QUÉBEC A LE POUVOIR D’ÊTRE PLUS SÉLECTIF
Les divergences de vues entre la PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, et celui qui pourrait hériter de la responsabilité de l’énergie dans le cadre d’un superministère économique, Pierre Fitzgibbon, mettent en lumière deux visions passablement différentes de l’utilisation des atouts uniques de l’hydroélectricité québécoise : son faible coût et son caractère écologique.
Si l’on se fie au Plan stratégique 2022-2026 d’Hydro-Québec, sa PDG mise sur ces atouts pour accélérer le colossal chantier de la décarbonation du Québec, tandis que le ministre semble davantage animé par une vision axée sur le développement économique tous azimuts.
La mise en place du parc hydroélectrique du Québec et sa promotion comme bénéfice économique auprès des investisseurs étrangers se sont faites dans un contexte bien différent de celui qu’on connaît aujourd’hui.
Des années 1970 à 2010, le taux de chômage au Québec était substantiellement supérieur à celui de ses voisins canadiens et américains. Par exemple, ce taux atteignait 13,2 % au Québec en 1993, contre 10,9 % en Ontario.
Durant cette longue période, il était normal pour nos gouvernements à Québec de miser sur les bas prix de l’électricité pour attirer le plus grand nombre possible d’investissements créateurs d’emplois afin de combler notre important écart de richesse avec les territoires voisins. Le caractère environnemental de l’hydroélectricité était mis de l’avant, mais moins que sa tarification avantageuse.
Or, la situation a bien changé depuis lors. Le Québec fait meilleure figure sur le plan économique : en 2010, le chômage était de 8 % au Québec, alors qu’il avoisinait les 9 % en Ontario ; cet été, il était de 4,2 % au Québec, toujours inférieur à celui de l’Ontario (5,5 %)1. Par ailleurs, avec l’émergence de l’enjeu climatique dans le débat public, une autre vertu de l’hydroélectricité s’est ajoutée : ses faibles émissions de gaz à effet de serre (GES).
Devant l’urgence climatique, le Québec est en effet dans la position enviable d’avoir de disposer d’un réseau électrique décarboné, lequel offre presque d’emblée à bien des entreprises un bilan vert en matière de consommation d’énergie. Il s’agit d’un avantage désormais très prisé à l’échelle mondiale, puisque les engagements à n’émettre aucun GES d’ici 20 à 30 ans se multiplient chez les entreprises. Le réputé organisme Net Zero Tracker affilié l’Université d’Oxford parle même d’une « explosion » de ces engagements2, qui sont passés de la marge à la normalité au cours des trois dernières années, voire à une obligation morale pour toute organisation qui se respecte.
Dans ce tout nouveau contexte, le Québec est devenu une terre de choix pour ces organisations désireuses d’atteindre leur objectif de carboneutralité. Les demandes des entreprises songeant sérieusement à s’établir au Québec se sont multipliées.
Pour combler ces besoins croissants, mais encore théoriques, Hydro-Québec devrait bien sûr ajouter nombre d’équipements : des centrales, des lignes, des postes. Or, sa marge de manœuvre s’est réduite : ses surplus ont fondu, si bien que la société d’État doit déjà prévoir des investissements importants pour combler la demande d’ici 2029.
Plus fondamentalement, les priorités de son plan stratégique collent davantage à l’important chantier de la transition énergétique au Québec même. L’ampleur de ce chantier ne peut être mésestimée, puisqu’il faut remplacer par de l’électricité les énergies fossiles utilisées dans les transports, le chauffage et la climatisation des bâtiments. Et, en parallèle, répondre aux besoins qui émergent : batteries, centres de données, chaînes de bloc, hydrogène, serres, etc. Et ce, tout en poursuivant les ventes d’énergie propre aux réseaux voisins, les aidant ainsi à accélérer leur décarbonation.
Ce sont donc 100 térawattheures additionnels d’électricité qui seraient nécessaires d’ici 30 ans, soit une augmentation de quelque 50 %.
Ce vaste objectif d’électrification soulève son lot d’enjeux. D’abord, il faudra disposer d’une main-d’œuvre disponible et qualifiée dans un contexte où le chômage n’a jamais été aussi bas. Ensuite, les nouveaux projets coûteront plus cher, ce qui exercera des pressions à la hausse sur le prix de l’électricité au Québec. Si notre transition veut être juste, les citoyens les plus démunis devront être protégés, et nous devrons collectivement utiliser l’électricité de manière bien plus efficace. Enfin, ces projets devront être développés de façon plus étroite avec les communautés, y compris autochtones, ce qui exigera patience et doigté.
Le Québec recèle de mégawatts propres qui font plus que jamais l’envie des investisseurs. Il s’agit d’un atout de taille pour nos dirigeants qui veulent contribuer à la prospérité de la collectivité. Mais il permet aussi autant qu’il exige d’être plus pragmatique, plus sélectif et de prendre le temps requis pour faire les choix les plus porteurs sur les plans tarifaire, communautaire et environnemental.
*Ex-délégué commercial à Hydro-Québec