Dans la cour du voisin

Magazine Courants, octobre-novembre-décembre 1990

L’École des Hautes Études commerciales a organisé les 22 et 23 novembre à Montréal un colloque international portant sur la Vision globale en gestion dans l’industrie des hydrocarbures. Belle occasion d’aller voir ce qui se passe dans la tour du voisin, dans un secteur connexe du vaste monde de l’énergie. Histoire de voir si les grandes problématiques propres au secteur hydroélectrique ont leur prolongement dans celui des hydrocarbures.

Good old days are gone
C’est un professeur des HEC, Tafeb Hafsi, qui a peut-être le mieux résumé aux quelque 125 participants les bouleversements profonds qui ont affecté l’industrie des hydrocarbures depuis quelques années. Depuis 1970, dit-il, les entreprises doivent faire face à plus d’incertitude. Elles sont confrontées à des variations subites des prix et de la demande, qui apparaissent souvent à la suite d’événements politiques sur lesquels elles ont peu de prise ; elles ont dû assister à l’apparition de sociétés nationales, qui ont diminué leur mainmise sur l’approvisionnement ; elles doivent composer avec plus de réglementations gouvernementales. De plus, les catastrophes écologiques (rappelons l’épisode de la firme d’Exxon, à Valdez en Alaska) ont considérablement terni leur image auprès de la population, rendant plus difficile l’acceptation de tout nouveau projet d’exploration.

Mais ce n’est pas tout. Les difficultés financières de plusieurs sociétés et les rationalisations qui se sont ensuivies ont brisé l’image de sécurité que les entreprises représentaient pour leurs employés.

Enfin le secteur pétrolier, en partie a cause de l’instabilité des sources d’approvisionnement, a dû composer avec l’entrée massive d’autres formes d’énergie, nucléaire, charbon et gaz naturel concurremment.

Pierre Masson, président-directeur général de Petrofina Delaware (E.-U.), rappelle quelques faits illustrant la fin de cette époque dorée lorsque les prix suivaient une évolution régulière et que les entreprises pétrolières avaient plus d’influence sur la stabilité du marché : disparition de grands groupes pétroliers comme Gulf Oil, achats et fusions d’autres entreprises, endettement catastrophique chez Phillips Petroleum et Union Oil, privatisation totale ou partielle des sociétés en Europe.

En tout, 300 000 emplois perdus dans l’industrie américaine sans compter, ajoute-t-il, « une diminution radicale de la production, corollaire du ralentissement de l’exploration », dont les coûts augmentent sans cesse. Pas étonnant, donc, que la survie des entreprises ait été un sujet discuté lors du colloque.

Les dirigeants — plusieurs provenaient de l’étranger — en ont ainsi profité pour échanger leurs réflexions sur les principes de gestion qui devront guider les entreprises durant la décénnie 90. Contrôle des coûts, flexibilité, diversification, entre autres en pétrochimie, avantage comparatif, développement technologique, notamment pour assurer une meilleure protection de l’environnement, innovation, vision internationale sont autant d’outils de gestion que devront manier les dirigeants s’ils veulent transformer leur organisations de hiérarchique et bureaucratique en structures souples et flexibles. « Quelles que soient les solutions avancées, elles doivent être radicales. Les mesures à la pièce (band-aid solutions) ne permettront pas aux entreprises de retrouver leur viabilité financière », soutient Don Stacy.

L’avenir
Face à ces nouveaux défis, les participants ont identifié les qualités qu’ils attendaient des futurs dirigeants et le style de gestion que ceux-ci devront préconiser.

Car gérer dans ce secteur nécéssite des qualités particulières. II faut à la fois être capable de doter l’organisation dune vision à long terme et être en mesure de réagir rapidement aux circonstances, susceptibles de changer beaucoup plus rapidement que dans d’autres secteurs.

Un exemple : dans le secteur hydroélectrique, les prix restent fixes pour une période donnée, alors que, dans le secteur pétrolier, les prix peuvent varier de jour en jour, voire d’heure en heure. Vitesse d’exécution également car « ce sont la rapidité et l’efficacité avec lesquelles nous localisons les gisements et produisons le pétrole et le gaz qui nous donnent l’avantage nécessaire pour réussir », avance David Gerard, vice-président à l’exploration internationale chez Marathon Oil (E.-U.).

Outre les qualités nouvelles du gestionnaire — perspicacité, formation technique solide, capacité de susciter l’engagement (cette dernière qualité représentant la « clé du succès des sociétés pétrolières à l’avenir » selon Robert Picard, vice-président principal, Technologie, sécurité et environnement, Shell Canada) —, les dirigeants d’entreprise devront apprendre à coopérer. « La logique de l’industrie les y pousse, opine Alirio Parra, du Centre for Global Energy Studies de Grande-Bretagne. Les principaux défis de l’avenir demeurent la sécurité des approvisionnements et la stabilité des prix et du marché. Ce sont là des facteurs que les entreprises ne peuvent pas maitriser individuellement, mais elles seraient plus en mesure d’y réagir en coordonnant leurs actions et leurs efforts. »

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