Une ambition énergétique qui devrait transformer profondément le Québec

Le Devoir, 4 novembre 2023

Yvan Cliche

L’auteur est spécialiste en énergie et fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).

Avec son « Plan d’action 2035. Vers un Québec décarboné et prospère », pleinement aligné sur les besoins de la transition énergétique, le Québec affiche ouvertement sa volonté d’être dans le peloton de tête des États lancés dans la grande bataille mondiale des économies vertes.

C’est donc un plan porteur pour le Québec, au moment où plusieurs experts annoncent que les grandes puissances économiques de demain seront celles qui réussiront à se distinguer avec une économie sans émission nette de gaz à effet de serre responsable du dérèglement du climat.

Le plan impressionne d’abord par l’ajout de capacité de production électrique. Hydro-Québec considérait déjà comme une réalisation remarquable l’ajout d’une capacité de plus de 4000 mégawatts entre 2005 et aujourd’hui. Or, d’ici 12 ans, on veut ajouter plus du double, soit 9000 mégawatts. Ces ajouts nécessiteront 5000 kilomètres de lignes de transport. C’est fort ambitieux.

Miser sur l’éolien

L’éolien apparaît comme le grand gagnant de ce plan, avec un ajout de 10 000 mégawatts, soit 2,5 fois la capacité actuelle. Hydro-Québec entend même explorer l’éolien en mer, une énergie déjà ancrée en Europe, mais qui a présentement du mal à s’implanter en Amérique dans un contexte de difficultés des chaînes d’approvisionnement, de hausses des taux d’intérêt et d’inflation.

Hydro-Québec démontre son sérieux en efficacité énergétique avec 21 térawattheures d’économies visées en 12 ans. C’est considérable : on parle d’une quantité d’énergie équivalant à deux fois le contrat d’exportation vers New York. En la matière, on passe de l’appel à la vertu des citoyens, souvent sans portée majeure, à des actions concrètes pour véritablement dégager de l’énergie plus utile pour d’autres besoins.

La société d’État a aussi compris le message envoyé en décembre 2022 par la vérificatrice générale du Québec quant à l’état de son réseau. Sa performance en matière de nombre et de durée des pannes est en effet à la baisse, un fait troublant quand on connaît l’extrême importance de l’électricité au Québec, qui sert au chauffage.

Autre nouveauté de ce plan : pour la première fois, Hydro va se lancer dans une des options les plus porteuses en matière de stockage les réserves pompées. Cette technologie est en vogue en ce moment pour pallier l’intermittence des énergies solaire et éolienne. Elle s’impose désormais comme une solution obligée, notamment du fait que les batteries ne peuvent emmagasiner l’énergie que quelques heures, ce qui est insuffisant pour gérer un réseau qui a des besoins à couvrir sur des durées beaucoup plus longues.

Devenue la nouvelle « reine » de l’énergie, selon l’Agence internationale de l’énergie, Hydro-Québec épouse enfin la filière solaire, jugée autrefois sans intérêt du fait qu’elle ne peut contribuer en période de pointe. La société d’État favorisera sa pénétration dans des dizaines de milliers de résidences. Dans un nouveau monde où chaque kilowattheure compte, cet apport sera certes moins stratégique que l’éolien, mais il sera bénéfique.

Qui payera la facture ?

Il existe cependant des inquiétudes après l’annonce de ce plan. Avec un triplement au minimum de ses investissements pour faire face à ces grands chantiers, les dépenses d’Hydro devraient exploser. Sans conteste, cela aura un impact sur les tarifs. Même si on indique vouloir limiter les hausses à l’inflation pour le secteur résidentiel, il est clair que l’argent ne tombera pas du ciel. À l’annonce de ce plan, les clients commerciaux et industriels d’Hydro-Québec auront raison de se questionner.

Dans ce registre, il apparaît clair que le gouvernement du Québec devra se montrer bien moins exigeant quant au dividende annuel exigé à sa société d’État. Celle-ci aura bien besoin de ses bénéfices nets pour réaliser tous ses grands investissements.

De même, on le sait, ces projets exigeront une vaste quantité de main-d’oeuvre qu’Hydro-Québec estime à 35 000 travailleurs liés à la construction. Les autres secteurs économiques se poseront assurément la question d’une possible concurrence des projets de la société d’État, une entreprise à la poche profonde, au détriment d’autres activités.

Enfin, comment réagiront les communautés à tous ces projets qui modifieront grandement le paysage ? La question de l’acceptabilité sociale sera au coeur des nombreux travaux sur tout le territoire du Québec. Pour les Autochtones, le Québec innove avec une offre de financement concessionnel, donc avantageuse, pour des prises de participation directe dans les infrastructures à mettre en place.

Ce ne sont pas là de minces défis. Mais ils sont porteurs d’avenir, et ils répondent au grand défi de notre temps, soit la question du climat. Avec ce plan, le Québec indique qu’il entend prendre ses responsabilités. Mieux, qu’il vise à devenir un acteur phare dans ce domaine.



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