Le Devoir, 9 décembre 2022
Yvan Cliche
L’auteur est fellow et chercheur en énergie au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). Il a écrit Jusqu’à plus soif. Enjeux et conflits énergétiques publié chez Fides en 2022.
Après moult tergiversations, les pays occidentaux se sont finalement entendus sur le prix plafond fixé sur le pétrole russe depuis le 5 décembre, soit 60 $ le baril. En plus de ce plafonnement, l’Europe impose simultanément, comme prévu depuis des mois, un embargo sur l’achat de pétrole exporté de la Russie, le troisième producteur mondial après les États-Unis et l’Arabie saoudite.
Ce plafonnement du prix, qui pourra changer dans le temps, est rendu possible du fait que les transporteurs maritimes de pétrole et les compagnies d’assurances qui les couvrent contre des dommages potentiels sont principalement européens, donc sous l’autorité des pays appliquant l’embargo.
Cette mesure émane en effet des pays du G7, de l’Union européenne et de l’Australie. Elle vise essentiellement à réduire les revenus tirés par la Russie de ses ventes de pétrole. L’approche retenue est d’imposer un prix assez élevé pour inciter la Russie à poursuivre ses exportations, mais avec des revenus moindres que ceux qu’elle pourrait engranger dans un marché sans entraves.
Comment réagira la Russie ?
Beaucoup d’incertitudes entourent la mise en place de cette mesure historique. Une première, peut-être la plus importante, concerne l’attitude de la Russie. Celle-ci a déjà indiqué qu’elle ne vendrait pas son pétrole aux pays qui appliqueront ce plafonnement.
Les pays occidentaux parient sur le fait que la Russie aura tout intérêt à continuer à vendre son pétrole, même avec des gains moins élevés, car elle dépend grandement de ces revenus pour financer son budget et sa guerre en Ukraine.
Or, Vladimir Poutine, le président russe, a montré avec son gaz vendu en Europe qu’il était capable de mettre ses intérêts géopolitiques en avant des bénéfices commerciaux de son pays.
La Russie dispose en effet d’un levier : en retirant une partie de son pétrole du marché mondial, dans un contexte d’offre et de demande déjà serré, la Russie contribuerait assurément à une hausse significative des prix du baril. Cela aggraverait une inflation que les Occidentaux cherchent résolument à combattre.
Advenant une telle manoeuvre de Moscou, et devant le fossé qui s’est créé entre l’Arabie saoudite et les États-Unis en matière de gestion des prix du baril, Washington serait probablement forcé de piger une nouvelle fois dans ses réserves stratégiques. Or, celles-ci ont fait l’objet d’une utilisation record cette année pour atténuer les prix à la pompe, et le stock est à son plus bas niveau historique depuis 1984.
Une autre incertitude concerne le respect de cette mesure de plafonnement de la part des grands consommateurs de pétrole, dont la Chine et l’Inde. Il est prévu que ces pays n’iront pas de l’avant avec cette initiative, mais celle-ci les avantage quand même, car elle accroît leur rapport de force dans la négociation de prix avantageux auprès de la Russie.
La mise en oeuvre de ce plafonnement amène aussi son lot de questionnements. Car on en impute la responsabilité aux transporteurs maritimes et à leurs assureurs.
Or, ces acteurs n’ont jamais déployé une telle disposition : des ratés sont à prévoir, devant la volonté de la Russie et de certains alliés de la contourner.
Enfin, l’attitude des pays de l’OPEP+ (Organisation des pays exportateurs de pétrole et la Russie) a son importance. Ces pays n’apprécient guère cette tentative de « cartel » des pays acheteurs mise en place par les Occidentaux : ils craignent qu’une telle mesure soit par la suite élargie à d’autres pays membres.
Dans un tel contexte marqué par autant de secousses géopolitiques, l’or noir devrait se négocier en 2023 dans un marché aussi tendu qu’en 2022. Avec des répercussions imprévisibles sur l’économie et le portefeuille des consommateurs.
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