Le Devoir, 24 juillet 2024
100e CERIUM
Yvan Cliche
L’auteur est fellow et spécialiste en énergie au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).
Les récents événements en politique américaine, notamment l’attentat contre Donald Trump, la convention républicaine et l’obligation pour les démocrates de vendre un tout nouveau candidat à la place de Joe Biden, rendent plus plausible une victoire des républicains lors des élections de novembre.
Chez les tenants de la transition énergétique, ce scénario suscite beaucoup d’inquiétudes. Lors de leur récent rassemblement tenu à Milwaukee, les républicains ont bien peu parlé de changements climatiques et des mesures à prendre pour les combattre.
On entend d’eux une profession de foi à l’égard des énergies fossiles et des attaques contre les technologies en faveur de la transition énergétique. Leur devise, fièrement affichée, est : drill, baby drill. Une telle approche du « tout aux fossiles » va à l’encontre des intérêts américains.
Si les États-Unis sont des acteurs dominants en matière de pétrole et de gaz, ils se sont aussi lancés, en 2022, avec la Loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act — IRA), dans une course aux investissements proclimat. Ceux-ci devraient permettre au pays de devenir un leader des technologies liées à la transition énergétique d’ici une dizaine d’années et une grande puissance énergétique, toutes énergies confondues.
Du côté des énergies fossiles, il ne s’est jamais autant produit de pétrole et de gaz aux États-Unis. Sous Biden-Harris, le pays est devenu le plus grand producteur de tous les temps avec 13 millions de barils de pétrole par jour.
Il n’aura fallu que quelques années aux États-Unis pour se hisser au sommet. À partir de 2006-2008, en maîtrisant la production dite de schiste, les exploiteurs américains sont devenus les premiers producteurs d’or noir au monde.
En matière de gaz, il s’en produit tellement aux États-Unis que les prix sont très bas depuis des mois. En 2022, les Américains ont même surpassé le Qatar comme premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié, aidant du même coup les Européens à couvrir leurs pressants besoins en énergie, avec les interruptions du gaz provenant de la Russie à la suite de son invasion de l’Ukraine.
Du côté des énergies renouvelables, avec l’IRA, il s’est investi plus de 300 milliards de dollars en matière d’énergie décarbonée : les usines de production de panneaux solaires et de batteries se multiplient sur le territoire américain, avec à la clé la création de plus de 300 000 emplois.
Ces investissements se réalisent notamment dans des régions du Midwest, dans des États comme la Géorgie, le Michigan et le Tennessee, où vivent plusieurs sympathisants du Parti républicain. On parle même d’une battery belt pour évoquer ce qui se met en place chez nos voisins du Sud.
Concurrence chinoise
L’IRA vise également un objectif stratégique cher aux partisans républicains : réduire la dépendance des États-Unis envers la Chine. Car la Chine s’est lancée, il y a 30 ans et à une vitesse impressionnante, dans la production d’électricité renouvelable pour combler ses besoins énergétiques grandissants.
Elle a ainsi acquis un contrôle décisif sur les chaînes d’approvisionnement liées aux énergies renouvelables : par exemple, plus de 80 % des panneaux solaires dans le monde sont produits en Chine. Cette suprématie s’étend aux minéraux dont dépend le fonctionnement des technologies décarbonées.
Dans un monde qui doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre, les pays qui agissent en premier dans ces nouveaux créneaux industriels se donnent la chance de prendre des parts stratégiques d’un marché appelé à une croissance exponentielle.
Il est irresponsable de vouloir réduire la voilure sur cette percée américaine, comme l’envisagent les républicains. Les États-Unis figurent au second rang des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre et ils doivent fournir des efforts dans la lutte contre le dérèglement climatique.
La posture des républicains sur le climat laisse aussi le champ libre à la Chine, qui en profiterait pour consolider sa position centrale d’exportatrice de ces technologies recherchées par tous les pays. La compétitivité des États-Unis serait mise en péril dans une économie internationale qui se construit autour de l’objectif de décarbonation.
Les républicains veulent faire des États-Unis un pays « energy dominant », selon leur propre slogan. Ils devraient plutôt encourager ce bel élan entrepreneurial insufflé chez eux depuis deux ans avec des énergies renouvelables.
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