Nuit blanche, site web (no. 149), janvier 2018
Michel Cormier, LES RÉVOLUTIONS INACHEVÉES, Léméac, Montréal, 2017, 259 pages.
L’auteur, ancien correspondant de Radio-Canada à l’étranger et maintenant cadre supérieur de la société d’État, témoigne dans ce livre absolument passionnant de développements politiques majeurs ayant occupé le devant de l’actualité durant les années 2000, dans cinq endroits où il a vécu ou séjourné : l’Afghanistan, Israël, la France, le Pakistan, la Thaïlande.
Pour chacun de ces pays, Michel Cormier revient sur des événements marquants qu’il a couverts sur place. En Afghanistan, l’auteur écrit que ce pays est devenu « le bourbier des ambitions occidentales », comme le confirmeraient sûrement les 2000 soldats canadiens ayant été présents dans ce pays, au départ pour y promouvoir la paix et le développement, par la suite pour protéger leur peau devant le retour insidieux des islamistes après l’intervention américaine ayant amené la chute des talibans à la suite du 11 Septembre.
À mesure que le temps passe, la présence occidentale, en effet, est de plus en plus vécue comme une occupation étrangère. Bien des Occidentaux, pourtant venus avec la meilleure des intentions, se retrouvent pris dans l’étau de la politique inextricable de ce pays dirigé par des seigneurs de guerre. Le reporter radio-canadien y constate aussi les erreurs des Occidentaux, et prend la mesure de la dégradation de la situation politique du pays, encore aujourd’hui très instable malgré les milliards investis par les pays riches.
Après trois chapitres consacrés à l’Afghanistan, on est transporté vers le cas tout aussi complexe d’Israël et de la Palestine. Cormier nous rappelle avec finesse la fin tragique de Yasser Arafat.
Viennent ensuite des souvenirs concernant la France : l’auteur y a été correspondant permanent à partir de 2004. Il y parle de la tragique révolte des banlieues qui a eu lieu en 2005, des problèmes d’intégration de la population musulmane, et de leurs effets sur la cassure entre l’élite et la population, plongée dans une lassitude empreinte de pessimisme. « Pour tout étranger qui vit à Paris, l’une des choses les plus déroutantes est de constater à quel point bien des Français semblent malheureux. » Une France qui votera contre la Constitution européenne, que lui suggère pourtant à l’unisson son élite politique et médiatique, et qui aspire à du sang neuf, à un renouveau, comme le rappelle l’élection récente du néophyte Emmanuel Macron comme président.
Le livre finit en force avec l’arrière-scène de reportages réalisés au Pakistan et en Thaïlande. Au Pakistan, peut-être le pays le plus intrigant au monde, Cormier est présent lors de l’assassinat de Benazir Bhutto, avec qui il aura eu l’occasion de s’entretenir, et lors de l’assaut de la Mosquée rouge en 2007 par des islamistes radicaux. Il y constatera la tension entre une société conservatrice et religieuse et un vécu démocratique vacillant. En Thaïlande, pays aux multiples coups d’État et soumis à la colère des pauvres, Cormier témoigne de la révolte des chemises rouges, et assiste de très près, au péril de sa vie, aux violences qui en découlent au cours de l’année 2010.
De ces nombreux et palpitants moments de terrain, Cormier conclut : « Cette nouvelle époque ne semble propice ni à l’expansion de la démocratie, ni à la relance des réformes, des remises en question et des révolutions qui ont pris naissance au tournant du siècle et qui demeurent, pour l’instant, inachevées ».
Un livre comme les adorent tous ceux qui se passionnent pour l’actualité internationale. Et assurément une initiative que les correspondants à l’étranger de la société d’État devraient songer à imiter. S’ils plongent dans ce beau projet, Michel Cormier a placé la barre haute, en matière de justesse d’analyse, le tout soutenu par une écriture fluide qui nous fait vivre les événements comme si on y était.
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