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Hassan II, un mounafiq

Le Devoir, 17 novembre 1990

Gilles Perrault, Notre ami le Roi, Paris Gallimard, 1990.

LE ROI HASSAN II du Maroc, le « commandeur des croyants », celui qui symbolise en Occident la parfaite conciliation du modernisme et des vertus islamiques serait-il un mounafiq (hypocrite en arabe) ?

Oui, et bien pire si l’on croit l’enquête de Gilles Perrault, un tortionnaire coupable des pires exactions humaines, comparables aux horreurs nazies et staliniennes. Le sort qu’il réserve à ses opposants, qu’il tente de dépouiller de tout dignité (« Hassan n’aime les hommes que brisés », dit Perrault) révèle « la bassesse et la vulgarité de son âme ».

Livre-choc, l’ouvrage de Perrault n’y va pas de main morte. Si Perrault était politicien ou homme d’affaires (il n’est que simple journaliste, bien loin de la cour du Roi), on croirait presque à un véritable règlement de compte, une campagne de dénigration visant à anéantir l’audience bienveillante dont jouit le souverain à l’étranger, particulièrement en France, où il compte de nombreux amis. Des amis dans les sphères politiques, financières et journalistiques, mais également parmi les cercles bien pensants des défenseurs des droits de la personne, tout ce beau monde ayant d’ailleurs le privilège de profiter de la « généreuse hospitalité royale », à la condition, dit Perrault « que leur voix est jugée digne de se joindre au choeur ».

Bien sur, l’observateur étranger n’est pas naïf au point de croire que le roi Hassan II, fils aîné du sultan Muhammed V auquel il succède en 1961, est un bon Prince clément, au dessus de la mêlée de la politique des hommes. L’histoire du Maroc depuis l’indépendance, ourdie de complots militaires visant à renverser le régime hassanien, interdit cette vision.

Cependant, l’aura dont jouît le roi en Occident est si rayonnante qu’elle crée un trompe l’oeil face à la politique intérieure marocaine. Lui même peu loquace lorsqu’il s’agit de politique interne, le roi s’enorgueillit de ses actions audacieuses en politique étrangère, qui lui valent d’ailleurs l’estime de ses amis occidentaux: plan de Fès en 1983 pour un règlement définitif au Moyen-Orient, accueil au palais royal de personnalités sionistes ou israéliennes, notamment du premier ministre Shimon Peres en 1986. Hassan II, contrairement à d’autres dirigeants arabes, parle la voix du bon sens et de la modération. Il est donc notre « ami ».

C’est faire bien peu de cas de la souffrance de ceux qui ont osé s’attaquer au pouvoir absolutiste d’un souverain qui ne tolère l’opposition qu’à distance respectueuse, dans un rôle de figuration intelligente.

Car Hassan II n’a pas le pardon facile. Certains de ses opposants croupissent dans des prisons miteuses sans avoir jamais vu le jour, depuis plus d’une décennie. C’est le cas à la prison de Tazmamart, ce
« monument de l’horreur », située dans le haut Atlas marocain.

Perrault écrit : « … on peut affirmer avec quasi-certitude que le lieu le plus atroce de la planète où l’homme est le pire pour l’homme, se situe à une heure d’avion de Madrid, à deux de Paris, non loin d’une route sur laquelle roulent les cars de touristes éblouis par la beauté des choses. » (p. 277)

Le roi n’a que faire d’eux, absorbé qu’il est à gouverner pour son bon plaisir, « entouré de ses bouffons et de ses putains », pendant que croupissent dans la pauvreté absolue plus de 7 millions de Marocains. C’est un tiers de la population qui assiste, impuissante, à l’enrichissement de la classe dirigeante, par affairisme corruption, trafic d’influence.

Vraiment, lorsque l’on dévoile cette face cachée, chaque journée du roi nous parait, comme l’avance Perrault, une « insulte à sa foi- à toute foi ? »

Dans ces conditions, le roi peut-il encore resté longtemps notre ami ?