Nicolas Hénin, Jihad Academy. Nos erreurs face à l’État islamique, Fayard, Paris, 2015, 251 p.
Nuit blanche, septembre 2015
Depuis le début de la guerre civile en Syrie, certaines voix se font entendre en Occident selon lesquelles il faut renouer avec le bourreau de Damas, Bachar al-Assad, pour mieux contrer les radicaux islamiques, devenus un ennemi commun ; Nicolas Hénin s’inscrit en faux contre cette approche. Selon lui, le régime syrien n’a rien du « rempart laïc » et du protecteur des minorités qu’il prétend être : au contraire, c’est lui qui alimente les communautarismes depuis le déclenchement du Printemps arabe, cela afin de se présenter comme l’allié naturel d’un Occident naïf et manipulable.
Ce livre est une charge contre le régime syrien de Bachar al-Assad et les aveuglements de l’Occident dans sa politique au Moyen-Orient.
Nicolas Hénin n’est pas le dernier venu. Il a été journaliste en Irak et en Syrie durant nombre d’années, et un des rares otages des djihadistes à avoir été libérés. C’était en 2014 (l’auteur en fait peu état dans cet ouvrage).
Selon lui, c’est l’État syrien actuel, uniquement préoccupé par sa survie, qui a ni plus ni moins enfanté l’État islamique (EI), entre autres pour mieux étouffer la voix des démocrates et des pacifistes du Printemps arabe. À preuve, le régime syrien a en effet libéré de prison des intégristes, facilité leur déplacement, et a ainsi pu cyniquement s’afficher comme un moindre mal dans un monde arabe plongé en plein chaos.
À propos de l’EI, l’auteur écrit : « Il faut garder à l’esprit qu’il [Bachar al-Assad] n’a aucun intérêt à sa disparition, qui signifierait aussi la fin d’un épouvantail fort utile ».
Résultat : comme cela est trop souvent le cas dans cette partie du monde, les modérés sont marginalisés, et on se retrouve devant la situation binaire habituelle, soit un État dictatorial et illégitime, oligarchie ayant pillé les richesses du pays, et des combattants radicalisés à la mesure de la violence qu’ils subissent.
Ainsi laissés à eux-mêmes, marginalisés, les Sunnites notamment, en Irak, où ils sont minoritaires, comme en Syrie, où ils sont majoritaires mais dominés, n’ont presque aucun autre choix pour assurer leur sécurité que d’appuyer l’EI, pour trouver refuge « auprès du plus fort, celui qui montre les gros muscles et qui, aussi laid soit-il, donne l’impression d’être le plus en position de les protéger ».
L’histoire bégaie, déplore l’auteur : « […] au Moyen-Orient, l’Occident fabrique par ses propres erreurs son propre ennemi ». En somme, il contribue activement à constituer une Jihad academy… qui vient le hanter par la suite, contribuant à la radicalisation qu’il craint tant.
Comment se sortir de cette impasse ? Notamment, suggère Hénin, en arrêtant d’appuyer, à court terme, les dictatures au nom de la sécurité, comme nous le faisons en Égypte avec le régime al-Sissi, encore plus autoritaire que celui de Moubarak. Et en poursuivant résolument une vision à long terme, soit en appuyant un développement économique inclusif et les actions des vrais démocrates.