Le Soleil, 3 mai 2024
Par Yvan Cliche, fellow et spécialiste en énergie au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM)
POINT DE VUE / Le secteur du pétrole en Alberta vit un moment historique avec l’ouverture du nouveau tronçon du pipeline Trans Mountain entre cette province et la Colombie-Britannique.
Ce pipeline vient tripler la capacité d’exportation de pétrole de l’Alberta vers les marchés mondiaux, notamment en Asie. Depuis les années 1950, le tronçon initial permettait le transport de quelque 300 000 barils par jour. Avec le nouveau tronçon, inauguré le 1er mai, cette capacité augmente à presque 900 000 barils par jour.
Trans Mountain permet donc de désenclaver l’accès à cette ressource phare de l’Alberta dont le drame est de ne pas pouvoir profiter sur son territoire d’un port de mer pour envoyer son pétrole et son gaz à des clients étrangers.
Cet ajout de capacité de production pourrait être bénéfique pour les cours du pétrole, devant la volonté de l’OPEP+ de limiter sa production pour maintenir les prix à un niveau élevé.
De plus, le pipeline aidera les entreprises pétrolières albertaines à obtenir de meilleurs prix pour leurs produits. Presque toutes les exportations de pétrole de la province vont aux États-Unis, à prix réduit étant donné l’absence d’accès maritime pour la circulation de son pétrole. Les acheteurs américains le savent, et profitent, depuis nombre d’années, d’un rabais sur le cours du pétrole albertain.
Ces cours plus élevés devraient représenter de meilleures recettes fiscales pour l’économie canadienne, potentiellement de plus 50 milliards d’ici les 20 prochaines années, disent certains analystes.
Un projet éminemment controversé
La construction de ce projet n’a pas été un long fleuve tranquille. Il s’agit pourtant d’une infrastructure assez simple en matière d’ingénierie : un tuyau à enfouir, mais sur plus de 1100 kilomètres.
Il aura connu presque toutes les difficultés possibles et inimaginables : respect obligatoire de centaines de règlements gouvernementaux, controverses écologiques, manifestations, contestations civiles et autochtones, avec à la clé des arrestations policières, poursuites judiciaires, disputes politiques amenant une guerre commerciale entre l’Alberta et la Colombie-Britannique et de longs délais dus notamment à la COVID-19 et à des catastrophes naturelles, comme des feux de forêt et des inondations.
Sans compter les Accords de Paris de 2015 qui ont jeté un doute sur les projets d’expansion de ce pétrole responsable du dérèglement du climat.
Tout cela a contribué à une explosion stratosphérique des coûts. En 2012, le coût du projet avait été initialement estimé à cinq milliards de dollars. Douze ans plus tard, la facture finale s’élève à 34 milliards.
Ces embûches ont amené le gouvernement fédéral à prendre possession du pipeline en 2018 ; le tuyau passe en majorité en territoire autochtone. L’opérateur initial, la société américaine Kinder Morgan, avait perdu tout espoir de compléter le pipeline devant les nombreuses conditions imposées à sa réalisation.
Le projet sera-t-il rentable ? Chose certaine, il devrait pouvoir fonctionner à bonne capacité, étant donné l’appétit des firmes albertaines à pouvoir obtenir un meilleur accès au marché mondial.
Mais sa rentabilité dépendra surtout des prix futurs du pétrole et de la demande mondiale pour l’or noir dans un contexte de transition énergétique, et particulièrement sur le continent asiatique en pleine croissance.
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