La donne change au Québec en matière de transition énergétique

Le Devoir, 18 février 2023

Il est beaucoup question de décarbonation de l’économie québécoise, notamment à la faveur des débats entre le gouvernement du Québec et Sophie Brochu, p.-d.g. d’Hydro-Québec, qui quittera son poste en avril. Le gouvernement doit, en effet, tenter une réponse aux industriels avides de notre électricité propre, fiable et bon marché dans ce contexte de transition énergétique. Des milliers de mégawatts supplémentaires sont espérés.

Toutefois, ces débats et questionnements sur la donne énergétique québécoise ne doivent pas nous faire oublier celle qui prévaut aux États-Unis. Pourquoi ? Parce qu’elle évolue rapidement et fortement, surtout en raison de l’adoption par le Congrès américain, en août dernier, de l’Inflation Reduction Act (IRA). Cette loi phare, mal nommée, n’est rien de moins que la législation la plus ambitieuse jamais adoptée aux États-Unis en matière de climat et d’énergie.

Les médias d’ici ont certes couvert cette nouvelle loi et ses conséquences, mais peu. Avec ses quelque 370 milliards $US qui seront versés en crédits divers dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, l’IRA aura pourtant des effets majeurs en matière d’énergie et autres.

Elle stimulera considérablement les investissements annuels dans le déploiement des énergies renouvelables aux États-Unis. Ceux-ci devraient passer de 64 milliards de dollars en 2022 à près de 114 milliards d’ici 2031, selon Wood Mackenzie. C’est colossal.

Les Américains ont la réputation de bouger très vite en matière d’énergie, surtout depuis la crise pétrolière des années 1970. Ce secteur est en effet considéré comme intimement lié à la sécurité nationale.

Un exemple récent de cette vélocité : la révolution des hydrocarbures de schiste, rendue possible par une approche novatrice dans l’extraction : le forage horizontal combiné à la fracturation hydraulique. L’ambiance était pourtant morose au début des années 2000 dans les milieux énergétiques aux États-Unis. Le pays entrevoyait des pénuries de pétrole et de gaz, qu’il devait donc se procurer en grande quantité à l’étranger. Mais grâce à une pluie de milliards venue d’investisseurs privés et destinée à extraire de vastes quantités d’énergies fossiles jusque-là inaccessibles, la « révolution » se mit en branle. Les États-Unis sont ainsi devenus le plus grand producteur de pétrole et de gaz au monde en un temps record.

La même chose s’est produite avec le gaz naturel liquéfié. Il y a seulement sept ans, les États-Unis n’exportaient aucun gaz naturel. Et en 2022, avec la guerre en Ukraine, les exportations du pays vers l’Europe décollèrent, au point qu’il est devenu le plus grand exportateur de gaz liquéfié au monde.

Avec l’IRA, de généreux crédits disponibles jusqu’en 2032 sont notamment attribués à la production locale d’énergies sans carbone. L’objectif déclaré est de réduire la dépendance des États-Unis à la Chine dans la production de panneaux solaires, d’éoliennes et de batteries, de même que dans l’approvisionnement des minéraux nécessaires à la mise en marché de ces équipements.

Ces montants sont tellement importants que le Canada et l’Europe s’inquiètent, et à raison. Les faveurs accordées à l’industrie américaine risquent de pousser leurs entreprises à déployer aux États-Unis leurs investissements prévus en matière d’énergies renouvelables.

Subitement depuis l’adoption de l’IRA, ces alliés historiques des États-Unis accusent un imposant retard en matière d’incitatifs à la transition. L’Europe y a d’ailleurs répondu ce mois-ci avec un Plan industriel du pacte vert, axé sur un déploiement plus rapide des projets d’énergies propres et un accès aux financements par le truchement d’allègements fiscaux.

Le gouvernement canadien a certes riposté lui aussi dans son énoncé économique de l’automne 2022 avec des crédits d’impôt à l’investissement pour les technologies propres et l’hydrogène produits sans émission. Mais plusieurs le talonnent afin qu’il se commette davantage lors de son prochain énoncé du printemps 2023, avec, par exemple, un engagement de consacrer 2 % du PIB aux investissements liés à la décarbonation.

Le prochain budget fédéral sera fort probablement un moment charnière dans les ambitions canadiennes en la matière.

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