Le Soleil, 24 juillet 2022
YVAN CLICHE
Fellow, Centre de recherches et d’études internationales de l’Université de Montréal (CERIUM)
Chaotique, car le commerce de pétrole et de gaz pèse encore bien lourd dans l’économie mondiale. On se réjouit certes de l’avancée des énergies solaire et éolienne depuis 10 ans, mais ces énergies renouvelables se sont ajoutées à l’offre énergétique sans pour autant remplacer les énergies fossiles.
En effet, le charbon, le pétrole et le gaz comptent encore pour 80% du mixte énergétique mondial… comme il y a 30 ans. La crise actuelle a clairement démontré notre grande dépendance à ces sources d’énergie.
Le commerce mondial du pétrole s’appuie sur une énorme infrastructure (sites de production, bateaux citernes, oléoducs, raffineries, stations-service) dont il faudra beaucoup de temps pour se défaire avant d’adopter des infrastructures adaptées aux autres sources d’énergie.
Chaotique aussi car avec la présente crise, et les pénuries de gaz qui pointent en Europe et ailleurs, nombreux sont les pays qui doivent retourner au charbon, à l’instar de la Chine et de l’Inde.
Alors qu’on cherchait à se départir des énergies fossiles, tout le monde cherche dorénavant à en sécuriser l’approvisionnement, et certains cherchent même à en hausser la production. On l’observe avec le président Biden qui supplie les producteurs américains et saoudiens de mettre plus de pétrole sur le marché.
Coûteuse, car avec la transition énergétique anticipée, nombre d’acteurs, dont des raffineries, mettent sur pause les investissements dans leurs installations. La communauté des investisseurs, au nom de principes environnementaux, délaissent aussi le secteur des hydrocarbures.
Dans un contexte d’urgence climatique, on comprend la noblesse de cette approche, mais elle a pour effet pervers de provoquer un déficit d’investissements dans les infrastructures de production et de raffinage de pétrole, alors que la demande mondiale reste élevée, à plus de 100 millions de barils/jour.
Avec si peu de marge de manœuvre au niveau de l’offre, cette situation contribue à une pression à la hausse sur les prix, qui ne pourront véritablement fléchir qu’avec une chute de la demande, qui ne va généralement de pair qu’avec un ralentissement de l’économie.
Domination chinoise
Si presque tous s’entendent sur la nécessité de remodeler notre système de production d’énergie, de le faire passer des hydrocarbures aux énergies propres afin d’atteindre une économie à zéro émission de carbone d’ici 2050, ce passage n’est pas sans susciter son lot d’enjeux.
Les panneaux solaires, les éoliennes, les véhicules électriques et leurs batteries nécessitent beaucoup de minéraux, bien plus que l’économie basée sur les hydrocarbures : cobalt, cuivre, lithium, nickel et éléments dits de terre rare notamment sont devenus essentiels pour soutenir cette transition.
Or, avec ses investissements massifs dans les filières solaire, éolienne et les batteries, la Chine s’est accaparée d’une position dominante dans la production et le raffinage de ces minéraux, ainsi que dans les chaînes mondiales d’approvisionnement. Si bien que la Chine a, par exemple, la mainmise sur environ 80 % de la chaine d’approvisionnement associée aux panneaux solaires, souligne l’AIE dans un rapport récent. (1) Les pays riches ont délaissé ces secteurs petit à petit et se retrouvent maintenant avec un boomerang qui leur revient au visage.
Selon l’AIE, ce niveau élevé de concentration augmente les risques de restrictions commerciales et soulève moult enjeux économiques et politiques entre pays producteurs et pays consommateurs.
La pandémie nous a rappelé avec force les désavantages de la dépendance des pays à l’égard d’approvisionnements stratégiques. En matière d’énergie, il faut éviter que la transition nous fasse passer d’une dépendance à une autre : d’une géopolitique basée sur la concentration des ressources fossiles dans trois pays responsables du tiers de la production pétrolière (Arabie saoudite, États-Unis, Russie) à une autre fondée sur une dépendance envers la Chine et quelques autres pays.
Avantage Québec
Parmi les bonnes nouvelles, il y a que le Québec a des atouts manifestes dans cette économie en devenir centrée sur les énergies propres. Il possède notamment de l’hydroélectricité en abondance et de l’expertise innovante en matière de batteries. Ses sols sont également composés de plusieurs de ces minéraux nécessaires pour accompagner la transition.
Le Québec, comme nos dirigeants le savent, peut avantageusement se positionner comme un chef de file et un partenaire fiable et responsable dans les chaînes d’approvisionnement mondiales qui se mettent en place.
La transition énergétique présente de belles opportunités pour les Québécois et c’est pourquoi nous avons tout intérêt à contribuer à l’accélérer.
1-AIE, Special Report on Solar PV Global Supply Chains, 7 juillet 2022.
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