La deuxième fâtiha. L’islam et la pensée des droits de l’Homme

Yadh Ben Achour, La deuxième fâtiha. L’islam et la pensée des droits de l’Homme, Paris, PUF, 2011.

Nuit blanche, janvier-février-mars 2012

Même si le contenu de ce livre dense et stimulant peut apparaitre comme relativement peu accessible aux non spécialistes de l’islam, le message fondamental de cet éminent intellectuel tunisien n’en est pas moins limpide.

Si elle veut se sortir de la régression dans laquelle elle est plongée depuis des siècles, la civilisation musulmane doit se réinventer en adoptant, ni plus ni moins, les valeurs qui ont contribué à l’avancée de l’Occident, et qui sont devenues, dit l’auteur sans ambages, universelles : séparation du politique du religieux, État de droit, liberté individuelle, respect des droits de l’homme, droits des femmes, liberté de conscience et de parole.

Pour cet ex professeur universitaires de sciences juridiques venant d’une famille avantageusement connue en Tunisie pour ses contributions intellectuelles, en islam, en droit, ou en politique, « la société islamique se trouve aujourd’hui atteinte du fond de son être, gangrénée par un formalisme outrancier, une politisation désastreuse, un attachement maladif aux manifestations socioculturelles externes, une puérilité sans limite de la pensée religieuse ». (p.8)

La civilisation islamique actuelle apparait imperméable au doute, à la remise en cause, engouffrée dans sa certitude d’avoir, avec le Coran, le Livre final, parole de Dieu qu’on ne peut donc questionner, et dont seuls les premiers califes ont véritablement mis en pratique la sagesse et le savoir.

Pour Yadh Ben Achour, un auteur de plusieurs ouvrages savants qui démontrent sa capacité de manier avec autant de profondeur la philosophie occidentale qu’orientale, le sous-développement du monde arabe s’explique aussi par ce gel de la pensée religieuse et la survivance de coutumes ancestrales peu compatibles avec la modernité. La survalorisation du passé, la sacralisation du texte religieux et son interprétation littérale contribuent à perpétuer un état mental ossifié, qui agit comme un rempart à la nécessaire réinvention de toute civilisation et son adaptation constructive aux conditions dominantes qui l’entourent.

Comment instiller une mentalité de progrès en islam, encore prisonnier de ses pesanteurs historiques ? « Abolir la lettre, car la lettre tue, c’est vivifier l’esprit » (p.21), dit le juriste. Un large débat autour de la religion s’impose, favorisant une interprétation évolutive des textes fondateurs, ouvert aux enjeux actuels, et non plus, comme c’est trop souvent le cas, une apologétique aveugle ne visant qu’à valider des dogmes anciens mis à mal par les idées modernes.

Mais il faut surtout implanter, soutient avec ardeur M. Ben Achour, dans les têtes et dans les cœurs, cette idée de la primauté des droits de l’homme sur la religion, car l’inverse conduit nécessairement à l’assujettissement. Dans le monde arabe actuel, cette vision apparait encore peu susceptible de gagner la faveur des masses. Mais la Révolution tunisienne, si chère à ce penseur si épris de raison et de liberté, amène un peu d’espoir.

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