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Les défis du nouveau patron d’Hydro-Québec

Le Devoir, 25 mai 2023

Yvan Cliche

L’auteur est fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM). Il a été à l’emploi d’Hydro-Québec de 1988 à 2018.

Ce n’est pas faire de l’enflure verbale que de dire que le mandat qui attend le prochain président-directeur général d’Hydro-Québec, Michael Sabia, définira non seulement le destin de la société d’État, mais aussi celui de la société québécoise. Une importante part de ses efforts devra être consacrée à la transition énergétique au Québec et même dans tout le nord-est du continent, en raison des liens étroits qu’entretient Hydro avec les réseaux voisins.

À l’échelle mondiale, la transition ne fait que commencer. Tout est à faire : à ce jour, moins de 1 % de la consommation d’essence des véhicules a été retranchée grâce à l’électrification. Cette mouvance devrait toutefois s’accélérer.

Pour le nouveau p.-d.g. d’Hydro, cela impliquera de jongler simultanément avec une multitude de projets dans divers domaines. Projets dont la réalisation testera bien sûr les compétences opérationnelles des cadres qui relèveront de lui.

Cela signifie que le nouveau p.-d.g. devra d’emblée porter une attention aux employés. Mobilisés en faveur de la transition par la p.-d.g. sortante, Sophie Brochu, ceux-ci ont été passablement secoués, voire déçus par son départ. Elle laisse certes derrière elle un plan stratégique pour les années 2022-2026, mais elle part également au beau milieu d’une réorganisation majeure d’Hydro-Québec.

Mme Brochu a en effet mis à plat une séparation opérationnelle entre les activités de production, de transport et de distribution qui existait depuis bien longtemps. Cette nouvelle organisation devra être réévaluée à la lumière des priorités du nouveau p.-d.g., sachant que les employés en sont encore à s’adapter à la structure qui vient d’être implantée.

Quant à l’externe, les investissements titanesques qui devront être réalisés en raison des objectifs de décarbonation et de transition hors des énergies fossiles sont un enjeu majeur.

Il y a d’abord le vaste chantier de l’efficacité énergétique. Hydro a récemment triplé ses objectifs, les faisant passer de 8 à 25 térawattheures. C’est l’équivalent de trois fois l’énergie produite annuellement par le complexe hydroélectrique de la Romaine.

Hydro devra aussi investir dans des projets d’équipements visant à augmenter la capacité de production de ses centrales et, parallèlement, intégrer des centaines de mégawatts en projets éoliens.

En matière d’adaptation aux changements climatiques, la société d’État a publié en 2022 un plan contenant une série de mesures visant à solidifier son réseau et à gérer plus efficacement les risques climatiques.

Le bilan de puissance, soit l’énergie à fournir en période de forte demande, sera également une préoccupation de Michael Sabia. Il devra ainsi accélérer la numérisation du réseau, le rendre davantage bidirectionnel, afin d’inclure la clientèle dans une gestion plus active de sa consommation.

De plus, ce nouveau p.-d.g. à la longue et riche expérience professionnelle devra s’impliquer activement dans la renégociation avec Terre-Neuve du contrat de Churchill Falls, qui va échoir en 2041. Pour ses prédécesseurs, l’échéance de ce contrat était sur un horizon très éloigné. Ce n’est plus le cas. C’est donc plus de 5000 mégawatts, une source fiable et très peu chère sur laquelle le Québec a pu compter fort avantageusement depuis des décennies, qui devront être comblés d’ici moins de vingt ans.

L’ensemble de ces objectifs et défis se déclineront en des dizaines de projets destinés à des clientèles nombreuses et diverses impliquant une foule de fournisseurs. Habituée à investir à cette fin environ trois milliards de dollars par année au Québec, Hydro devra doubler cette enveloppe. On frisera alors les six milliards, peut-être même davantage. Ces projets devront au surplus passer le test de l’acceptabilité sociale, y compris pour les projets de lignes de transmission, jamais faciles à faire passer.

Le nouveau p.-d.g. devra donc, avec son équipe, faire preuve d’une capacité de gestion opérationnelle hors du commun. Les multiples projets à lancer, dans différents secteurs d’activité, sur tout le territoire du Québec, exigeront énormément de rigueur en matière de contrôle des coûts et d’échéanciers.

Michael Sabia devra mobiliser ses équipes ainsi que toute l’industrie québécoise en vue d’affronter ces grands défis. S’il réussit, ce sont tous les Québécois qui en tireront les bénéfices et qui auront avancé d’un pas de géant dans la décarbonation de notre économie.



Consultation sur l’électricité -De nouveaux paradigmes sont apparus

La Presse, 9 mai 2023

Une consultation du gouvernement du Québec est prévue le 15 mai sur « l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec ». Celle-ci arrive à point nommé, puisqu’elle permettra de prendre du recul sur le développement de notre électricité dans le cadre de la transition énergétique. Il s’agit d’une étape nécessaire afin de bien dessiner la feuille de route qui balisera son usage.

YVAN CLICHE
FELLOW, CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHES INTERNATIONALES DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL ET INSTITUT CANADIEN DES AFFAIRES MONDIALES

Avec l’adoption de mesures phares en faveur du climat aux États-Unis (Inflation Reduction Act), en Europe (REPower EU) et l’adoption du dernier budget fédéral canadien, qui prévoit quelque 80 milliards pour le développement des énergies décarbonées, l’enjeu de la transition énergétique est maintenant bien ancré dans l’agenda des décideurs publics.

Du côté citoyen, avec les pannes vécues chez nous lors du récent épisode de verglas, de même qu’aux États-Unis fin 2022, notamment au New Jersey, de plus en plus de gens prennent conscience de l’importance d’un réseau d’électricité robuste, capable de résister aux caprices du climat.

Cette robustesse du réseau électrique est en effet devenue impérative, car notre dépendance à l’égard de l’électricité s’en va croissant.

De plus en plus d’activités humaines (transport, industrie, numérique, etc.) reposent sur un approvisionnement en électricité.

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La transition énergétique est en fait une transition vers l’électricité propre, doublée d’une utilisation plus efficace qu’autrefois de celle-ci qui devrait nous amener à en consommer moins pour le même niveau de confort ou de productivité.

Une mission complexe

Si, auparavant, la tâche principale des entreprises d’électricité était d’assurer un approvisionnement fiable au meilleur coût, leur mission est désormais plus complexe avec la transition et les changements climatiques.

Elles doivent dorénavant assurer un approvisionnement fiable, certes, mais aussi : faire face à une hausse importante de la demande pour décarboner l’économie, après des années de croissance faible ; répondre à cette demande avec des énergies qui n’émettent pas de gaz à effet de serre, et ; bâtir des infrastructures modernes de production, de transport et de distribution plus à même de résister à des évènements climatiques extrêmes.

Il leur faut, au surplus, développer un réseau en misant davantage sur des technologies numériques, facilitant ainsi une participation plus directe des clients, donc bidirectionnelle, en plus d’intégrer des ressources décentralisées. Le microréseau testé à Lac-Mégantic depuis 2021 en est un bon exemple : il permet un fonctionnement autonome, y compris en cas de pannes de réseau, donc plus de résilience.

Voilà de bien lourds mandats.

Pour plusieurs régions, celles qui ne disposent pas d’hydroélectricité ou d’énergie nucléaire, décarboner signifie essentiellement implanter à grande échelle des parcs éolien et solaire. Ce sont des énergies renouvelables, à coûts compétitifs depuis 10 ans, mais intermittentes. Elles ne sont pas actionnables en tout temps. Elles apportent donc une contribution moins fiable en période de consommation de pointe.

Or, cette énergie à fournir en période de pointe coûte cher, d’où l’intérêt d’élaborer des stratégies de gestion de la demande visant à lisser la courbe de consommation.

Rappelons qu’Hydro-Québec a connu une pointe record cette année, début février, atteignant plus de 42 000 mégawatts.

En termes de stockage, les centrales hydroélectriques à réserve pompée sont de plus en plus considérées à l’échelle mondiale comme une solution de longue durée.

Mais ce n’est pas tout pour les électriciens. Cette énergie propre, il faut la transporter et, là encore, les délais d’approbation pour des lignes se sont considérablement allongés ces dernières années, partout dans le monde.

Dans un contexte où il faudra plus de lignes pour acheminer l’électricité propre requise par la transition et plus d’échanges entre différents territoires, cette question est devenue la roche dans le soulier des électriciens.

Aux États-Unis, le gouvernement fédéral en fait une priorité. Il est présentement en pourparlers avec ses différentes agences afin d’accélérer l’obtention des permis de construction de lignes. Le mot clé à Washington : rapidité. L’objectif est en effet de raccourcir les délais, sans perdre de vue les exigences environnementales et d’acceptabilité sociale.

Espérons que la consultation au Québec permettra de discuter sereinement de ces enjeux, et de bien d’autres, pour générer une meilleure compréhension collective des défis de cette transition, devenue le grand défi de notre temps.

RAPPROCHEMENT IRAN–ARABIE SAOUDITE

UNE DIPLOMATIE PÉTROLIÈRE CHINOISE À GRAND DÉPLOIEMENT

YVAN CLICHE
FELLOW, CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHES INTERNATIONALES DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL ET INSTITUT CANADIEN DES AFFAIRES MONDIALES

La presse fait largement écho au rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran sous l’égide de la Chine. Plusieurs analystes y voient un autre signe de la montée en puissance de la Chine et du déclin des États-Unis, notamment au Moyen-Orient. Derrière cette initiative de Pékin, l’énergie est vraisemblablement l’une des principales motivations.

Même si elle a pris un engagement de carboneutralité pour 2060, la Chine se sait fortement dépendante des importations de pétrole et de gaz pour de longues décennies encore. On la dit, même aux prises depuis une quinzaine d’années avec une « obsession énergétique », en raison de sa dépendance – et vulnérabilité – envers un approvisionnement venu de l’étranger. C’étaient pourtant les États-Unis que l’on disait jadis pris d’une telle « obsession ».

Ainsi, comme les États-Unis à une certaine époque, la Chine oriente désormais une part importante de sa politique étrangère vers la sécurisation des sources et des routes d’approvisionnement en énergies fossiles.

Au début du siècle, Pékin a même adopté une politique intitulée « Going out », sorte de diplomatie du pétrole par laquelle le gouvernement chinois encourage les compagnies pétrolières nationales à mettre la main sur des hydrocarbures partout où ils se trouvent.

Et comme les États-Unis dans les années 1980, qui ont déployé des bases militaires au Moyen-Orient afin de sécuriser le détroit d’Ormuz où circule la majorité du pétrole de cette région, la Chine a grandement développé sa marine. Aussi pour sécuriser le passage des pétroliers dans le détroit de Malacca, en Asie du Sud-Est, par lequel transite l’essentiel de ses importations de pétrole.

Comment la Chine en est-elle arrivée là ? Au milieu des années 1990, à la faveur de sa formidable croissance économique, la Chine a connu une très forte augmentation de ses importations d’énergie fossile. Dans le cas du pétrole, ses importations ont été multipliées par cinq au cours des 20 dernières années, totalisant aujourd’hui 10 millions de barils par jour (2021), soit davantage que celles des États-Unis (huit millions, dont la moitié provient du Canada).

Résultat : sa consommation d’or noir est composée à 70 % de sources étrangères.

Cette période de grande dépendance énergétique est loin d’être terminée, puisque la Chine devrait connaître une année record en 2023 en termes d’importations de pétrole en raison de la fin du confinement sanitaire et de la reprise des transports.

Cette dépendance énergétique envers les hydrocarbures des pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) s’est ainsi accrue alors que celle des États-Unis a fortement décliné. Les Américains ont en effet beaucoup dépendu de l’OPEP jusque dans les années 2010 ; ils en importaient près de six millions de barils par jour en 2005. En 2021, ce chiffre avait chuté à moins d’un million, grâce à la révolution des hydrocarbures de schiste, ce qui a fait exploser la production nationale.

Après les États-Unis, c’est donc au tour de la Chine, en tant que grande puissance, de dépendre des énergies fossiles du Moyen-Orient. Une situation qui accroît considérablement les intérêts stratégiques de Pékin dans cette région.

L’Arabie saoudite devient dès lors un acteur incontournable ; elle est en effet devenue le principal pourvoyeur de pétrole de la Chine, avec presque 20 % de ses importations totales.

L’Iran représente aussi un intérêt certain pour Pékin. Malgré les sanctions occidentales qui frappent son pétrole en raison de sa volonté d’acquérir l’arme nucléaire, l’Iran demeure le quatrième producteur de l’OPEP en importance. Ses réserves de pétrole (les troisièmes au monde) et de gaz (au deuxième rang) sont un atout hautement stratégique pour la Chine sur le plan énergétique. Rivaux de longue date, Riyad et Téhéran souhaitent tous deux continuer de vendre leurs hydrocarbures aux Chinois, et ainsi enrichir à coups de milliards leur trésor public.

Sur le plan énergétique, ces trois pays possèdent des intérêts mutuels croissants, lesquels laissent peu de place au géant américain, autrefois acteur central au Moyen-Orient.

Comment cette convergence d’intérêts influencera-t-elle le prix du pétrole ? Une plus grande stabilité géopolitique entre les deux grands rivaux du golfe Persique est toujours une bonne chose pour le marché pétrolier, car tout risque géopolitique se répercute directement sur les prix.

Or, les deux puissances pétrolières ont des approches divergentes. Leader incontesté de l’OPEP, l’Arabie saoudite préconise généralement une gestion serrée de l’offre afin d’obtenir un prix relativement élevé, tandis que l’Iran souhaite vendre le plus de pétrole possible, puisque sa production a grandement fléchi depuis cinq ans en raison des sanctions et de la pandémie.

Reste à voir comment la Chine arbitrera les différends qui découleront de ces deux approches divergentes et de décennies de rivalité géopolitique.

Le hockey senior doit arriver au 21e siècle

La Voix de l’Est, 13 mars 2023

Samedi le 11 mars, après bien des hésitations au fil des années, craignant la brutalité inutile sur la glace, je suis allé voir du hockey sénior, à Granby.

C’était donc ma toute première fois.

Et ce sera ma dernière.

Pas que les joueurs sont dénués de talent, au contraire. J’ai vu des patineurs fluides, habiles, rapides, des gardiens alertes.

En gros, 59 minutes de beau jeu.

Et puis, tout s’est gâché. Complètement. Inutilement.

Au lieu de finir le match dignement (7-3 pour Plessisville), voire de conclure la série car Granby perdait 3-0 dans celle-ci, les deux entraineurs ont eu la fâcheuse idée de tout gâcher et de jeter sur la glace leurs fiers-à-bras.

Tout, ensuite, s’est grandement, et rapidement, dégradé.

Des gestes d’une grande violence ont été commis : des bâtons utilisés comme une arme pour frapper avec force l’adversaire, dont un coup de bâton en plein visage.

Tout cela devant la police de Granby, présente sur place.

L’arbitre a dû interrompre le match, sans conclure la minute restante. Les joueurs n’ont même pas pu, comme le veut l’esprit sportif, se donner la main à la fin de la série.

Quel gâchis. Quel désastre.

Est-ce bien nous, Québécois, Canadiens, qui allons ensuite donner des leçons de bonne gouvernance à d’autres pays ? Leur faire la morale ?

Car toute cette violence, pour quoi au juste ?

Pour défendre son territoire contre une invasion étrangère ?

Non. Pour du simple hockey joué par des adultes, au Québec.

On parle juste de hockey. Entre villes régionales de notre province. On est entre nous.

On n’a pas à se violenter de la sorte pour des enjeux aussi futiles.

Le hockey sénior a été ce soir-là à la hauteur de sa mauvaise réputation. Cette ligue vit encore à la mode, longtemps passée date, du hockey des années 1970. Celui-ci n’a plus cours. Cette ligue est 50 ans en arrière de son temps.

Bref, elle n’est pas arrivée au 21e siècle.

Tout ce que je peux dire, aux dirigeants et entraineurs de cette ligue : vous n’êtes pas des amateurs de hockey. Vous êtes des fossoyeurs de notre sport national.

Yvan Cliche
Waterloo