Le Continuum, 25 novembre 1985
Charles St-Prot, Les mystères syriens, Paris, Albin Michel, 1984.
LA POLITIQUE extérieure des pays du Proche-Orient apparaît souvent comme un phénomène ésotérique aux yeux de nombreux observateurs, parée d’une aura d’énigmes difficile à appréhender : les informations, sur ces pays font naître beaucoup plus de soupçons que de certitudes et d’évidences.
Le livre de Charles St-Prot est une des premières tentatives en vue d’apporter un peu d’éclaircissement sur les secrets de la politique syrienne. Ayant séjourné longuement au Moyen-Orient, l’auteur se fait fort peu élogieux envers le régime syrien particulièrement envers son président, Hafez el-Assad.
Ces secrets sont, pour l’auteur, au nombre de deux : l’étonnante conspiration du silence qui entoure la brutalité du régime en Syrie, coupable, à l’intérieur, d’une féroce répression, (qu’on se souvienne du massacre d’Hama en 1982) et complice, à l’extérieur, de nombreux attentats internationaux, notamment à Beyrouth et à Paris.
D’autre part, étant donné le rôle prépondérant joué par la Syrie au Moyen-Orient, quel est, derrière la façade des discours officiels, le jeu exact du président Assad dans la région ? Tel est le deuxième mystère de la politique syrienne.
Ce que l’ouvrage tente de démontrer, c’est le machiavélisme brutal du régime actuel en Syrie. Bien au-delà de toutes considérations idéalistes, le président Assad, celui que Kissinger considérait comme un « grand chef d’État », ne gouverne que pour le plaisir du pouvoir et pour y rester.
Motivé par cette seule ambition, le président et sa clique, majoritairement composée d’Alaouites (qui ne forment que 12 % de la population) jouent double jeu, notamment avec l’URSS, font et défont les alliances, surtout au Liban, combattent derrière le rideau ceux qu’ils jurent de défendre, c’est-à-dire les Palestiniens.
À l’intérieur, corruption et répression sont devenues les traits marquants de ce régime, protégé par une véritable garde prétorienne, la Brigade de Défense, sous le contrôle du frère de président, gardienne de sécurité de la nouvelle bourgeoisie alaouite. Et cette brigade ne lésine pas sur les moyens : Amnistie internationale rapportait l’existence de 10 000 prisonniers politiques en Syrie en 1983, preuve, s’il en fallait une, de l’autoritarisme à courte vue du régime politique syrien.
Principal meneur de jeu dans la crise qui sévit au Liban, le président syrien tente par tous les moyens de se rallier l’OLP, afin de tirer profit de la « cause palestinienne » et ainsi du leadership au sein du monde arabe.
Considérant les États-Unis comme les véritables maîtres du jeu, le président Assad contribue objectivement, selon l’auteur, aux objectifs américains et israéliens, en refusant à l’OLP une existence véritablement autonome, forte et indépendante.
D’où le silence des Américains face aux exactions syriennes, notamment lors de la mutinerie organisée contre Yasser Arafat en 1983, financée et organisée par Damas. De cette manière, la Syrie entend démontrer qu’aucune solution n’est possible dans la région sans sa participation.
Devant de telles pratiques, la condamnation est de mise. C’est ce à quoi s’emploie Charles St-Prot tout au long de son livre, en citant largement les opposants connus de la politique syrienne, y compris Yasser Arafat.
Ayant vécu la guerre de 1982 au Liban dans le giron de l’OLP, l’auteur n’a pas pu complètement se dégager, au profit d’une analyse plus fouillée, d’un certain subjectivisme où se mêlent la rancoeur et la frustration à l’égard de son objet d’étude, l’actuel régime syrien.
Certes, les dirigeants de ce pays ne souffraient pas d’un excès d’humanitarisme ; mais il semble exagéré de soutenir, comme le fait l’auteur, qu’ils peuvent jouer d’artifice avec la cause palestinienne. La légitimité du pouvoir en Syrie repose en bonne partie sur l’enjeu palestinien, ce qui réduit considérablement la marge de manoeuvre des leaders.
Cédant quelquefois au prophétisme, notamment sur la question du nationalisme arabe, l’auteur arrive toutefois à jetez uns peu de lumière sur le jeu sibyllin mené par la Syrie au Moyen-Orient. D’autres études seront cependant nécessaires pour éclaircir davantage cette énigme, une parmi celles, nombreuses, dont Moyen-Orient sait si bien nous accabler.
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