Anne Erelle, Dans la peau d’une djihadiste. Enquête au cœur des filières de recrutement de l’État islamique, Robert Laffont, Paris, 2015, 262 p.
Nuit blanche, no. 139, Été 2015
C’est une bien singulière épopée que nous raconte « Anne Erelle » dans ce livre en forme de long reportage sur les efforts de recrutement en France du groupe terroriste État islamique. Anne Erelle est en fait un nom fictif, car l’auteure doit protéger son identité en raison de craintes de représailles de sympathisants de l’organisation islamiste.
Qu’a-t-elle fait de si répréhensible ? Au départ, la journaliste pigiste de 30 ans s’intéresse au sort des familles ayant perdu un de leur enfant parti faire le djihad en Syrie. De fil en aiguille elle en vient à entrer elle-même en lien, via Skype, avec un djihadiste d’origine française, établi en Syrie. Pour construire avec lui un rapport de confiance et en tirer un maximum d’informations en vue d’un reportage sur l’État islamique et sur son fonctionnement, elle se fait passer pour Mélanie, 20 ans, Parisienne convertie à l’islam dur, qui porte le djihab en cachette de sa mère.
L’homme avec qui elle échange est un certain Bilel, français musulman de 38 ans depuis longtemps sur le terrain en Irak et en Syrie, dont le boulot est de faire le djihad et d’assassiner des mécréants. Au fil des échanges, Anne/Mélanie comprend que cet individu est en fait un haut gradé avec un accès direct au « calife » Al Baghdadi, grand timonier de l’État islamique.
Le livre est essentiellement un compte-rendu de ces échanges, enregistrés et mis en images secrètement par un photographe de l’agence où travaille Anne.
Ce Bilel apparaît comme un individu fort malsain, qui se dit célibataire, et qui « marie » Mélanie après seulement deux jours de discussions avec elle. Il lui promet une belle vie à soigner les combattants djihadistes, mais en insistant continuellement auprès d’elle sur le port obligatoire du niqab. Une Mélanie bien sûr vierge, qui pourra s’offrir à son futur mari avec des sous-vêtements sexy qu’elle devra ramener de Paris avant son départ vers la Syrie.
Mélanie poursuit son stratagème jusqu’à se rendre réellement en Amsterdam, supposément en escale sur sa route pour rejoindre Bilel. Mais le plan, soit celui de voir et de photographier en Turquie ces passeurs de djihadistes occidentaux vers le front syrien échoue, et Anne/Mélanie retourne à Paris. Comme on s’en doute, Bilel découvre qu’il a été roulé, et entre en furie noire contre Mélanie à qui il envoie des messages de haine. Anne devra donc se cacher, pour éviter de possibles représailles. Une crainte rapidement atténuée du fait que Bilal serait, selon toute vraisemblance, décédé dans une embuscade en Irak peu de temps après avoir subi cette supercherie.
À la fin du livre, on apprend que Bilal était, sans surprise, était un petit voyou en France, qu’il aurait finalement trois épouses, et des enfants qui déjà se battent au front. Un individu animé, encore sans surprise, par des sentiments érotiques entremêlés de violent désir de pureté inspiré d’un islam rigoriste et sans pitié.
Une enquête intéressante donc au cœur des réseaux intégristes, avec un seul bémol : le reportage est étroitement mêlé aux états d’âme un peu adolescentes de l’auteure, sentiments intimes qui prennent trop de place selon moi au détriment de l’enquête, qui aurait dû obtenir toute la place sur ce sujet tellement d’actualité.