Le Soleil, 8 octobre 2022
POINT DE VUE / L’hiver se pointe et la nervosité s’accroit en Europe avec le froid qui commence à s’installer. Ces températures plus fraiches confrontent plus que jamais le vieux continent au lourd défi qui l’attend: disposer suffisamment de gaz.
Même si du gaz russe est encore acheminé vers l’Europe, la Russie fournit cette année à l’Europe 80% moins de gaz qu’en 2021.
Pour compenser, l’Europe a acheté à grands frais tout ce qu’elle pouvait sur le marché mondial afin de renflouer autant que possible ses réserves de gaz pour l’hiver. De ce côté, la situation est encourageante, puisque le taux de remplissage avoisine les 90%, supérieur au 80% fixé au début de la crise.
Les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) venant des États-Unis ont aidé: elles ont crû de plus de 60% entre janvier et juin. Le fait que la Russie a littéralement donné à son grand rival le marché européen de gaz, qu’elle dominait totalement, est l’un des grands bouleversements géopolitiques de cette guerre énergétique menée en 2022 en Europe.
Pour la suite des choses, la rigueur de l’hiver déterminera en bonne partie le sort du conflit en Ukraine presque autant que les grands calculs géopolitiques de la part des grandes puissances.
Car la consommation de gaz en Europe est étroitement liée à la température. Le continent consomme en général presque trois fois plus de gaz en hiver qu’en été: pour le chauffage, la production d’électricité et les besoins industriels.
Un hiver froid et rigoureux serait donc de mauvais augure pour la paix sociale sur le continent. Poutine mise assurément sur cette éventualité pour inciter les populations à faire pression sur leurs gouvernements pour mettre fin aux sanctions contre Moscou et rétablir les livraisons de gaz. À l’inverse, un hiver doux permettrait aux pays européens de passer la crise sans trop d’inconvénients.
D’autres facteurs joueront un rôle critique: la reconduction ou non des mesures de confinement en Chine, grand importateur de gaz. Ses importations ont diminué de près de 15% en 2022, la plus grande chute enregistrée depuis que ce pays importe du GNL. En réduisant la pression sur les prix du gaz, cette contraction de la demande chinoise a bien sûr aidé l’Europe.
La solidarité européenne sera également déterminante. Les pays disposant de certaines marges de manœuvre dans leur approvisionnement voudront-ils en faire profiter leurs voisins?
Malgré les incertitudes qui pèsent sur le prochain hiver, celui qui suivra en 2023-2024 pourrait être encore plus problématique.
Si la Russie, comme cela est fort possible, maintient son faible niveau d’approvisionnement ou l’interrompt complètement, il sera plus difficile pour l’Europe de renflouer suffisamment ses réserves dans un marché du GNL produisant à pleine capacité.
L’Europe n’est pas sortie du bois. Elle subit frontalement les effets de sa lourde dépendance énergétique envers un fournisseur, la Russie, résolument décidé à exploiter cette vulnérabilité.