La Presse, 9 mai 2023
Une consultation du gouvernement du Québec est prévue le 15 mai sur « l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec ». Celle-ci arrive à point nommé, puisqu’elle permettra de prendre du recul sur le développement de notre électricité dans le cadre de la transition énergétique. Il s’agit d’une étape nécessaire afin de bien dessiner la feuille de route qui balisera son usage.
YVAN CLICHE
FELLOW, CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHES INTERNATIONALES DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL ET INSTITUT CANADIEN DES AFFAIRES MONDIALES
Avec l’adoption de mesures phares en faveur du climat aux États-Unis (Inflation Reduction Act), en Europe (REPower EU) et l’adoption du dernier budget fédéral canadien, qui prévoit quelque 80 milliards pour le développement des énergies décarbonées, l’enjeu de la transition énergétique est maintenant bien ancré dans l’agenda des décideurs publics.
Du côté citoyen, avec les pannes vécues chez nous lors du récent épisode de verglas, de même qu’aux États-Unis fin 2022, notamment au New Jersey, de plus en plus de gens prennent conscience de l’importance d’un réseau d’électricité robuste, capable de résister aux caprices du climat.
Cette robustesse du réseau électrique est en effet devenue impérative, car notre dépendance à l’égard de l’électricité s’en va croissant.
De plus en plus d’activités humaines (transport, industrie, numérique, etc.) reposent sur un approvisionnement en électricité.
La transition énergétique est en fait une transition vers l’électricité propre, doublée d’une utilisation plus efficace qu’autrefois de celle-ci qui devrait nous amener à en consommer moins pour le même niveau de confort ou de productivité.
Une mission complexe
Si, auparavant, la tâche principale des entreprises d’électricité était d’assurer un approvisionnement fiable au meilleur coût, leur mission est désormais plus complexe avec la transition et les changements climatiques.
Elles doivent dorénavant assurer un approvisionnement fiable, certes, mais aussi : faire face à une hausse importante de la demande pour décarboner l’économie, après des années de croissance faible ; répondre à cette demande avec des énergies qui n’émettent pas de gaz à effet de serre, et ; bâtir des infrastructures modernes de production, de transport et de distribution plus à même de résister à des évènements climatiques extrêmes.
Il leur faut, au surplus, développer un réseau en misant davantage sur des technologies numériques, facilitant ainsi une participation plus directe des clients, donc bidirectionnelle, en plus d’intégrer des ressources décentralisées. Le microréseau testé à Lac-Mégantic depuis 2021 en est un bon exemple : il permet un fonctionnement autonome, y compris en cas de pannes de réseau, donc plus de résilience.
Voilà de bien lourds mandats.
Pour plusieurs régions, celles qui ne disposent pas d’hydroélectricité ou d’énergie nucléaire, décarboner signifie essentiellement implanter à grande échelle des parcs éolien et solaire. Ce sont des énergies renouvelables, à coûts compétitifs depuis 10 ans, mais intermittentes. Elles ne sont pas actionnables en tout temps. Elles apportent donc une contribution moins fiable en période de consommation de pointe.
Or, cette énergie à fournir en période de pointe coûte cher, d’où l’intérêt d’élaborer des stratégies de gestion de la demande visant à lisser la courbe de consommation.
Rappelons qu’Hydro-Québec a connu une pointe record cette année, début février, atteignant plus de 42 000 mégawatts.
En termes de stockage, les centrales hydroélectriques à réserve pompée sont de plus en plus considérées à l’échelle mondiale comme une solution de longue durée.
Mais ce n’est pas tout pour les électriciens. Cette énergie propre, il faut la transporter et, là encore, les délais d’approbation pour des lignes se sont considérablement allongés ces dernières années, partout dans le monde.
Dans un contexte où il faudra plus de lignes pour acheminer l’électricité propre requise par la transition et plus d’échanges entre différents territoires, cette question est devenue la roche dans le soulier des électriciens.
Aux États-Unis, le gouvernement fédéral en fait une priorité. Il est présentement en pourparlers avec ses différentes agences afin d’accélérer l’obtention des permis de construction de lignes. Le mot clé à Washington : rapidité. L’objectif est en effet de raccourcir les délais, sans perdre de vue les exigences environnementales et d’acceptabilité sociale.
Espérons que la consultation au Québec permettra de discuter sereinement de ces enjeux, et de bien d’autres, pour générer une meilleure compréhension collective des défis de cette transition, devenue le grand défi de notre temps.
Les défis du nouveau patron d’Hydro-Québec
Le Devoir, 25 mai 2023
Yvan Cliche
L’auteur est fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM). Il a été à l’emploi d’Hydro-Québec de 1988 à 2018.
Ce n’est pas faire de l’enflure verbale que de dire que le mandat qui attend le prochain président-directeur général d’Hydro-Québec, Michael Sabia, définira non seulement le destin de la société d’État, mais aussi celui de la société québécoise. Une importante part de ses efforts devra être consacrée à la transition énergétique au Québec et même dans tout le nord-est du continent, en raison des liens étroits qu’entretient Hydro avec les réseaux voisins.
À l’échelle mondiale, la transition ne fait que commencer. Tout est à faire : à ce jour, moins de 1 % de la consommation d’essence des véhicules a été retranchée grâce à l’électrification. Cette mouvance devrait toutefois s’accélérer.
Pour le nouveau p.-d.g. d’Hydro, cela impliquera de jongler simultanément avec une multitude de projets dans divers domaines. Projets dont la réalisation testera bien sûr les compétences opérationnelles des cadres qui relèveront de lui.
Cela signifie que le nouveau p.-d.g. devra d’emblée porter une attention aux employés. Mobilisés en faveur de la transition par la p.-d.g. sortante, Sophie Brochu, ceux-ci ont été passablement secoués, voire déçus par son départ. Elle laisse certes derrière elle un plan stratégique pour les années 2022-2026, mais elle part également au beau milieu d’une réorganisation majeure d’Hydro-Québec.
Mme Brochu a en effet mis à plat une séparation opérationnelle entre les activités de production, de transport et de distribution qui existait depuis bien longtemps. Cette nouvelle organisation devra être réévaluée à la lumière des priorités du nouveau p.-d.g., sachant que les employés en sont encore à s’adapter à la structure qui vient d’être implantée.
Quant à l’externe, les investissements titanesques qui devront être réalisés en raison des objectifs de décarbonation et de transition hors des énergies fossiles sont un enjeu majeur.
Il y a d’abord le vaste chantier de l’efficacité énergétique. Hydro a récemment triplé ses objectifs, les faisant passer de 8 à 25 térawattheures. C’est l’équivalent de trois fois l’énergie produite annuellement par le complexe hydroélectrique de la Romaine.
Hydro devra aussi investir dans des projets d’équipements visant à augmenter la capacité de production de ses centrales et, parallèlement, intégrer des centaines de mégawatts en projets éoliens.
En matière d’adaptation aux changements climatiques, la société d’État a publié en 2022 un plan contenant une série de mesures visant à solidifier son réseau et à gérer plus efficacement les risques climatiques.
Le bilan de puissance, soit l’énergie à fournir en période de forte demande, sera également une préoccupation de Michael Sabia. Il devra ainsi accélérer la numérisation du réseau, le rendre davantage bidirectionnel, afin d’inclure la clientèle dans une gestion plus active de sa consommation.
De plus, ce nouveau p.-d.g. à la longue et riche expérience professionnelle devra s’impliquer activement dans la renégociation avec Terre-Neuve du contrat de Churchill Falls, qui va échoir en 2041. Pour ses prédécesseurs, l’échéance de ce contrat était sur un horizon très éloigné. Ce n’est plus le cas. C’est donc plus de 5000 mégawatts, une source fiable et très peu chère sur laquelle le Québec a pu compter fort avantageusement depuis des décennies, qui devront être comblés d’ici moins de vingt ans.
L’ensemble de ces objectifs et défis se déclineront en des dizaines de projets destinés à des clientèles nombreuses et diverses impliquant une foule de fournisseurs. Habituée à investir à cette fin environ trois milliards de dollars par année au Québec, Hydro devra doubler cette enveloppe. On frisera alors les six milliards, peut-être même davantage. Ces projets devront au surplus passer le test de l’acceptabilité sociale, y compris pour les projets de lignes de transmission, jamais faciles à faire passer.
Le nouveau p.-d.g. devra donc, avec son équipe, faire preuve d’une capacité de gestion opérationnelle hors du commun. Les multiples projets à lancer, dans différents secteurs d’activité, sur tout le territoire du Québec, exigeront énormément de rigueur en matière de contrôle des coûts et d’échéanciers.
Michael Sabia devra mobiliser ses équipes ainsi que toute l’industrie québécoise en vue d’affronter ces grands défis. S’il réussit, ce sont tous les Québécois qui en tireront les bénéfices et qui auront avancé d’un pas de géant dans la décarbonation de notre économie.