Silvio Orvieto, le « Morning man » de la Radio italienne de Montréal

La Voix sépaharade, septembre 2023 (pp.58-59)

Yvan Cliche

Dans les années 80, après avoir obtenu sa maîtrise en science politique à l’Université de Montréal, Silvio Orvieto a débuté une carrière enviable d’analyste de marché à la délégation commerciale d’Italie à Montréal. Mais, se sentant un peu à l’étroit dans cette fonction professionnelle, il a bifurqué vers une autre voie, celle le portant vers ses aspirations artistiques. Quelque trois décennies plus tard, il ne le regrette pas. Bien au contraire.

  Il est, depuis 2009, le « Morning man » bien connu de la Radio italienne de Montréal.

   Dans une fête ou lors d’une rencontre individuelle, on ne s’ennuie jamais avec Silvio. Avec ses yeux pétillants, ses gestes démonstratifs et son humour toujours prêt à dégainer, ce natif de Milan, issu d’une famille juive sépharade originaire d’Égypte, a la répartie facile, en italien, en français ou en anglais, trois langues qu’il maîtrise parfaitement.
 Mais c’est dans sa langue maternelle, l’italien, que ce résident de l’agglomération Saint-Laurent, arrivé tout juste avant l’âge adulte au Québec en 1977, commence sa journée.

  Les jours de semaine, Silvio se lève aux aurores, vers 4 h 30 du matin, pour préparer son émission de radio matinale, à la station CFMB (1280 AM) de Montréal, qui dure quatre bonnes heures, soit de 6 h à 10 h. Durant ce temps, il présente avec entrain l’actualité québécoise, canadienne et italienne, tout en faisant une belle part à la culture d’ici, sans oublier au passage quelques sketchs humoristiques.

  Quand on lui demande si ce rythme de vie très matinal lui pèse, il répond que le plaisir qu’il éprouve au quotidien à livrer l’actualité et à interagir avec son public l’emporte largement sur toute autre considération. Il se sent pleinement dans son élément dans un studio.

 Ce bonheur professionnel vécu en cabine radiophonique le matin, Silvio le prolonge en après-midi et en soirée, mais cette fois dans un rôle d’acteur, au théâtre ou à la télévision.

   En avril dernier, il a foulé les planches dans un rôle central dans la pièce Communication à une académie de Frank Kafka, où il a interprété avec aplomb le rôle d’un « singe parlant », « domestiqué » par les humains.

   Il joue ainsi depuis 30 ans des personnages divers, passant d’un rôle de concierge à celui de garde du corps, dans des drames et des comédies.

  Cette vocation tardive, après avoir mené une courte carrière fructueuse en promotion des relations commerciales entre l’Italie et le Canada, Silvio la doit en fait à sa femme, Denise Agiman, native aussi de Milan, docteure en théâtre de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle a souvent joué à ses côtés et l’a dirigé dans de nombreux projets artistiques. En 1998, elle met en scène, au Théâtre de Quat’Sous, la pièce Mort accidentelle d’un anarchiste de Dario Fo, prix Nobel de littérature en 1997. Le spectacle est vivement apprécié par les critiques et le public. Silvio, qui interprète le rôle principal, s’y fait grandement remarquer. On apprécie ses talents naturels, lui qui n’a pourtant jamais formellement étudié pour devenir acteur.

   Dans les années 2000, sa nouvelle carrière dans les médias et dans l’art commence à prendre forme. Il quitte son poste d’analyste de marché. Lui, qui avait déjà débuté une prestation à temps partiel à la Radio italienne, le dimanche en matinée, prend la barre de l’émission de l’après-midi puis, quelques années plus tard, celle du matin.

  En parallèle, il accepte des rôles au théâtre, à la télé et aussi dans des films. Il y joue des prestations d’envergure, notamment dans des pièces de Molière ou d’autres auteurs renommés montées par la célèbre metteuse en scène québécoise Denise Filiatrault. Celle-ci s’entiche tellement du talent de Silvio qu’elle en fait un régulier dans plusieurs de ses spectacles.

   Au printemps 2023, Silvio, Denise et leurs deux enfants, Arielle et Joël, maintenant adultes, ont réalisé une expédition familiale un peu spéciale en Égypte. Voyage prévu en 2021, mais annulé en raison de la pandémie de COVID-19.  Silvio cherche notamment à s’imprégner des quartiers du Caire où ont vécu ses parents, Aldo et Gaby Orvieto, décédés.

  Une histoire parentale très liée au 20e siècle. Ses parents, comme un grand nombre de Juifs installés depuis plusieurs générations en Égypte, ont quitté subitement leur pays natal au milieu des années 1950.

  « Il est intéressant de remarquer qu’étant en Égypte avant Nasser, mes parents ont souffert indirectement du fascisme qui commence alors à faire rage en Italie dans les années 1930 car, en tant qu’Italiens (pas en tant que Juifs), ils étaient considérés comme des alliés de l’Allemagne nazie. Les Britanniques, qui exerçaient encore une grande influence sur le pays, même après la fin de leur protectorat (1922), avaient mis sur pied des « camps d’internement » commme au Canada d’ailleurs. Mon oncle Ivo y fût interné pendant quatre ans. Je n’ai jamais su comment mon père y avait échappé. »

  Puis Nasser devint président de l’Égypte.

    « Après la nationalisation du Canal de Suez en 1956 et la promotion d’une politique panarabe de Nasser, il est de plus en plus difficile de vivre en Égypte en tant que Juif et en tant qu’Européen. Or, mes parents avaient ces deux identités. La petite entreprise que mon père a fondée avec mon oncle a été confisquée du jour au lendemain par les autorités égyptiennes. Mes parents décident donc volontairement de partir vers l’Italie pour chercher une maison et du travail. Malheureusement, dans cette histoire, leur maison en Égypte sera confisquée plus tard, par la force, par un soldat venu supposément la visiter pour un éventuel achat », raconte Silvio.

 Ses parents se réfugient en Italie. Silvio y fréquentera pendant quelques années le lycée juif de Milan où il assiste souvent à des conférences des survivants de la Shoah viennent parler, notamment lors de commémorations.

  « Cette mémoire ainsi partagée fait partie de mon identité », dit-il.

  Après plus de 20 ans passés à Milan, las des soubresauts politiques qui frappent l’Italie dans les années 1970, avec son lot continuel de manifestations et de grèves, la famille Orvieto – Aldo, Gaby et leurs deux enfants, Silvio et Serena, leur fille aînée – émigre au Québec.

   L’intégration de Silvio dans la société québécoise a été rapide. Il faut dire qu’il avait déjà un rapport étroit avec la langue française : ses deux parents, polyglottes, maîtrisaient si bien le français qu’ils se parlaient régulièrement dans cette langue au quotidien.

 Comment envisage-t-il le futur?

   Silvio se voit longtemps encore exercer ses deux métiers, celui de communicateur radio et d’acteur.

   « Après tout, est-ce vraiment travailler quand on fait tous les jours ce qu’on aime? », conclut-il.

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