Le Français

Julien Suaudeau, Le Français, Paris, Robert Laffont, 2015, 210 p.

Nuit blanche, no. 142, printemps 2016

C’est un roman puissant, en circuit fermé, sombre mais touchant, que nous offre cet auteur qui en est à son deuxième ouvrage et qui s’intéresse ici à la détresse de jeunes faisant les petits boulots dans une France froide et ténébreuse.

L’histoire débute à Évreux, dans une Normandie où le soleil ne semble jamais trouver refuge. Et il finit en Syrie, dans le chaos infernal des combats djihadistes, où le nihilisme le dispute à la déraison.

Le narrateur et protagoniste du roman se laisse glisser dans une fluidité de plus en plus morbide d’événements qui semblent échapper à sa volonté. À Évreux, il vit comme un petit salarié sans perspective, lié à des camarades fils d’immigrants, et subit la violence de son beau-père : un déchainement d’énergie qui tranche singulièrement avec son apparente passivité, qui est aussi un trait de sa mère, avec laquelle il est grandement attaché malgré tout.

Son seul rayon de bonheur est la présence furtive de Stéphanie, une fille de son bled qui apparait s’intéresser à lui, même si on sent que le sentiment du narrateur est davantage une île fantasmée qu’une idylle partagée.

À la faveur de petites magouilles visant à faire avec un copain un rapide coup d’argent, on lui offre d’aller au Mali, à Bamako, pour faire l’entretien informatique d’un petit commerce qui s’avère un paravent à de louches manœuvres.

Instrumentalisé par les services secrets français, il part en Syrie et trouve une raison de vivre à tenir compagnie et à épauler à une jeune femme toute voilée, emprisonnée et condamnée par les djihadistes locaux. Ces derniers le forcent ni plus ni moins à jouer un rôle d’exécuteur d’otages, ce qu’il fait à visage découvert, et ses funestes actions se retrouvent partagées sur Internet. On le surnommera Le Français, dorénavant connu de la planète entière comme un assassin sadique.

Comment lui, apparemment si doux et réservé, en est-il arrivé là ? Dans une lettre touchante adressée au père qu’il ne voit plus pourtant depuis des années, à la toute fin de son parcours trouble, il apporte une piste d’explications, en lançant ce bouleversant cri du cœur : « (…) vous m’avez tout pris : l’amour, la beauté des lendemains, vous avez tout fracassé (…) je suis là, je suis là, je suis là. Est-ce que tu m’entends, Papa ? Je ne suis pas une petite chose… »

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