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Palestine, le fardeau de l’espoir

Collectif, Palestine, le fardeau de l’espoir, Pleine lune, Lachine, 2018, 250 pages.

Nuit blanche, site web, juin 2018

Fruit d’un séjour effectué il y a quelques années et organisé par deux organismes québécois intéressés par les droits de la personne en Palestine, le livre contient le récit d’observateurs y ayant séjourné quelques semaines : ils ont été à même d’évaluer, de visu, la détérioration des conditions de vie des Palestiniens en Cisjordanie sous l’occupation israélienne.

Le point de vue présenté par les auteurs offre une perspective tranchée sur la vie des Palestiniens : les observateurs parlent de « conditions de vie désastreuses », d’un peuple traité comme du « bétail », de « système d’apartheid », de « camp de concentration », de « nettoyage ethnique », d’« expansion coloniale », d’« épuration ».

Face à ce dur constat, ils en appellent principalement à une campagne internationale de boycottage, de désinvestissement et de sanctions contre l’État hébreu.

Nul doute que ce que dénoncent ces témoins est en bonne partie fondé, et que ce cri du cœur humaniste permet de jeter une lumière crue sur la cause, oubliée ces dernières années, des Palestiniens et de leur combat en faveur de la création d’un État viable voisin d’Israël.

Ce qui manque, selon moi, c’est la perspective historique, et aussi celle – pourquoi pas ? – du camp adverse.

Où sont, dans ces dénonciations très crues sur Israël, les fautes et méfaits du monde arabe contre la cause palestinienne et le mauvais jugement des dirigeants palestiniens, anciens comme actuels ? L’incompétence et la fourberie de maints leaders arabes et locaux dans le sort terrible de la population palestinienne sont pourtant bien connues.

Bref, même s’il n’est certes pas une lecture à recommander pour dégager une analyse équilibrée sur le conflit israélo-palestinien, le livre offre un rappel utile sur le destin, combien malheureux, des citoyens palestiniens et sur la nécessité, pour eux, pour nous, de garder espoir en une solution viable à long terme.

Les échos de la mémoire

Issa Boullata, Les échos de la mémoire. Une enfance palestinienne à Jérusalem, Trad. de l’anglais par Chantal Ringuet, Mémoire d’encrier, Montréal, 2015, 137 p.

Nuit blanche, février 2016

On lit et on écoute avec intérêt les grands esprits nous faire part de leurs idées et de leurs découvertes du monde. Il est parfois encore plus intéressant de les entendre nous dévoiler leur jeunesse et le parcours personnel qui ont concouru à leur admirable cheminement.

Le spécialiste du monde arabe et de l’islam Issa J. Boullata, professeur à la retraite de l’Université McGill (que j’ai eu la chance de connaître dans un séminaire de maîtrise lors de mes études universitaires), nous offre ce privilège.

Souhaitant que ses enfants et petits-enfants connaissent la Jérusalem historique, cette ville de lumière qui a façonné ses premiers souvenirs de vie, il raconte dans cet ouvrage son enfance et le début de sa vie adulte. Il y décrit une Jérusalem qui porte bien son nom (la « ville de la paix »), c’est-à-dire où tous entretiennent un esprit ouvert à l’égard des autres religions.

Le jeune Issa, l’aîné de six enfants, a la chance de venir d’une famille unie, qui mise sur une éducation de qualité. Fréquentant des collèges chrétiens, Issa, bon élève, lecteur féroce, reçoit l’enseignement de professeurs qui lui inculquent le goût du savoir, dont l’amour des langues, cet instrument « subtil et puissant », signale-t-il. Il entre ainsi dans l’âge adulte en maîtrisant parfaitement l’arabe, l’anglais et le français.

Cet héritage l’aidera lors de son exil forcé de Jérusalem, le tumulte entourant le conflit israélo-palestinien entraînant le départ d’un million de Palestiniens.

Issa J. Boullata atterrit en effet avec sa jeune famille à Hartford pour y enseigner, puis s’installe ensuite à Montréal en vue d’un poste à l’Université McGill : grâce à son multilinguisme et à sa connaissance approfondie du monde arabe qu’il perfectionne au gré de sa curiosité sans limite, il y fera une carrière enviable.

Devant la tragédie palestinienne des années 1950 et 1960, déplore Boullata, les dirigeants palestiniens auront fait preuve de désorganisation et d’incompétence : il gardera envers eux, et envers tous les dirigeants politiques, une méfiance qui ne se dissipera jamais.

Maintenant retraité, à l’automne de sa vie, le professeur Boullata écrit ce livre pour qu’on se souvienne, dans l’espoir qu’un jour justice soit faite à son peuple déraciné.

Figures du palestinien. Identité des origines, identité de devenir

Elias Sanbar, Figures du palestinien. Identité des origines, identité de devenir, Paris, Gallimard, 2004.

Nuit blanche, été 2005

« Loin d’être originelles, nos racines sont devant nous. » À partir de ce constat singulier, l’intellectuel palestinien francophile Elias Sanbar s’intéresse aux « moments privilégiés » qui contribuent à forger l’identité d’un peuple, le palestinien en l’occurrence.

L’auteur en dégage trois figures principales, traitées de manière chronologique. Au XIXe siècle, sous l’Empire ottoman, la figure dominante est celle du Palestinien habi­tant une Terre sainte, presque hors du temps, lieu sacré où coexistent trois grands monothéismes.

De ce portrait un peu brumeux émerge une figure de remplacement, celle-là en conjonction étroite avec les bouleversements politiques du début du XXe siècle : mandat colonial britannique, immigration accrue des juifs, conséquence de leur persé­cution en Europe. L’Occident se construit alors une image néfaste des Palestiniens, brimant une communauté juive qui reprend et exploite à juste titre un territoire qui lui appartiendrait de droit. La communauté palestinienne, vue comme des « arabes en Palestine », pire comme les « non-juifs de Palestine », devient étrangère sur sa pro­pre terre.

Après les expulsions de 1948 dues à la guerre israélo­-arabe, et ce qui s’ensuivit, l’entassement des Palestiniens dans des camps de réfugiés, le Palestinien fait désormais figure d’« invisible », d’« absent », bref il subit un travail d’effacement de la mémoire. « Un édifice en trois étages émerge : expul­sion, prévention de tout retour des Palestiniens et mainmise des seuls juifs sur les lieux. » Contre ce déni d’existence se développe alors une culture bien distincte, vivace, nourrie de nostalgie, la culture d’un peuple qui croit au retour mythique à la terre d’origine, et qui réclame un État bien à lui.

Un seul agacement à la lecture de cet ouvrage par ailleurs fouillé, dense, riche en informations : une utilisation particulière des sour­ces externes, qui sont citées comme il se doit, entre guil­lemets, mais sans en identi­fier les auteurs.