La Presse, 11 février 2021
C’est la phrase la plus répétée depuis quelques années dans le milieu de l’énergie : qu’il est en pleine transformation, rythmé par une transition énergétique qui s‘est accélérée depuis quelques années avec la conscientisation accrue face au réchauffement climatique.
Ainsi, le projet éolien Apuiat (Nation innue et Boralex), jugé non nécessaire il y a à peine deux ans, vient d’être signé, et ce n’est pas banal : un parc de 200 mégawatts, ce qui en fera un des plus gros projets éoliens au Québec, qui abrite déjà près de 4000 mégawatts intégrés au réseau d’Hydro-Québec.
C’est une bonne chose pour le Québec de diversifier ses sources de production d’électricité, d’y associer des communautés autochtones et locales, de se munir d’une expertise dans d’autres domaines en pleine croissance.
Ce revirement en faveur du projet Apuiat témoigne de l’accélération des possibilités sur la scène énergétique : chute spectaculaire des prix des énergies éolienne et solaire ; meilleure performance des batteries ; percée des véhicules électriques ; confiance de produire, avec de l’électricité décarbonée, de grandes quantités d’hydrogène, qui pourront ensuite être utilisées dans le transport lourd et la pétrochimie.
Cette poussée vers ces technologies disruptives, au surplus dans un contexte de ralentissement de la demande due à la pandémie, représente-t-elle pour autant le chant du cygne de l’hydroélectricité au Québec ?
À long terme, il y a la fin du contrat de Churchill Falls (Labrador), qui se pointe à l’horizon (2041). Comme il s’agit d’une bien grosse tranche de la production disponible pour le Québec (plus de 5000 mégawatts), et qu’un projet hydroélectrique prend un bon 10 ans à être développé, il faudra commencer à y réfléchir ces prochaines années.
À plus court terme, le positionnement de ce produit phare du Québec dépendra bien sûr de l’évolution des marchés d’exportation.
Les États voisins du Québec, notamment aux États-Unis, se sont donné d’ambitieux objectifs de réduction des gaz à effet de serre.
Ils développent leurs énergies propres, notamment l’éolien extracôtier, avec des turbines pouvant produire chacune plus de 10 mégawatts, une capacité cinq fois plus importante qu’il y a 20 ans. Ces projets sont en compétition avec l’hydroélectricité québécoise.
Mais il y a une chose que notre hydroélectricité leur apporte par rapport aux autres formes d’énergie : la garantie de livraison, soit un approvisionnement dans des plages horaires précises, notamment durant leurs périodes de pointe.
Côté approvisionnement éolien – et c’est là un aspect assez peu connu –, les opérateurs, comme Hydro-Québec, doivent les complémenter par des assurances fermes de disponibilité en équipements pour couvrir les besoins importants rencontrés lors des périodes de pointe.
Ce « service d’intégration éolienne » permet à Hydro-Québec d’assurer en hiver des livraisons uniformes d’énergie, en raison de la nature variable de l’éolien. En langage spécialisé, on parle d’une garantie de puissance. Le dernier appel d’offres d’Hydro à cette fin remonte à 2020.1
C’est un service dont il faut se munir pour la fiabilité d’approvisionnement et qu’il faut donc payer, un coût assumé par les clients.
Or, le vaste réseau d’équipements de production hydroélectrique québécois (centrales, barrages), avec ses réservoirs qui peuvent affronter de fortes variabilités en apports hydrauliques sur plusieurs années, offre à la fois énergie et puissance.
C’est là le grand avantage de l’hydroélectricité québécoise à l’exportation par rapport à d’autres formes d’énergie renouvelable : elle est actionnable à souhait, avec peu de délais et disponible de manière fiable et continue dans les plages horaires critiques de consommation des réseaux voisins.
Dans ces moments bien précis de l’année où les besoins sont importants, où les marges d’erreur se réduisent, où l’acheteur hors Québec mise coûte que coûte sur un apport garanti, l’hydroélectricité québécoise peut livrer la marchandise. Dans le monde de l’énergie, c’est l’atout ultime.
Les commentaires sont clôturés.