones permet aux participants de constater qu’outre les différences, ils ont les mêmes préoccupations et le mêmes intérêts. Notre action est donc préventive et injecte un contenu interculturel dans les programmes d’enseignement ce qui répond à un besoin de la société québécoise » poursuit notre interlocuteur.
Financé à 70% par l’Association des écoles juives, le reste étant comblé par des subventions du gouvernement fédéral, le programme souhaite toucher tant les professeurs que les élèves. Selon M. Chalom, plusieurs fausses perceptions ont cours chez les francophones du Québec à l’égard des Juifs. Par exemple, les francophones ont tendance à considérer cette communauté comme étant à l’écart de la société québécoise.
La communauté juive
« Les Juifs sont impliqués dans tous les milieux tant politique, social, économique que culturel, et ils contribuent largement au développement du Québec. Maints exemples sont là pour le prouver et cette réalité a cours depuis toujours. Les Juifs ont fêté il y a quelques années le 150e anniversaire de leur droit de vote au Bas-Canada. Ils sont là depuis bien longtemps, contrairement une idée répandue. D’autre part, avertit M. Chalom, il ne faut pas confondre la communauté juive avec la communauté orthodoxe. Celle-ci ne forme qu’une infime partie de la population et n’oublions pas qu’ils ne parlent pas tous l’anglais. De ce fait, la communauté juive n’est pas monolithique. Elle est traversée par tous les clivages propres à la société québécoise ».
Et que dire des préjugés des Juifs sur les francophones? « Les Juifs ont l’impression de ne pas être acceptés par le milieu québécois; ils pensent aussi que les francophones, qui sont d’origine latine, ont une tendance marquée à la fiesta ».
Les horizons de M. Chalom ne se limitent pas toutefois aux seules communautés juive et francophone.
« Notre projet peut servir d’expertise pour d’autres communautés. Par exemple, les Portugais, ou tout autre groupe, pourraient se servir des outils développés par notre approche pour tenter un rapprochement tant avec la communauté juive qu’avec la communauté francophone. Certes, il ne s’agit pas, comme l’explique M. Chalom, que les communautés culturelles s’assimilent à la communauté francophone. L’éducation inter-culturelle favorise non seulement la découverte de l’autre mais offre la possibilité d’enrichir et d’approfondir sa propre culture.
« Il est catholique, je suis juif, mais on aime bien tous les deux… Michael Jackson ». Ce commentaire d’un petit enfant juif résume bien l’esprit du programme Action-Rapprochement : dans un Québec devenu pluri-ethnique, il importe que toutes les communautés culturelles, y compris les francophones, apprennent à développer respect et compréhension pour autrui, le tout étant fondé sur la reconnaissance assumée des divergences.
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