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L’intégrisme musulman est là pour rester

Huffington Post, 28 juillet 2015

État islamique, Al-Qaïda, Boko Haram, intégrisme, islamisme, djihadisme, salafisme: autant de qualificatifs pour nommer les actions des «barbus», en majorité de jeunes hommes se disant musulmans, ayant troqué une vie «normale» pour faire du djihad (la guerre sainte) leur travail au quotidien. Des jeunes minoritaires rappelons-le, qui ne représentent pas la communauté musulmane dans son ensemble, qui aspire, comme toutes les autres civilisations, à une vie pacifique.

Encore tout récemment, la Turquie, un pays musulman, a dû intervenir en force pour contrer des attaques de l’État islamique. Chez nous, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dit ouvertement s’inquiéter d’autres attentats possibles commis au nom d’un certain islam.

Phénomène plutôt marginal avant les attentats du 11-Septembre 2001, l’intégrisme musulman est devenu un enjeu central de la géopolitique internationale, autant pour les pays musulmans, même ceux où la religion joue pourtant un rôle central, comme l’Arabie saoudite, que pour les pays occidentaux.

Les experts n’en finissent plus de tenter d’en expliquer les sources, les complexités et les mouvances. Car en effet l’intégrisme se décline maintenant sous plusieurs formes, d’une variante soft à une variante de type «millénariste».

Devant cette complexité, l’orientaliste confiné hier à ses travaux poussiéreux en cercle très fermé est devenu, à force de passer à la télé, une vedette reconnue et abordée dans la rue. Qui l’eut cru!

L’avenir de ces orientalistes vedettes semble bien assuré. Car l’intégrisme islamique ne disparaîtra pas de sitôt, il semble même prendre de la vigueur maintenant que les intégristes purs et durs ont pu créer leur propre «État» sur des territoires en Irak et en Syrie, attirant un flot de jeunes enivrés par son projet radical de remise en cause d’un monde encore dominé par l’Occident.

Pour ma part, qui s’intéresse et qui écrit sur ce phénomène depuis presque trois décennies, cette longévité de l’intégrisme musulman, sous ses diverses appellations, constitue une surprise.

Quand j’ai rédigé un mémoire de maîtrise de science politique en 1987 portant sur l’intégrisme islamique, plus spécifiquement sur le développement des Frères musulmans en Égypte, je croyais m’attaquer à un phénomène important, certes, mais qui, somme toute, devrait s’atténuer avec le temps, à la faveur du développement économique et social des États arabes.

Jamais je n’avais prévu la constitution et l’activisme, des décennies plus tard, de mouvances encore plus radicales et underground, dédiées à utiliser une violence extrême pour répandre une telle idéologie.

Comme tout le monde, j’ai été estomaqué par les attentats commis aux États-Unis en 2001 et, là encore, je croyais qu’il s’agissait du sursaut d’un intégrisme radicalisé devant petit à petit s’éteindre avec la modernisation des sociétés arabes.

Erreur. Au contraire, cette modernisation semble finalement attiser son pendant «malin», l’intégrisme dur, sans compromis.

En fait, plus la société se modernise, plus elle engendre chez certains une réaction de rejet encore plus affirmée qu’autrefois. Sans compter les politiques menées par un monde occidental souvent bien peu subtil dans ses liens avec le monde musulman, et dont les actions alimentent trop souvent les frustrations.

Quand on y pense, cette persistance de l’intégrisme islamique, notamment dans le monde arabe, et maintenant de plus en plus en Afrique, est-il si étonnant? L’intégrisme musulman a, en fait, des racines profondes. On attribue sa naissance à la fin du 19e siècle. Il a émergé en force au début du 20e siècle avec la création, à la fin des années 1920, de l’organisation des Frères musulmans en Égypte, et son idéologie s’est ensuite répandue, avec des mouvements plus ou moins bien organisés, dans presque tous les pays arabes, et ce, jusqu’à aujourd’hui.

Ces pays ont en général utilisé la violence, souvent très féroce, pour endiguer le mouvement, comme le prouve la répression actuelle, sans pitié, des Frères musulmans sous le régime du président Abdel Fattah al-Sissi, en Égypte. Si bien que toute l’histoire de ce pays depuis 100 ans n’est, ni plus ni moins, que la répétition ad nauseam de l’affrontement entre un régime militaire et la mouvance islamiste.

Qu’en conclure?

Que le phénomène intégriste sera là, certainement encore pour bien longtemps. Il ne se «dissoudra» pas de sitôt, d’autant que les maux qui alimentent son maintien, soit l’absence de démocratie, l’État de non-droit, des services publics inefficaces, les disparités économiques, l’injustice, la discrimination, l’insécurité, le népotisme, les interventions étrangères mal venues, la rigidité identitaire, en somme, un monde arabo-africain qui en grande partie «subit» le monde moderne plutôt qu’il ne le construit, ne semblent pas en voie de disparaître.

Dans la peau d’une djihadiste

Anne Erelle, Dans la peau d’une djihadiste. Enquête au cœur des filières de recrutement de l’État islamique, Robert Laffont, Paris, 2015, 262 p.

Nuit blanche, no. 139, Été 2015

C’est une bien singulière épopée que nous raconte « Anne Erelle » dans ce livre en forme de long reportage sur les efforts de recrutement en France du groupe terroriste État islamique. Anne Erelle est en fait un nom fictif, car l’auteure doit protéger son identité en raison de craintes de représailles de sympathisants de l’organisation islamiste.

Qu’a-t-elle fait de si répréhensible ? Au départ, la journaliste pigiste de 30 ans s’intéresse au sort des familles ayant perdu un de leur enfant parti faire le djihad en Syrie. De fil en aiguille elle en vient à entrer elle-même en lien, via Skype, avec un djihadiste d’origine française, établi en Syrie. Pour construire avec lui un rapport de confiance et en tirer un maximum d’informations en vue d’un reportage sur l’État islamique et sur son fonctionnement, elle se fait passer pour Mélanie, 20 ans, Parisienne convertie à l’islam dur, qui porte le djihab en cachette de sa mère.

L’homme avec qui elle échange est un certain Bilel, français musulman de 38 ans depuis longtemps sur le terrain en Irak et en Syrie, dont le boulot est de faire le djihad et d’assassiner des mécréants. Au fil des échanges, Anne/Mélanie comprend que cet individu est en fait un haut gradé avec un accès direct au « calife » Al Baghdadi, grand timonier de l’État islamique.

Le livre est essentiellement un compte-rendu de ces échanges, enregistrés et mis en images secrètement par un photographe de l’agence où travaille Anne.

Ce Bilel apparaît comme un individu fort malsain, qui se dit célibataire, et qui « marie » Mélanie après seulement deux jours de discussions avec elle. Il lui promet une belle vie à soigner les combattants djihadistes, mais en insistant continuellement auprès d’elle sur le port obligatoire du niqab. Une Mélanie bien sûr vierge, qui pourra s’offrir à son futur mari avec des sous-vêtements sexy qu’elle devra ramener de Paris avant son départ vers la Syrie.

Mélanie poursuit son stratagème jusqu’à se rendre réellement en Amsterdam, supposément en escale sur sa route pour rejoindre Bilel. Mais le plan, soit celui de voir et de photographier en Turquie ces passeurs de djihadistes occidentaux vers le front syrien échoue, et Anne/Mélanie retourne à Paris. Comme on s’en doute, Bilel découvre qu’il a été roulé, et entre en furie noire contre Mélanie à qui il envoie des messages de haine. Anne devra donc se cacher, pour éviter de possibles représailles. Une crainte rapidement atténuée du fait que Bilal serait, selon toute vraisemblance, décédé dans une embuscade en Irak peu de temps après avoir subi cette supercherie.

À la fin du livre, on apprend que Bilal était, sans surprise, était un petit voyou en France, qu’il aurait finalement trois épouses, et des enfants qui déjà se battent au front. Un individu animé, encore sans surprise, par des sentiments érotiques entremêlés de violent désir de pureté inspiré d’un islam rigoriste et sans pitié.

Une enquête intéressante donc au cœur des réseaux intégristes, avec un seul bémol : le reportage est étroitement mêlé aux états d’âme un peu adolescentes de l’auteure, sentiments intimes qui prennent trop de place selon moi au détriment de l’enquête, qui aurait dû obtenir toute la place sur ce sujet tellement d’actualité.