L’Inflation Reduction Act, le grand virage américain et mondial

Le Devoir, 17 août 2023

Yvan Cliche
L’auteur est fellow, spécialiste en énergie, au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.


Il y a un an cette semaine, les Américains adoptaient l’Inflation Reduction Act (IRA). Peu connue chez nous, cette loi est pourtant en train de révolutionner le paysage énergétique, économique et politique des États-Unis, et même du monde.

L’IRA est une loi tous azimuts dont la portée s’annonce aussi durable que profonde : en plus de l’énergie, elle englobe les questions du climat, de la réindustrialisation des États-Unis et de la sécurité nationale.

Sur le plan climatique, cette loi devrait permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’environ 40 % par rapport au niveau de 2005 aux États-Unis, et ce, d’ici la décennie 2030.

Sur le plan industriel, avec ses généreux incitatifs fiscaux en faveur des énergies à faible émission, l’IRA vise à attirer des investissements massifs dans la construction d’usines qui serviraient à la production de véhicules électriques, de batteries, de bornes de recharge, de panneaux solaires, d’éoliennes et d’hydrogène. Selon Goldman Sachs, cette loi suscitera d’ici 2032 des investissements colossaux (3000 milliards de dollars) dans les technologies à faible émission de carbone.

En toile de fond, cette réindustrialisation voulue par le gouvernement Biden repose aussi sur des raisons de nature politique. Il espère en effet que l’IRA, par la création de bons emplois industriels, tempérera la rancoeur d’une frange importante de la population américaine à l’égard de la désindustrialisation entreprise dans les années 1980, laquelle a grandement contribué au phénomène Trump. Entre 1979 et 2019, les États-Unis ont perdu près de 7 millions d’emplois dans le secteur manufacturier. Une chute de 35 %.

Enfin, l’IRA est aussi pour Washington une politique de sécurité nationale. Tout comme le CHIPS and Science Act, signé en 2022 et visant le rapatriement de la production de micropuces (pour les ordinateurs, les appareils électroniques, etc.), l’IRA cherche à ramener en territoire américain des chaînes d’approvisionnement stratégique liées à la transition énergétique. Car aujourd’hui, la Chine domine à hauteur de 80 % la chaîne d’approvisionnement mondiale en panneaux solaires (et en minéraux nécessaires à leur fabrication). Une situation inconfortable pour Washington en raison des tensions avec Beijing.

Ce tournant géopolitique impulsé par l’IRA est confirmé dans un discours important livré en avril par le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan. Celui-ci soulignait combien la pandémie et l’action de la Russie en Ukraine ont fait prendre conscience à tous des dangers d’une dépendance dans l’approvisionnement en biens stratégiques. Il y constate les failles des chaînes d’approvisionnement localisées à l’étranger au nom d’un marché mondialisé qui est supposément plus efficient, mais qui place le pays dans une situation de vulnérabilité.

Pour y remédier, il préconise donc un grand virage guidé par des politiques vigoureuses et appelant les gouvernements à investir massivement dans la transition énergétique et dans la mise en place de chaînes d’approvisionnement diversifiées permettant son déploiement.

Le Québec doit en tenir compte, au risque de manquer le train de cette vaste transition. Cet automne, l’adoption de nouvelles lois concernant Hydro-Québec et la Régie de l’énergie est prévue. C’est un événement rare au Québec, et il devrait placer la transition vers des énergies propres au coeur du mandat des deux organismes.

Cette nouvelle gouvernance de nos institutions énergétiques est devenue nécessaire dans un contexte de concurrence accrue pour les usines productrices de technologies vertes. Elle devrait inciter le Québec à accélérer la cadence en matière de transition, à l’exemple de notre voisin américain.







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