Avant l’après, voyages à Cuba après George Orwell

Frédérick Lavoie, Avant l’après, La Peuplade, Chicoutimi, 2018, 428 pages

Nuit blanche, site web, juin 2018

On reçoit le livre, et on a le goût d’en commencer la lecture, tant le titre est intrigant. D’abord, une explication sur ce titre : « avant » a trait à la période castriste, sur le point d’érosion avancée, et l’« après » est celle où, avec l’ouverture prévue du pays, Cuba perdra de son charme rustique, envahi qu’il serait par l’afflux massif de capitaux étrangers, américains notamment. Quant au sous-titre, il fait référence à une interrogation au centre du projet de l’auteur : comment se fait-il que le régime castriste, à la triste réputation d’étouffer toute critique, ait « accepté » la publication en 2016 du roman 1984 de George Orwell, un écrivain connu pour avoir, à travers ce roman mais aussi La ferme des animaux, décrit avec tant de justesse et de satire le totalitarisme ?

À partir de ce questionnement, Frédérick Lavoie, un jeune journaliste indépendant en politique internationale, lance une véritable investigation. Il n’arrivera pas, au terme de son enquête, à dégager une réponse parfaitement claire, car le régime castriste, même si amolli, usé, fatigué, reste encore très opaque. Mais on suit néanmoins l’auteur avec grand intérêt, notamment parce qu’il nous fait connaître Cuba de l’intérieur, sa vie culturelle et intellectuelle.

On y découvre un pays en fort état d’apathie, une population consciente du « grand mensonge national », mais pas encore mobilisée pour casser la baraque et transiter vers la démocratie ; un peuple simplement désireux, pour le moment, de minimiser les méfaits du régime dans sa vie de tous les jours.

« Sauvegarder la Révolution aujourd’hui, c’est un peu, beaucoup, lui permettre de continuer de vivre dans le déni en lui épargnant les détails sur la gangrène qui la ronge de l’intérieur. »

Si 1984 a pu paraître, c’est justement parce que le régime est certain que le message du livre ne compromettra pas sa mainmise sur le pouvoir, et que le risque commercial en vaut la chandelle. On referme cet utile témoignage en se convainquant que, bien que la clique castriste n’ait pas atteint les excès répressifs connus ailleurs, les Cubains n’en ont pas moins subi pendant près de 60 ans la folie d’un homme qui les a confinés dans un périmètre bien en deçà de leur potentiel.

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