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Se dire Arabe au Canada

Nuit blanche, no. 146, printemps 2017.

Houda Asal, SE DIRE ARABE AU CANADA. UN SIÈCLE D’HISTOIRE MIGRATOIRE, Les Presses de l’Université de Montréal, 2016, 279 pages.

On le sait, l’immigration a fortement façonné notre paysage social depuis 30 ans. Cela ne va pas sans conséquence, comme on le constate avec la percée des mouvements dits populistes, aux États-Unis comme en Europe qui fondent leur propagande sur le trop grand afflux d’« étrangers ».

Ici au Québec, une grande population arabophone a pris racine, notamment venant du Maghreb (Tunisie, Algérie, Maroc), attirée ici en raison du français, leur langue seconde, sans compter que les immigrants de ce pays ne se sentent plus les bienvenus en France, leur pays traditionnel d’émigration.

Étonnamment, la présence arabophone remonte aussi loin que le 19e siècle, soit 1882 à Montréal, rappelle l’auteure, chercheure d’origine française qui s’est intéressée aux porte-voix de la communauté arabe au Canada jusque dans les années 1970.

L’auteure note que les arabophones, beaucoup des commerçants chrétiens tenant de petites boutiques familiales, se sont initialement regroupés, sans surprise, autour de leurs institutions religieuses. Mais sur le plan politique, ils se sont beaucoup positionnés dans un « entre-deux », une « position intermédiaire, oscillant entre la volonté de se « rapprocher de la catégorie majoritaire » et le choix de « résister plus frontalement à ces catégories en dénonçant le racisme dont elle était l’objet » (pp.11-12)

La période d’affirmation politique  se consolide à partir de 1967, avec la guerre des Six Jours : la communauté cherche alors à se donner davantage de visibilité et d’un poids politique qu’elle n’a pas encore vraiment obtenu. Elle a aidé en cela par la mise en place du multiculturalisme au Canada et par l’importance accru du conflit israélo-arabe qui occupe le devant de la scène à l’international.

Le portrait change considérablement au tournant des années 1980. La plupart des migrants arabes au Canada arrivent après cette période, entraînant une diversification, et une plus grande hétérogénéité, de la communauté. Des arabophones de la Syrie-Liban de religion chrétienne, on bascule, notamment dans le cas du Québec,  vers une immigration arabophone venant du Maghreb, de religion musulmane. Ce qui accentue la fragmentation, l’absence de cohésion de la mobilisation arabophone, qui est une des faiblesses historiques de la communauté dans son action communautaire et politique au Canada.

L’image de la communauté aussi en prend un coup, en raison du terrorisme utilisé par les Palestiniens dans leur lutte contre Israël, puis par les radicaux islamistes, et qui force les activistes arabophones à « militer dans un climat de suspicion », analyse l’auteure.

Résultat ? : La place des Arabes au Canada « semble plutôt s’être dégradée » depuis leur présence remontant à maintenant 130 ans : les Arabo-musulmans « font désormais partie des groupes les plus stigmatisés au Canada ». (p.258) Mais l’auteure ne nous laisse pas sur ce constat négatif : la mobilisation reste active et efficace au sein de la communauté, mais le défi devant elle reste titanesque….et d’autant plus urgent depuis le macabre attentat dans une mosquée de Québec en ce début d’année 2017.

 

Mieux vaut vivre au Canada

La Presse, 26 novembre 2000
L’auteur habite Montréal.

DU 4 AU 12 NOVEMBRE 2000, j’ai séjourné à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. C’était la première fois que je me rendais dans un État du sud des États-Unis (hormis la Floride, bien entendu).

Comme je le fais toujours lorsque je suis en déplacement, j’ai lu avec intérêt le quotidien de la ville, nommé le Times-Picayne, question de découvrir les principaux enjeux d’actualité de la communauté locale.

Rapidement, un élément a piqué mon attention. Presque quotidiennement, le journal rapportait dans sa section locale un crime violent, avec utilisation d’une arme à feu.

Édition du 5 novembre : on apprend qu’un garçon de 14 ans est dans un état critique, mals stable, après avoir reçu une balle reçue à l’abdomen lors d’une fête locale qui a mal tourné.

7 novembre : la propriétaire d’un magasin d’alimentation est assassinée par balle en plein visage quand trois hommes, dont deux armés, tentent de faire main basse sur le tiroir-caisse.

Le même jour, on apprend qu’un homme est arrêté pour avoir tiré au hasard des balles de plomb, qui ont atteint cinq personnes ; cette dernière nouvelle ne fait l’objet que d’un entrefilet dans le journal.

8 novembre : la police abat de 11 balles un homme ayant pointé un objet suspect en leur direction.

Le même jour, une lectrice fait parvenir au journal une lettre de remerciements aux policiers pour leur réaction vive et rapide à une tentative de vol à main armée à son endroit. L’incident s’est produit tôt en soirée, sur la même rue où est situe notre hôtel.

10 novembre : deux voleurs s’emparent de l’argent de la caisse d’un Holiday Inn, en menaçant les employés avec une arme à feu.

11 novembre : un propriétaire de magasin tire à bout portant sur un assaillant l’ayant menacé avec un revolver.

Il ne s’agit-là que des faits que j’ai recensés. Le jour de mon arrivée et le jour de mon départ, d’autres événements violents se sont produits, mais je n’y ai pas trop porté attention. La première fois, en pensant que c’était un événement isolé : la deuxième fois, parce j’étais devenu presque dépassé par ce spectacle quotidien de violence armée.

Intrigué, j’ai consulté le site Internet de la police de la Nouvelle-Orléans. En 1999, 162 meurtres s’y sont produits, soit presque un meurtre tous les deux jours, et ce pour une ville d’environ 500 000 habitants.

En comparaison, sur le territoire de la CUM, en 1998, derniers chiffres disponibles sur Internet, 41 meurtres ont été perpétrés pour une agglomération largement plus Importante. Même si la situation s’améliore, insiste la police de la Nouvelle-Orléans, elle demeure, on en conviendra, alarmante par rapport aux standards canadiens.

Diviser pour régner

Le Devoir, le 1er décembre 1980
Yvan Cliche, étudiant à l’Université de Montréal

L’Assemblée nationale n’a pu réaliser l’unanimité si nécessaire contre le projet de rapatriement unilatéral du gouvernement fédéral. Ce vote, historique s’il en est un, est, à notre avis, d’une conséquence extrêmement fâcheuse pour la population du Québec dans ce débat autour de la Constitution.

Pourtant, au départ, le texte soumis par le gouvernement du Parti québécois semblait neutre et sans attaches partisanes. Il a cependant fallu que l’opposition libérale exige de la majorité la reconnaissance des avantages du fédéralisme canadien, geste cynique et amplement provocateur pour un gouvernement souverainiste.

Ainsi donc, l’attrait du vote et la stratégie politique a quand même dominé le débat, un des seuls, où vraiment, le peuple attendait de ses élus qu’ils quittent le champ électoral pour faire passer un premier rang l’intérêt supérieur de la nation.

On peut donc s’attendre à ce que les tergiversations de coulisses du gouvernement québécois n’aient dorénavant aucune force à Westminster. Il en est de même des divers mouvements d’opposition se créant en ce moment au Québec.

En effet, comment justifier une opposition valable contre ce coup de force alors que la première institution représentant le peuple québécois n’est pas unanime contre le projet? Encore une fois, les antagonistes à l’action du pouvoir central seront identifiées comme des indépendantistes, ce qui rendra presque irréalisable une résistance bénéfique devant ce coup d’État déguisé.

En outre, comble de la résignation, le PLQ, par la voix de son chef, ouvre la porte à un consentement du rapatriement unilatéral, sans charte des droits. Jamais un chef politique québécois, aspirant en plus à devenir chef de l’État, n’avait fait pareil compromis.

Devenus maitres du marketing politique d’inspiration machiavélique, M. Trudeau et ses conseillers ont demandé plus pour obtenir un peu moins, comme dans toute bonne négociation syndicale-patronale.
Ainsi, en requérant le rapatriement de la Constitution avec charte des droits, le gouvernement fédéral, devant l’ampleur de l’opposition manifestée, acceptera le retrait de sa charte des libertés, mais rapatriera la loi fondamentale du pays et aura donc ce qu’il voudra.

Tout compte fait, les provinces s’en accommoderont et se contenteront de cette victoire partielle. Mais M. Trudeau aura récolté ce qu’il désirait : la Constitution à Ottawa et son nom dans les livres d’histoire. Le triomphe lui appartiendra donc entièrement.

Ce scénario n’est pas aussi impossible qu’il en a l’air. Avec le présent gouvernement à Ottawa, tout nous est permis. Il est à espérer que les forces fédéralistes au Québec, royalement trompé par le premier ministre canadien lors du référendum, ne cèderont pas à la résistance contre le rapatriement unilatéral, et ne tomberont pas dans le jeu à vainqueur unique que lui soumet le gouvernement central.