Conflit au Proche-Orient: le risque d’une escalade régionale pourrait enflammer les cours du pétrole

Le Soleil, 3 novembre 2023

Par Yvan Cliche, spécialiste en énergie et fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM)

À travers la multitude de rapports des institutions multilatérales, un en particulier attire l’attention : Commodity Markets Outlook, publié le 30 octobre par la Banque mondiale. Il expose les risques d’augmentation du prix du pétrole advenant un embrasement régional au Proche-Orient, au-delà de la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza.


L’exercice est loin d’être futile, car cette guerre se situe dans un lieu névralgique : les pays de la région produisent 40 % du pétrole mondial, et celui-ci est envoyé dans un couloir maritime, le détroit d’Ormuz, avec des bateaux qui transportent près du quart de la consommation quotidienne d’or noir.

Jusqu’à présent, le conflit n’a pas trop affecté le prix du baril, qui n’a augmenté que d’environ 5 % depuis le 7 octobre. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, l’Irak, et surtout l’Iran, allié des forces politiques liguées contre Israël, ne sont pas directement impliqués sur le plan militaire, et leurs installations pétrolières ne risquent pas, pour le moment, d’être endommagées.

Si l’Iran s’en mêle

Toutefois, avec une implication armée plus directe de l’Iran, et une réplique possible d’Israël, les répercussions sur le marché pétrolier risquent d’être très importantes.

Pour le moment, le prix de l’indice WTI avoisine les 90 $ le baril, dans la même fourchette de 80 $ à 90 $ le baril, connue en 2023. Signe que le marché n’anticipe pas trop un scénario catastrophe.

Toutefois, les États-Unis, prudents, ont tout récemment annoncé un allégement des sanctions contre le pétrole vénézuélien, sous prétexte de concessions politiques du régime en place.

Le scénario le plus pessimiste de la Banque mondiale est lié à un embrasement du conflit, qui deviendrait ainsi une guerre régionale. Ce n’est pas une avenue à prendre à la légère quand on lit les déclarations belliqueuses des dirigeants iraniens, qui donnent souvent l’impression d’une volonté d’en découdre frontalement avec l’État hébreu.

Dans un tel scénario, l’approvisionnement pourrait chuter de presque 8%, soit 8 millions de barils sur les 100 millions consommés quotidiennement, avec un prix du pétrole qui pourrait avoisiner les 150 $

La Banque mondiale ne manque pas de souligner l’effet délétère d’un tel développement, dont une hausse du prix des aliments et des matières premières, avec des retombées politiques imprévisibles pour les populations déjà aux prises avec une inflation galopante depuis deux ans.

Un prix politique aux États-Unis

Les impacts aux États-Unis seraient majeurs : toute hausse des prix à la pompe favoriserait clairement le candidat républicain aux élections de 2024.

Pour pallier cette éventualité, le président Biden serait assurément tenté de reprendre une manœuvre réalisée en 2022, soit celle d’utiliser les stocks de pétrole du Strategic Petroleum Reserve (Louisiane, Texas). Or, ceux-ci ont été déployés à hauteur historique en 2022, avec 200 millions de barils mis sur le marché pour atténuer la hausse des coûts de l’énergie découlant de la guerre en Ukraine.

Ces stocks ont donc diminué de manière substantielle, et plusieurs reprochent au président d’avoir mis les États-Unis en situation de vulnérabilité en cas d’un autre choc majeur de l’approvisionnement. Bref, la marge de manœuvre des États-Unis pour réduire les contrecoups d’une hausse du prix du pétrole s’est rétrécie.

Il reste l’Arabie saoudite. Ce pays est le seul au monde à produire un peu plus que ses besoins, afin de disposer de barils prêts à être utilisés en cas de disruption du marché.

Mais, en cas d’explosion des cours mondiaux, l’Arabie sera soucieuse de ne pas apparaitre trop alignée sur les intérêts de l’Occident, qui ferait pression sur elle pour stabiliser le marché.

Bref, une épée de Damoclès est suspendue au-dessus du marché pétrolier et de l’économie mondiale. Après avoir été fortement perturbé en 2022 par l’invasion russe, le secteur de l’énergie est à l’aube d’une autre crise, encore une fois de nature politique, aux conséquences toutes aussi ravageuses.

Yvan Cliche, spécialiste en énergie et fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM)

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