Le Devoir, 24 janvier 2024
Yvan Cliche
L’auteur est fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) et ex-délégué commercial à Hydro-Québec.
Ces derniers jours, un débat a été lancé au Québec au sujet du nouvel encadrement attendu sur la production d’électricité. Ce dossier est d’une grande importance pour le Québec. Nous serions collectivement bien avisés de n’aller ni trop loin ni trop vite en la matière. Nous avons un système électrique efficace, qu’on peut certes ajuster, mais pas bousculer.
Depuis la création d’Hydro-Québec, en 1944, la nationalisation des entreprises privées d’électricité, au début des années 1960, et la mise en exploitation d’imposants actifs de production d’hydroélectricité, notamment au Manicouagan, puis à la Baie-James, Hydro-Québec est un véritable modèle dans le domaine de l’électricité.
À mon avis, la nationalisation en 1963 s’avère la décision de politique publique la plus importante de toute l’histoire du Québec. Et le développement hydroélectrique qui s’est ensuivi : notre plus grande réussite collective.
Avec Hydro-Québec comme maître d’oeuvre et en équipe avec le privé pour la réalisation des projets, le Québec a coché toutes les cases du trilemme énergétique, le souci stratégique de tous les États : nous avons une plus grande autonomie énergétique, nous avons fourni à tous un accès à l’électricité et nous avons misé sur une énergie propre.
Nous avons une société d’État efficace, qui fournit une électricité fiable à bas coût, et qui procure, année après année, de juteux dividendes à son actionnaire gouvernemental.
Hydro-Québec investit annuellement des milliards dans l’économie, et crée ainsi de la richesse partout sur le vaste territoire québécois. En plus, elle contribue au développement d’une industrie électrique forte qui, en exportant ses produits et son expertise, fait rayonner le Québec partout dans le monde.
Un modèle à faire évoluer ?
Au sujet de ce modèle de gouvernance, quelques rappels s’imposent. Malgré l’impression qu’on peut avoir, Hydro-Québec n’a pas la mainmise sur toute la production d’électricité au Québec.
Des entreprises, grandes consommatrices d’électricité, s’occupent de leur propre fourniture aux fins de leur production industrielle. Des producteurs hydroélectriques ayant des centrales d’une capacité de 50 mégawatts ou moins envoient de l’électricité au réseau. Des producteurs privés, en éolien et en biomasse, fournissent près de 10 % de l’électricité consommée au Québec.
Avec le temps, ces approvisionnements ont permis de diversifier la production électrique du Québec, un peu trop axée sur la grande hydraulique, et de maintenir à un niveau plus confortable nos réservoirs d’eau, notre principal atout.
Avec la transition énergétique voulue par le Québec, laquelle impose un vaste déploiement de projets d’équipements électriques beaucoup plus difficiles à faire accepter par les citoyens (centrales, postes, lignes), est-il possible de maintenir le même modèle ?
Le faire évoluer, vers plus de flexibilité, est certes une avenue à envisager. Tout modèle est appelé à changer selon les besoins de son époque. Le gouvernement a consulté à cette fin des experts et des organismes en 2023 et a reçu plus d’une centaine de mémoires. Un bel effort, mais de basse intensité et pas à la hauteur de l’enjeu de la transition.
Des questions importantes sans réponse
Il aurait aussi fallu débattre de ces contrats d’électricité envisagés à plus grande échelle entre entreprises privées : qu’adviendra-t-il des actifs si ces entreprises font faillite ?
Ce n’est pas théorique. Hydro-Québec se souvient encore de la chute spectaculaire de la demande d’électricité des papetières, à partir de 2008, qui a entraîné de grands surplus à la recherche de débouchés.
Ces surplus ont contribué à la décision sur la fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2 (2012), dont on aimerait bien ravoir les 675 mégawatts de puissance installée aujourd’hui.
Nous voulons des projets éoliens de producteurs privés pour alimenter de grandes entreprises ? Très bien. Or, les éoliennes fournissent de l’énergie 35 % du temps. Qui alimentera les entreprises le reste du temps et qui assurera l’équilibrage ? Les éoliennes ne fournissent pas par temps très froid. Qui y suppléera ? Si ces entités veulent revendre leur surplus, ce sera à qui et à quel prix ?
Bref, tout cela exige que les citoyens prennent conscience de ce que cette transition énergétique implique. Tous les Québécois ne sont pas encore au diapason de cette nouvelle donne.
Avant de s’engager dans toute modification législative et réglementaire à portée potentiellement historique qui semblerait bousculer un modèle qui nous a tant réussi, et devant l’ampleur des défis de l’électrification massive requise par la transition, le gouvernement serait avisé de consulter davantage les Québécois.
Cela serait dans son intérêt. Il doit aider la population à mieux comprendre l’avenir qui se prépare, l’aider à cheminer et obtenir son appui à ce vaste projet collectif qui définira très nettement ce que sera le Québec de demain.
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