L’auteur, politicologue de formation, revient d’un séjour de trois semaines au Maroc. Il est, depuis 15 ans, un grand utilisateur du métro.
Métro, 12 mars 2001
Le gouvernement du Québec a ciblé le Maghreb, et entre autres le Maroc, en vue d’accroître l’immigration francophone au Québec et de la faire passer de 30 000 à un total de 45 000 annuellement en 2003.
En 1999, le Maroc a constitué le quatrième pourvoyeur de nouveaux arrivants au Québec, derrière la France, la Chine et l’Algérie. Il s’agit d’une population immigrante largement instruite, et localisée surtout à Montréal.
Il y a là une belle coïncidence d’intérêts, car nombre de jeunes Marocains rêvent du Canada, surtout du Québec, eux dont la deuxième langue reste encore le français. Contrairement aux générations précédentes, les jeunes Marocains, dont près de 40 % ont moins de 15 ans, sont moins attirés que leurs aînés par la France, pays perçu comme hostile à leur présence et plus fermé à l’immigration en général.
Ce rêve de départ des jeunes Marocains ouvertement reconnu par la presse locale, reflète les lourds défis auxquels doit faire face le pays, et notamment son nouveau roi, Mohammed VI, fils de Hassan II, qui a succédé à ce dernier en juillet 1999.
Face à l’héritage du long règne (38 ans) du roi précédent, nombre d’intellectuels marocains cèdent à une certaine morosité quant à l’avenir, fort conscients de la position peu enviable de leur pays, classé au 126e rang de l’indice de développement humain de l’Organisation des Nations unies au sein duquel – le Premier ministre Chrétien aime bien le rappeler -, le Canada occupe la première place.
Même le pays voisin, l’Algérie, avec sa violence endémique, fait mieux, classée au 109e rang. Notamment en termes d’alphabétisation, le Maroc traîne loin derrière ses voisins, avec une population alphabétisée à environ 45 %, pour un taux avoisinant les 65 % pour l’Algérie et la Tunisie.
Comme plusieurs pays en voie de développement, le Maroc, avec ses 29 millions d’habitants, est un pays de contrastes saisissants. Dans les rues de Casablanca notamment, le poumon économique du pays, on peut contempler des BMW de l’année se faufiler entre les ânes des pauvres badauds venus tenter leur chance en ville, voir défiler de jeunes filles habillées aux dernières modes parisiennes comme d’autres arborant le voile ou admirer des villas somptueuses qui font contraste avec des bidonvilles peuplés de paysans ayant abandonné leur terre dévastée par la sécheresse des dernières années, un mal grave et récurrent qui affecte ce pays encore largement agricole.
Un peuple près de ses traditions, mais qui regarde à satiété la télévision étrangère, grâce aux satellites omniprésents sur toutes les résidences, toutes classes sociales confondues.
Beaucoup d’espoir se sont placés sur le jeune roi, dont un des gestes les plus spectaculaires a été de démettre, en novembre 1999, le tout-puissant ministre de l’Intérieur, Driss Basri, qui avait façonné un système de répression dont les Marocains voudraient faire un lointain souvenir.
En contraste, le nouveau roi s’est fait le champion des droits humains et des libertés individuelles et il a favorisé le retour au pays d’anciens opposants. Il a permis l’expression d’une presse libre, qui se fait fort, avec un mélange de lucidité et d’impertinence, de nommer les maux du pays, ce qui aurait autrefois été suicidaire.
De grands défis
Les défis de Mohammed VI sont nombreux, chacun parsemés de nombreux embûches. Le premier défi est bien sûr d’ordre économique. Ayant peu profité de l’essor de l’économie mondiale de la dernière décennie, le Maroc cherche à s’intégrer à l’économie internationale, par le biais d’échanges accrus avec l’Europe. Les indicateurs de croissance économique sont particulièrement stagnants depuis les dernières années.
Malgré des mesures récentes pour moderniser son économie, notamment la privatisation de sociétés d’État, comme dans les télécommunications, le Maroc montre des résultats mitigés pour 2000. Dépendante de l’agriculture et du pétrole importé pour supporter son économie, le Maroc a encore subi la sécheresse (quoiqu’il ait plu en décembre et janvier), et la hausse des prix de l’or noir a grugé les recettes du pays, déjà aux prises avec une dette extérieure accaparant le tiers du budget national.
Rêves de pétrole
Les attentes envers le nouveau gouvernement du premier ministre Youssoufi, celui qui a assuré depuis 1998 la transition entre le règne des deux rois, sont donc pour le moment déçues. Un espoir important au tableau : la découverte de gisements pétroliers à Talsinnt, dans le sud-est du pays, avec des réserves potentielles de 1,5 milliard de barils alimente le rêve d’un Maroc pétrolier, engrangeant les revenus au même rythme que ses lointains voisins de Golfe persique et permettant, à terme, de réduire la pauvreté et les disparités sociales, notamment entre les villes et les campagnes.
Ces revenus potentiellement croissants posent le débat du partage des richesses et amènent sur le tapis un sujet autrefois tabou : la corruption. Tous reconnaissent l’existence du problème, et le cancer qu’il pose au pays, notamment celui de miner la confiance des citoyens envers leur propre système de gouvernance.
Ainsi persistent des doutes constants sur l’enrichissement illégitime des dirigeants politiques et économiques et une méfiance face à une bureaucratie tatillonne, peu efficace à faciliter la venue d’investissements étrangers, pourtant si nécessaires au développement du pays. Malgré des mesures pour contrer ce fléau, nombreux admettent avec résignation la persistance du phénomène et les résistances au changement des principaux bénéficiaires de ce régime de favoritisme.
Autre défi : la place des femmes. Fortement sous-représentée dans les sphères de décision, y compris sur le plan politique, la femme souffre toujours d’un déficit socio-économique et juridique majeur, la loi la traitant encore comme une mineure.
Avec un chômage atteignant plus de 25 % en milieu urbain, les jeunes diplômés universitaires sont frustrés que leur formation, acquise souvent au prix de maints sacrifices, ne peuvent leur permettre l’accession à un emploi satisfaisant, voire à un emploi tout court. Plusieurs en sont réduits à l’économie informelle ou basculent vers les organisations islamistes, réputées pour les accueillir avec bienfaisance.
L’année 20012 s’avère cruciale pour le Maroc.
Le pays doit maintenir fermement sa transition, pour l’heure fragile, vers une économie plus solide, permettant un meilleur partage des richesses, offrant de meilleurs perspectives aux jeunes, une plus large démocratisation de la vie publique, une place accrue pour les femmes, bref une société plus fonctionnelle et moderne, dirigée par une élite prête à faire les efforts nécessaires pour améliorer le sort d’une population qui ne demande pas mieux que changements et réformes.
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