La Presse, 18 février 2025
Un projet d’exportation du gaz canadien à partir de l’est du pays renforcerait la sécurité énergétique des pays importateurs et permettrait au Canada de moins dépendre du marché américain, explique le spécialiste en énergie Yvan Cliche
Yvan Cliche
Spécialiste en énergie et fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM)
Les menaces tarifaires de la nouvelle administration Trump ont relancé le débat sur l’intérêt d’installer des tuyaux capables d’acheminer du pétrole et du gaz hors du giron américain. Et le Québec n’y échappe pas.
Selon un sondage SOM-La Presse1, plus de la moitié des Québécois souhaitent voir renaître les projets controversés de GNL Québec et Énergie Est. Mais est-ce vraiment une bonne idée de construire un pipeline ou un gazoduc d’ouest en est du pays ?
Il faudrait bien sûr attendre le dépôt d’un projet concret avant de pouvoir se faire une tête sur son caractère réaliste, avec en main la projection de la demande, l’identité des acheteurs potentiels, les coûts et l’échéancier ainsi que le prix envisagé de la molécule dans un horizon de 20 ans.
Mais, étant donné le caractère stratégique d’une diversification des voies d’acheminement du pétrole et du gaz canadien, nos gouvernements devraient envisager la réalisation de telles infrastructures avec un préjugé favorable.
L’exportation possible de gaz depuis le Québec
Le gaz est l’énergie fossile ayant le meilleur avenir, qui risque le moins d’être compromis par la transition énergétique. C’est le projet d’exportation fossile ayant potentiellement le plus de chances de réussir. La combustion du gaz émet moins de dioxyde de carbone que celle du charbon et du pétrole, bien que le méthane, son principal composant, ait une durée de vie courte dans l’atmosphère, mais un potentiel de réchauffement supérieur à celui du CO2.
Actuellement, toutes nos exportations de gaz vont vers les États-Unis, ayant permis à l’industrie canadienne d’engranger 13 milliards de revenus annuels en 20232. Un premier terminal d’exportation vers les marchés mondiaux sera mis en service cette année, le projet LNG Canada, à partir du port de Kitimat, en Colombie-Britannique.
Facteurs positifs
Parmi les facteurs en faveur d’un tel projet de gazoduc vers le Québec, il y a l’attitude de Washington, avec son approche de « domination énergétique ». Tout comme les Russes, l’administration américaine entend utiliser le gaz à des fins politiques3, notamment dans ses négociations avec l’Europe pour rééquilibrer sa balance commerciale. Devant les mesures tarifaires américaines, la Chine vient d’imposer un tarif de 15 % aux importations de gaz naturel liquéfié (GNL) des États-Unis4.
Ce chantage énergétique risque de déplaire grandement aux acheteurs. Les États-Unis en tireront peut-être profit à court terme, mais ils risquent gros à long terme.
C’est là un des atouts majeurs du Canada : ce pays n’a jamais effectué un tel chantage pour une ressource aussi cruciale que l’énergie.
L’Europe accueillerait très favorablement une présence accrue du Canada sur la scène gazière internationale. La preuve en a été faite avec la visite du chancelier allemand en 2022, venu explicitement au pays pour voir si l’Allemagne pouvait s’approvisionner en gaz canadien dans un délai raisonnable.
D’autres acteurs, notamment en Asie, seraient tout aussi disposés à acheter du gaz canadien. Le continent asiatique cherche à remplacer son charbon par du gaz, moins polluant.
Or, le marché du GNL est dominé par trois pays : les États-Unis, le Qatar et l’Australie. Une situation inconfortable pour les importateurs. La présence canadienne ferait jouer la concurrence, et notre pays dispose de ressources abondantes : le Canada est le cinquième producteur de gaz au monde.
Facteurs défavorables
Cependant, il existe aussi des vents contraires pour ce projet d’exportation. Le premier obstacle majeur : l’incertitude sur la demande de gaz en 2050. Permettra-t-elle à un promoteur mettant un projet en service d’ici environ cinq ans de récupérer ses coûts et de réaliser un profit raisonnable ?
Il y a une demande soutenue pour du gaz naturel liquéfié, mais les analystes prévoient une hausse importante de la production dès 2026. À court terme, il y aura donc un surplus de l’offre par rapport à la demande. À partir du milieu des années 2030, les prévisions deviennent incertaines, ce qui revient à parier sur l’avenir.
On en sait quelque chose au Québec : en une petite décennie, nous sommes passés de surplus d’électricité à des blocs d’énergie attribués dorénavant au compte-gouttes.
À ce stade-ci, il est bien difficile de prévoir comment le monde évoluera, sur les plans économique et géopolitique, et les conséquences de cette évolution sur la demande en énergie.
Chose certaine, un projet d’exportation du gaz canadien à partir de l’est du pays renforcerait la sécurité énergétique des pays importateurs, permettrait au Canada de moins dépendre du marché américain et offrirait au Québec des retombées économiques non négligeables pour les temps difficiles qui s’annoncent.
Quant à savoir si cela suffirait pour assurer le succès d’un tel projet d’exportation de gaz naturel liquéfié canadien à partir du Québec, bien malin celui qui pourrait le garantir en toute confiance.
1. Lisez l’article « Sondage SOM-La Presse : les pipelines ont soudainement la cote »
3. Lisez l’article publié par l’Atlantic Council (en anglais)
4. Lisez l’article « China slaps extra 15 % tariffs on US coal, LNG, 10 % on US crude in Trump retaliation » (en anglais)Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue
