Plafonner le prix de l’essence, une fausse bonne idée

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Le Soleil, 26 mai 2022

YVAN CLICHE
Fellow, Centre de recherches et d’études internationales de l’Université de Montréal (CERIUM)
POINT DE VUE / Comme toujours quand il y a une hausse des prix du carburant, les citoyens grognent et les politiciens, voulant agir mais se sentant impuissants, pointent du doigt la voracité des pétrolières et exigent des mesures pour limiter la hausse.

Le contrôle des prix du carburant a déjà été testé, pas loin d’ici, aux États-Unis : dans les années 1970, période où, à la faveur de l’embargo de pétrole de 1973, le prix du baril de pétrole a quadruplé.

Durant cette décennie, Washington, voulant garder l’inflation sous contrôle, a mis en place une série de mesures, dont celui de plafonner le prix des produits pétroliers. Le souvenir qui reste de cette décennie en est un de pénuries régulières, de stations d’essence fermées ou mises en faillite.

Au début des années 1980, Washington a aboli cette politique de contrôle et, après un léger soubresaut, les prix de carburant se sont rapidement stabilisés.

L’imposition au Québec d’un prix maximum du carburant est prévue à l’article 68 de la Loi sur les produits pétroliers. Le site web de la Régie de l’énergie nous indique que cette mesure n’a été utilisée qu’une fois, à l’été 1987, dans certaines régions du Québec.

Depuis, le marché du pétrole a beaucoup évolué : il s’est grandement mondialisé. Le prix est déterminé par des indices de référence et des négociateurs (traders), qui transigent entre les producteurs et les raffineries pour des considérations strictement économiques et financières.

Un plafond sur les prix du carburant, appliqué ici, en stimulant la demande, risque de rencontrer un os du côté de l’offre : ne pouvant plus couvrir leurs frais, les raffineries, si elles n’étaient pas compensées, limiteraient dans le marché québécois la mise en marché des produits pétroliers, d’où des queues possibles dans nos stations-services.

Pourtant, le marché actuel du carburant au Québec ne contient pas d’anomalies, de gonflements indus de la marge bénéficiaire des grossistes et des détaillants. Un avis récent de la Régie de l’énergie confirme que le marché fonctionne normalement, dans un contexte de saine concurrence. (1)

Une pénurie de l’offre
La hausse actuelle des prix du carburant est principalement due à un déficit du côté de l’offre de pétrole. Malgré l’inflation, l’économie roule à plein régime et la demande mondiale reste forte.

Or, les pays riches souhaitent se départir du pétrole russe, ce qui retire l’accès à des millions de barils dans un marché déjà serré.

L’Arabie et d’autres pays producteurs, à dessein pour maintenir les prix élevés ou en raison de contraintes logistiques, n’atteignent pas encore la hausse prévue de leurs quotas de production.

Quant aux entreprises pétrolières privées, les BP, Chevron ExxonMobil, Shell, Total, échaudées par la pandémie (des pertes de 76 milliards en 2020), elles restent prudentes. Elles se contentent présentement de renvoyer à leurs actionnaires leurs profits exorbitants, au lieu de dépenser aux fins d’augmenter la production.

Enfin, la pandémie a aussi fortement touché les raffineries à l’échelle mondiale : plusieurs ont dû fermer définitivement leurs portes, limitant la disponibilité des produits pétroliers, et augmentant d’autant la marge de celles en exploitation.

La crise énergétique des années 1970 a amené de grands changements : des limites de vitesse plus contraignantes, des standards plus élevés de consommation des véhicules, des mesures innovantes en efficacité énergétique. Réduisant d’autant la croissance de la demande en pétrole.

La crise énergétique que nous traversons présentement entraînera aussi des conséquences durables : inciter les gens à consommer moins, mieux, à passer au transport en commun, aux véhicules électriques, à adopter de nouvelles technologies et des habitudes sobres, dont plusieurs resteront pérennes et qui nécessiteront moins de ce carburant devenu si dispendieux.

La situation actuelle est certes difficile pour tous. Mais la riche histoire de l’énergie enseigne que de bonnes choses en résulteront.

1- Régie de l’énergie, Avis au ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles en vertu des articles 42 et 57 de la Loi sur la Régie de l’énergie sur le niveau des prix de vente au détail de l’essence au Québec, 7 avril 2022.
http://www.regie-energie.qc.ca/audiences/decisions/A-2022-01-%20Avis%20prix%20au%20detail%20essence%20Quebec.pdf