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Penser l’islam

Michel Onfray, Penser l’islam, Avec la collaboration d’Asma Kouar pour l’entretien, Grasset, Paris, 2016, 168 pages.

Nuit blanche, site web, 16 décembre 2016.

D’abord, un rappel sur l’auteur : Michel Onfray, philosophe français, a fait une percée magistrale sur la scène intellectuelle française, mais aussi mondiale, avec son Traité d’athéologie, publié en 2005, une critique musclée mais raisonnée des trois religions monothéistes. Auteur prolifique, vedette (très) contestée des médias, gauchiste mais acide pourfendeur de la gauche française et du libéralisme, disciple de Spinoza, le philosophe frotte cette fois sa raison à l’islam actuel.

Le livre est essentiellement le compte rendu d’un entretien avec la journaliste algérienne Asma Kouar, enrichi de textes écrits par l’auteur pour divers médias. Résultat ? Plusieurs analyses pointues sur l’islam et sa place dans le monde contemporain, et surtout en Occident, où cette religion est de plus en plus visible, comme l’attestent notamment l’immigration croissante et le nombre grandissant de mosquées.

À cet égard, le philosophe, paraphrasant Nietzsche, considère l’islam comme « en grande santé » devant un christianisme déclinant et de plus en plus déphasé par l’évolution rapide des mœurs sociales, dont le mariage homosexuel.

Rien ni personne n’échappe à l’analyse implacable du philosophe. C’est un de ses grands mérites, voire l’intérêt du livre. À très juste titre, l’auteur rappelle une évidence, que je partage : il n’y pas de « vrai » islam. L’islam contient à la fois des versets pacifiques, favorables aux autres religions monothéistes, et d’autres appelant rien de moins qu’au meurtre des croyants juifs et chrétiens.

L’État islamique (Daech) a beau jeu de s’appuyer, sous forme de « prélèvements » selon l’expression de l’auteur, sur ces versets pour répandre sa violence : dès lors, le philosophe s’inscrit en faux contre ceux qui proclament que « l’islam n’a rien à voir avec cette terreur ». D’autres pratiquants, la majorité on le sait, sont tout autant justifiés de pratiquer le versant doux de leur religion. En somme, rappelle Michel Onfray, c’est quand l’islam, comme toutes les religions d’ailleurs, se mêle de politique que les catastrophes surviennent…

La thèse la plus controversée exprimée par Onfray dans ce livre est celle où il soutient que les attentats commis par des terroristes musulmans en Occident sont en quelque sorte la résultante de la présence invasive de l’Occident en pays musulmans. Il met donc dos à dos les terroristes et les leaders des pays occidentaux, États-Unis comme France, selon lui coupables de la mort de « millions de musulmans ». Ce qui, bien sûr, n’est pas toujours bien reçu, surtout quand l’auteur commente à chaud un événement sanglant commis par des terroristes. « Les combattants de l’État islamique font avec leurs outils primitifs ce que les Américains ont effectué à une bien plus grande échelle avec leur technologie de pointe. »

Un léger bémol à l’ouvrage : comme l’auteur est une figure perçue négativement par des médias français, on a souvent l’impression qu’il prend autant de temps à se justifier face à ses nombreux pourfendeurs qu’à expliquer doctement sa pensée. Il devrait selon moi concentrer ses contre-attaques dans les médias seulement, et laisser à ses livres le déploiement de sa pensée riche, instruite et éminemment raisonnable.

Traité d’athéologie physique de la métaphysique

Michel Onfray, Traité d’athéologie physique de la métaphysique, Grasset, Paris 2005

Nuit blanche, automne 2005

Le sous-titre de ce livre pourrait tout autant être Pour en finir avec le monothéisme et décri­rait mieux son contenu. Le phi­losophe Michel Onfray, qui à la mi-quarantaine a déjà publié une trentaine d’ouvrages aux titres singuliers (Esthétique du pôle Nord, Splendeur de la catastrophe), se commet cette fois sur un sujet fort sensible, soit les trois religions dites révé­lées que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Le livre fait un tabac en France et a provoqué des remous dans les milieux religieux. Il y a de quoi. Sur un ton militant, et avec des arguments bien envoyés, l’auteur démontre à grands traits les principales contradictions de ces trois religions, et ce, à par­tir du contenu même de chacun de leurs livres saints (Torah, Bible, Coran). Pour un enseigne­ment moral qui s’y retrouve, insiste Michel Onfray, on y trouve facilement son contraire : chacun peut donc lire ces textes avec une approche qui conduit à la mort, pour anéantir un enne­mi, ou encore avec ouverture et tolérance. Bref, c’est l’auberge espagnole, ce qui confirme un argument essentiel de l’auteur : l’Histoire prouve clairement que ces religions n’ont nullement été « inspirées de Dieu », mais sont faites de mains d’hommes. L’illogisme et les biais fonda­mentaux de ces trois religions, notamment envers la féminité et le corps, l’intelligence et la raison, ne seraient pas graves s’ils « ne se payai[en]t pas du prix fort ». Car ces croyances sont fondatrices d’empires et d’États, qui cultivent le parti­culier et non l’universel, et qui ont amené leurs lots incalcu­lables de perversions malignes : inquisitions, croisades, pillages, colonialisme, esclavage, géno­cides, compromissions avec les fascismes…

C’est pour cette raison que Michel Onfray considère urgent d’entreprendre la promotion de l’athéologie, qui devra dépasser le laïcisme ambiant, qui a le défaut de mettre tous les mythes et les religions sur le même pied : « Déconstruire les monothéismes, démythifier le judéo-christianisme — mais aussi l’islam, bien sûr puis démonter la théocratie, voilà les trois chantiers inauguraux pour l’athéologie ». Et cela pour produire une nouvelle éthique, « une franche affirmation de l’inexistence des dieux », une morale qui ne s’appuie plus sur des sentiments de culpabilité, sur le refoulement des réalités humaines. Car, de conclure l’auteur : « L’athéisme n’est pas une thérapie mais une santé mentale recouvrée ».