« La force de la science en Israël tient du lien organique entre l’académique et l’industrie »
La Voix sépharade, mars / avril 2023 (p.10-11)
Yvan Cliche
Le scientifique Dan Blumberg, vice-président à l’Université Ben-Gurion du Néguev, a été nommé en 2022 à la présidence de l’Agence spatiale israélienne.
M. Blumberg œuvre depuis une région, Beer Sheva, en pleine ébullition, et l’université Ben-Gurion* est au cœur de cet élan, inspiré notamment par la décentralisation récente d’opérations de l’armée israélienne.
Cette décentralisation vient renforcer le projet de mise en place d’un Beer Sheva Innovation District, rassemblant l’université, fréquenté par quelque 20 000 étudiants, le parc de haute technologie, où travaillent environ 2 500 personnes, le monde médical, qui compte environ 4 500 employés, et le campus de télécommunications de l’armée, où environ 5 000 recrues et soldats de carrière sont censés servir.
La Voix sépharade a eu le privilège de discuter avec Dan Blumberg de l’état de la science en Israël. L’entretien s’est déroulé via Zoom le 11 janvier 2023.
Pouvez-vous nous brosser un portrait général de l’état de la recherche scientifique en Israël ?
Israël compte une dizaine d’universités, et je pense qu’on peut dire qu’elles se débrouillent bien, voire très bien pour la plupart d’entre elles en matière de production scientifique. Israël a mis en place un écosystème efficace de transfert technologique entre le monde académique et l’économie, l’industrie. On a mécanisme formel facilitant ce lien être l’académique et l’industrie, cette « vallée de la mort » comme on l’appelle dans mon milieu, soit le Israel Innovation Authority, responsable des transferts de connaissances. Nous avons dans le pays une culture entrepreneuriale dynamique, une infrastructure technologique robuste et une main-d’œuvre hautement qualifiée. L’innovation est l’une des ressources naturelles les plus précieuses d’Israël, que nous devons l’entretenir. Bien sûr, certains diront qu’on peut mieux faire, et c’est le cas.
Comment expliquer cette relation proche, qui semble mieux fonctionner qu’ailleurs, entre le milieu universitaire et l’industrie ?
Il y a trois raisons à cela. Israël est une société très réseautée, connectée. Si vous ne savez pas qu’un chercheur produit de la connaissance dans un domaine qui vous intéresse, vous ne pouvez rien entreprendre à ce sujet ! Or, la petite taille du pays, la proximité crée par le service militaire obligatoire notamment, concourent à ce réseautage plus étroit.
Le deuxième élément est que le financement des bailleurs de fonds pour la recherche scientifique est souvent dirigé vers le transfert de connaissances, avec des incitatifs à cette fin. Enfin, le troisième élément découle de la nécessité : on a construit ce pays dans un court laps de temps, de manière un peu isolée. On a été amené à trouver nous-mêmes, chez nous, des solutions à nos enjeux.
Vous avez récemment été nommé comme dirigeant de l’Agence spatiale israélienne. Comment expliquer qu’un petit pays comme Israël se soit taillé une place dans ce secteur pointu, et quelles sont vos priorités à court et moyen terme ?
Israël a mis en place une agence spatiale en 1983. Un premier satellite a été lancé en 1988. Quand on a signé la paix avec l’Égypte, l’accord prévoyait que l’on pourrait surveiller la démilitarisation du désert du Sinaï. Munis cette nouvelle capacité, nous avons voulu la développer, avec la communication par satellites notamment, et nous sommes taillé une place dans le concert des nations actives dans ce domaine.
Si l’espace était autrefois le domaine réservé de quelques pays puissants, la situation a changé ces dernières années et devrait encore évoluer au cours de la prochaine décennie. De plus en plus de pays s’impliquent dans des missions spatiales et aussi des entreprises privées, qui lancent leurs propres satellites. Les technologies sont moins chères et évoluent rapidement.
Nous cherchons à renforcer l’écosystème économique autour de ce secteur névralgique. D’autant qu’Israël y a un rôle comme le prouve l’existence d’une firme comme Space Pharma, spécialisée en médecine spatiale. Le secteur s’élargit et il faut multiplier les collaborations, notamment pour un petit pays comme le nôtre qui doit rester en avant de la parade s’il veut rester pertinent : je pense à des domaines en ascension, comme les voyages privés dans l’espace, les nanosatellites, l’imagerie. Ce serait bien d’ailleurs d’établir une coopération avec le Canada, un acteur significatif dans le domaine spatial. Il nous faudrait un mécanisme conjoint de financement de la recherche.
L’Université Ben-Gurion du Néguev a développé une expertise touchant la vie humaine dans des zones à température élevée, et l’utilisation efficiente de l’eau dans ce contexte. Avec l’enjeu des changements climatiques, il s‘agit d’un enjeu qui concerne de plus en plus tous les continents. N’est-ce pas là une opportunité intéressante pour votre université et Israël ?
Des progrès significatifs ont déjà émergé de la région de Beer Sheva : l’irrigation goutte à goutte et la dessalement. (L’irrigation goutte à goutte est un type de système de micro-irrigation qui permet d’économiser l’eau en la laissant s’égoutter lentement jusqu’aux racines des plantes, soit au-dessus de la surface du sol, soit sous la surface. L’objectif est de placer l’eau directement dans la zone des racines et de minimiser l’évaporation).
Avec l’enjeu climatique, la communauté internationale va de plus en plus se tourner vers Israël pour en connaitre davantage sur la possibilité de bien vivre en zones chaudes. Les chercheurs de notre université mènent des recherches interdisciplinaires pour trouver des solutions au problème de la détérioration des ressources en eau, pour fournir de l’eau potable pour la population, pour l’agriculture et l’industrie, grâce à des avancées dans les technologies de récupération de l’eau.
Les chercheurs de l’université s’attaquent aussi à développer des techniques de construction avancées et des matériaux adaptés à la chaleur et au soleil du désert. En énergie, nous menons des recherches sur l’énergie solaire, les biocarburants, et les nano-matériaux, sur les réseaux et les villes intelligentes. Nos recherches mènent déjà à des économies en matière de consommation d’énergie. Ce ne sont que quelques exemples.
Quel rôle social joue votre université, située en plein désert ?
L’Université Ben-Gurion joue un rôle central dans l’économie de toute une région. Au fil du temps, elle a bâti tout un écosystème de collaboration, des tentacules dans tous les secteurs.
Nous avons aussi une histoire, qui aide à comprendre ce que nous sommes. La région de Beer Sheva a longtemps été la cour arrière d’Israël. Or, aujourd’hui, une ville comme Tel Aviv est maintenant peu accessible au niveau du logement. Beer Sheva est devenu ainsi un pôle d’attraction pour des gens soucieux d’une belle carrière et d’une belle qualité de vie. La communauté d’ici est résolue à créer et à renforcer le contexte d’une communauté dynamique, où les jeunes pourront venir s’épanouir pas seulement au sein de notre université, mais aussi dans l’écosystème économique qui en découle.
La décentralisation des activités des technologies de l’information et de cybersécurité de l’armée israélienne est très aidante à cet égard. La clé pour nous sera de travailler de manière étroite avec ce partenaire. Plus globalement, nous sommes en mesure d’offrir aux chercheurs et aux industriels des infrastructures dignes du 21e siècle, à moindres frais qu’ailleurs, et avec une proximité entre la recherche et l’industrie à nul pareil.
Le Premier ministre Ben Gurion avait ce rêve de peupler le désert israélien. Est-ce que ce rêve a été atteint ?
Le Néguev constitue 50 % du territoire israélien, mais seulement 11 % de sa population. Il y a donc encore un écart entre l’importance numérique de la population que nous abritons et l’espace dont nous disposons. La mise en place d’un fort pôle en matière d’innovation crée présentement un élan important, si bien que, depuis quelque temps, plus d’étudiants restent ici une fois leurs études complétées. Notre défi est de renforcer cet écosystème, créer une communauté vibrante, attractive, de maintenir à long terme le beau momentum que nous vivons présentement.
*À Montréal et au Canada, l’Université Ben-Gurion est représentée par
« Ben-Gourion Canada », un organisme à but non lucratif. Pour plus d’informations : www.bengurion.ca
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