Catherine Graciet, Éric Laurent, Le Roi prédateur. Main basse sur le Maroc, Paris, Seuil, 2012.
Nuit blanche, janvier-février-mars 2013
Son père, Hassan II, avait eu à subir la forte tempête déclenchée par la publication en 1998 du livre choc du journaliste Gilles Perrault, Notre ami le Roi, portant sur les terribles exactions contre les droits humains commises au Maroc et l’absolutisme régnant dans le pays.
Comment Mohammed VI, actuel roi du Maroc depuis 1999 et fils de Hassan II, composera-t-il avec les révélations contenues dans cet ouvrage, sans surprise interdit au Maroc ? Car c’est aussi un livre choc que publient ces deux journalistes français familiers du Maroc (pour un, Éric Laurent avait pu recueillir nombre de confidences de Hassan II, notamment à la fin de son règne de presque 40 ans).
Les auteurs brossent un portrait sans nuance de l’héritier de la dynastie alaouite. Beaucoup moins politique que son père, réputé comme un homme cruel et méprisant, mais rusé et habile à manipuler ses alliés et opposants, M6 (son diminutif au Maroc) s’est plutôt investi dans la sphère économique, faisant du pays sa basse-cour, aux fins de son enrichissement et de celui de sa petite clique de courtisans animée, disent les auteurs, par la servilité et l’avidité.
Un exemple : le roi a des intérêts financiers… dans des entreprises subventionnées par l’État marocain ! « Au Maroc c’est le peuple qui, chaque jour que Dieu fait, enrichit le roi en achetant les produits de ses entreprises ». (p.207) Et ce alors que le roi s’attribue, une indécence pour un pays pauvre, un salaire mensuel très supérieur à celui du président américain.
Le livre s’attarde beaucoup sur les agissements néfastes des principaux collaborateurs de M6, notamment Fouad Ali El Himma, qui a un rôle plus politique et sécuritaire, et Mounir Majidi et Hassan Bouhemou, dont le rôle est de veiller à manipuler la vie économique du pays à l’avantage des intérêts pécuniaires du roi. Et qui n’hésitent pas à écraser tout ceux qui, même si alliés d’un moment, leur sèment des embûches, quitte à utiliser une justice servile pour leur fabriquer de faux procès, bref en pratiquant « cette forme dégradée du pouvoir qu’est l’abus permanent ». (p.15)
Un des éléments intriguant du livre est la perte d’influence relative de la France auprès de l’actuel trône marocain, une France encore figée dans ses réflexes passés envers un Maroc qui lui était autrefois entièrement conquis, mais qui maintenant se tourne de plus en plus vers les États richissimes du golfe Persique.
La conclusion du livre sera claire pour plusieurs lecteurs : le Maroc, grand pourvoyeur d’immigrants pour le Québec, n’ira nulle part si son premier dirigeant, en théorie inattaquable de par son statut de « chef des croyants », continue de se placer au-dessus de la mêlée, jouant à la fois le rôle de rentier économique et d’investisseur, à agir comme un autocrate pouvant écarter à souhait ses opposants, et à tordre la justice selon ses intérêts politiques ou économiques du moment. En somme, à mettre ses intérêts personnels en concurrence avec l’intérêt général, dont il a pourtant la responsabilité suprême.
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