Gilles Kepel, Du jihad à la fitna, Paris, Fayard, 2005.
Nuit blanche, numéro 103, juin 2006
Le spécialiste le plus connu de l’islam contemporain, Gilles Kepel, celui-là même qui attire, ici même au Québec, de grosses foules de gens avides de mieux comprendre le 11 septembre, livre en un souffle une analyse des tensions internes qui animent la communauté de l’islam.
Débutons d’abord par une définition des termes, comme le fait Gilles Kepel. Le jihad, une notion positive en islam, est l’effort, la guerre, dans un sens politique ou spirituel, pour la défense ou la propagation de l’islam.
La fitna, un terme négatif pour les musulmans, signifie la division, la « guerre au cœur de l’islam », celle qui guette un monde islamique aux prises avec des conflits internes qui peuvent amener son recul politique et historique.
Les savants musulmans de l’islam sont hantés par cette fitna… sœur jumelle du jihad. Car cette fitna est d’autant plus vraisemblable et menaçante que l’absence de clergé en islam peut aisément susciter une cacophonie de déclarations de guerres saintes, laissant à quiconque le droit de s’en dire le défenseur, par fatwas (avis) lancées à grande diffusion à la télévision ou par la voie d’Internet.
C’est le cas avec la mouvance al-Qaida, dont aucun des gradés n’a une formation islamique formelle d’alim (docteur de la foi). Ce qui n’a pas empêché sa proclamation d’un jihad « contre les Juifs et les Croisés » d’attirer des milliers de fidèles ayant, entre autres « exploits », contribué au retrait soviétique d’Afghanistan et à la préparation et à l’exécution des attentats du 11 septembre 2001 en sol américain.
La question que pose Gilles Kepel, en laissant le débat ouvert, est : assistons-nous en ce moment en islam à un jihad en vue de l’expansion de cette religion fondée au VIIe siècle ou plutôt à sa destruction interne ? L’Irak représente bien ce dilemme : est-il devenu le terrain de combat contre le Satan occidental américain ou celui qui provoquera la ruine d’un islam tombant en décrépitude ?
Si la question peut sembler ésotérique, elle n’en est pas moins fort pratique. Elle pourrait se formuler ainsi : qui va à terme remporter la guerre des esprits chez le milliard de musulmans de la planète ? Les propagateurs d’un islam rétrograde, voulant évoluer vers le passé ? Ou ceux cherchant à adapter son enseignement aux réalités du monde moderne ?
Comme on le voit, la manière dont ce débat sera tranché déterminera en partie l’état de la sécurité internationale pour les années à venir.
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