Mines et transition énergétique: Produire nous-mêmes ou sous-traiter à d’autres pays?

Le Soleil, 24 février 2023
YVAN CLICHE
Retraité d’Hydro-Québec, fellow au CERIUM

POINT DE VUE / Alors qu’augmentent les besoins en minéraux nécessaires à la transition énergétique, les médias rapportent de plus en plus souvent des réactions de surprise de résidents québécois face aux activités perturbatrices de compagnies minières.

Ces compagnies ont en effet augmenté le nombre de claims sur le territoire québécois au cours des dernières années. Depuis 2020, le leur nombre aurait doublé, voire quadruplé dans certaines régions du Québec. (1)

Un claim, dit le site Internet du gouvernement du Québec, « confère à son titulaire le droit exclusif de chercher toutes les substances minérales du domaine de l’État. » Il est valide pour une période de deux ans, renouvelable.

Cette situation n’a rien de bien surprenant et ce, pour deux raisons. Premièrement, la transition énergétique dans laquelle se sont lancées nombre de juridictions à travers le nombre, et qui est essentiellement une transition vers l’électricité propre, exige l’usage de beaucoup de minéraux.

Selon la Banque mondiale (2), la production de minéraux pourrait augmenter de près de 500 % d’ici 2050, afin de répondre à la demande croissante de technologies énergétiques dites propres. Un véhicule électrique a besoin de six fois plus de minéraux qu’une voiture à essence, en raison de la batterie. Plus d’électricité veut aussi dire plus de lignes de transport, faites en bonne partie de cuivre.

La deuxième raison est bien connue : le Québec dispose de beaucoup de ces ressources utiles à la transition : cobalt, cuivre, graphite, lithium, nickel. Normal, donc, que les entreprises minières prospectent ce territoire.

Or, l’acceptabilité sociale autour de cette prospection est loin d’être acquise. Les citoyens, pris de court, se défendent tant bien que mal et demandent un moratoire sur ces activités jugées perturbatrices, parfois près de chalets où les Québécois vont chercher la quiétude.

C’est là une réaction bien légitime, mais qui nous confronte tout de même à de grands questionnements et dilemmes.

Nous sommes au fait de l’urgence climatique et de la nécessité de remodeler notre économie avec des technologies sans émission de gaz à effet de serre. Or, les constructeurs de véhicules électriques misent grandement sur la disponibilité accrue des minéraux, dès à présent et pour les prochaines années. Il faut donc agir, dans des délais raisonnables, sachant qu’entre la découverte d’un gisement minier et son exploitation, le délai minimum est de 10 ans.

Si des contrées nanties comme le Québec refusent sur leur territoire l’exploitation minière requise par la transition, ces minéraux devront être tirés d’autres territoires, qui se trouvent bien souvent dans des pays en développement ou émergents.

Émergent alors deux risques, dont le premier est celui de la concentration de la production et du raffinage dans certains pays producteurs. Cela aurait pour effet d’accroître la dépendance envers une poignée de pays, augmentant par la même occasion la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement. Le marché des minéraux est pour l’heure dominé par la Chine, une puissance avec laquelle les relations sont de plus en plus tendues.

Le second risque réside dans la gouvernance problématique, non-démocratique, de certains pays riches en ressources minières.

La République démocratique du Congo, par exemple, recèle 70% des réserves mondiales connues de cobalt. Or, son exploitation du minerai est pointée du doigt pour non-respect des droits humains et ses problèmes de corruption. (3)

En clair, l’un des principaux dilemmes de la transition énergétique telle qu’elle est envisagée est le suivant : soit les citoyens du Québec et d’autres nations démocratiques acceptent l’exploitation minière sur leur territoire; soit l’on délègue et concentre davantage cette activité dans des pays à la gouvernance parfois problématique, avec les risques que cela encourt.

La transition énergétique ne sera ni simple, ni linéaire. Elle impose des choix difficiles aux gouvernements et aux citoyens.

Yvan Cliche

Fellow, chercheur en énergie, Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM)

Références:

1-Radio-Canada, Le mouvement québécois pour un moratoire sur les claims miniers s’agrandit, 25 janvier 2023

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1950902/claims-mines-mouvement-blocage

2-Banque mondiale, Minerals for Climate Action: The Mineral Intensity of the Clean Energy Transition, 2020 https://www.commdev.org/publications/minerals-for-climate-action-the-mineral-intensity-of-the-clean-energy-transition/

3-La Presse, République démocratique du Congo-Dans l’enfer des mines de cobalt, 4 décembre 2022.

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