Magazine Courants, octobre-novembre-décembre 1989
Le célèbre scientifique et chercheur français, Henri Laborit, est surtout connu comme médecin-chirurgien et biologiste. Il a consacre sa vie à l’étude des mécanismes du vivant, de sa plus petite manifestation, la molécule, jusqu’à ses niveaux d’organisation plus étendus que sont, entre autres, les États et les systèmes politiques. Sa célébrité provient de la découverte de nouvelles drogues, qui seront utilisées en anesthésie, en cardiologie et en psychiatrie. Pour comprendre ses travaux, il est utile de connaitre de manière générale le fonctionnement du système nerveux.
Trois étapes
Le système nerveux sert à agir sur l’environnement matériel et social au mieux des intérêts de l’organisme qui l’habite. Ainsi, l’organisme préserve sa structure et son équilibre biologique et psychologique par une action motrice sur l’environnement. Schématiquement, le système nerveux peut être divisé en trois stages. Ces trois stages sont inter-reliés par le biais de trois faisceaux nerveux, qui sont le circuit de la récompense (MFB), le circuit de la punition (PVS) et le circuit de l’inhibition de l’action (SIA). Le premier stage est l’hypothalamus et le tronc central, qui assure le maintien de l’intégrité biologique et psychologique ; le deuxième stage est le système limbique, qui permet l’apprentissage (la mémorisation et l’affectivité). Enfin, le troisième stage est forme des aires associatives et de l’aire orbito-frontale, et permet la créativité.
Quand il y a action gratifiante, il y a alors maintien de l’équilibre biologique, du bien-être et du plaisir. Des contraintes peuvent toutefois survenir à l’action gratifiante. Il y a alors manifestation d’un comportement de fuite ou de lutte. Si la fuite ou la lutte s’avèrent inefficaces, il se produit ce qu’Henri Laborit nomme inhibition de l’action en même temps que le désir de se faire plaisir se maintient. Dans le cerveau, il y aura ainsi une compétition entre les circuits de l’action (récompense et punition) et le circuit de l’inhibition de l’action, d’où apparition du stress et de l’angoisse. Une chronicité de cette inhibition de l’action, prévient Henri Laborit, provoquera des troubles fonctionnels et un affaiblissement du système immunitaire pouvant aboutir, à plus ou moins long terme, à la maladie physique et mentale.
Un mécanisme fréquent d’inhibition de l’action survient lorsqu’il y a conflit entre la recherche du plaisir et du bien-être et les interdits socioculturels. C’est-à-dire que cette pulsion de se faire plaisir se trouve, dans les systèmes neuronaux, en opposition avec les voies codées par l’apprentissage socioculturel. Cette socio-culture a créé des automatismes de pensée et d’action, dont nous sommes largement inconscients, mais qui sont indispensables au maintien de la structure hiérarchique de dominance, organisée, dans notre société, sur la production et la vente de marchandises.
Travail et conformisme
Le travail est un lieu privilégié où s’établissent les échelles hiérarchiques de dominance. Selon Henri Laborit, l’homme est considéré dans nos sociétés contemporaines comme un agent de production à qui on apprend à n’être motivé que par la promotion sociale. Celui qui possède l’information technique facilitant une production plus efficace et abondante est privilégié et bénéficie d’une meilleure position sociale. Il est cependant possible de trouver le bonheur dans le conformisme socioculturel, puisque l’individu évite la punition sociale, c’est-à-dire la marginalisation. Ce faisant, l’individu se place toutefois dans une situation où il lui est impossible d’agir selon ses pulsions.
Le travail est de plus en plus fragments et automatise, déplore Henri Laborit, ce qui entraine, chez les individus, une absence de spontanéité et de créativité. Le résultat est qu’il est devenu impossible d’agir pour se gratifier, si ce n’est par une soumission au système de production et la disparition progressive des motivations autres que salariales. La vie est ainsi remplie d’un travail sans joie, faite de gratifications matérielles. « Ce qui peut fournir au travail humain ses caractéristiques humaines, savoir de répondre au désir, à la construction imaginaire, à l’anticipation originale du résultat, n’existe plus », soutient Henri Laborit, dans son livre L’éloge de la fuite.
En fait, il exalte l’imaginaire, source de la créativité humaine, et le considère comme la voie privilégiée pouvant susciter une nouvelle solidarité humaine qui mettrait fin à la structure sociale de dominance.
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