Le Devoir, 9 février 1992
Claire Hoy, Victor Ostrovsky, Mossad. Un agent des services secrets israéliens parle, Montréal, Libre Expression/Presses de la Cité, 1991.
Par définition les services secrets abhorrent la publicité. C’est dans le secret le plus complet que ces organisations évoluent et qu’elles tirent toute leur efficacité. Et c’est cette raison que tout livre documenté sur ce monde sibyllin des espions est voué à un certain succès auprès d’un public avide de dissiper le mystère entourant les services secrets et leur rôle dans les méandres de la politique mondiale.
Ainsi, et surtout dans la conjoncture actuelle, le livre Mossad, un agent des services secrets israéliens parle, ne pouvait que récolter un succès monstre. Les démarches judiciaires entreprises par les autorités israéliennes auprès des cours de Toronto et de New York pour empêcher la distribution du livre en Amérique du Nord, ont amplifié la couverture médiatique de l’ouvrage et ont eu pour effet convaincre encore davantage le public de l’intérêt du livre.
Dès les premières pages, l’ouvrage de Claire Hoy et Victor Ostrovsky, issu d’une collaboration de deux ans, relate la préparation du raid israélien contre la centrale nucléaire de Tuwaitha près de Bagdad en Irak, perpétré en 1981. On est plongé plein roman d’espionnage, à la différence suivante qu’il s’agit de la réalité. On apprend que, dans le monde des services secrets « l’argent, le sexe, certaines motivations psychologiques ou ces trois facteurs réunis permettent de tout obtenir ».
On reste par la suite captivé tellement le livre révèle des faits incroyables quant au rôle du Mossad dans l’aboutissement de certains événements internationaux majeurs des dernières années.
On retient l’extrême méticulosité du Mossad (« dans ce métier, on n’agit pas sur une impulsion. Il faut tout prévoir pour éviter les complications ») et l’utilisation pointue qu’il fait de la technologie, qui compense pour le nombre très limité de ses effectifs.
Fait étonnant et remarquable, le Mossad ne compte qu’entre 30 et 35 officiers nommés katsa, par un personnel d’environ 1 200 personnes, tandis que la CIA dispose d’un effectif dépassera les 25 000 personnes et le KGB encore plus. La force de l’agence israélienne de renseignements réside dans la collaboration des sayan, soit des volontaires juifs de la diaspora (médecin qui peut enlever une balle sans faire de rapport, propriétaire de casino qui peut prêter des milliers de dollars sans poser de question).
L’ouvrage fait entre autre le récit du rôle du Mossad dans la démission en 1979 de l’ambassadeur des États-Unis à l’ONU, Andrew Yung, considéré comme trop sympathique aux vues de l’OLP ; du coup monté à Khartoum suite à l’ouverture d’une école de plongé sous-marine servant de couverture pour amener les Falachas juifs noirs éthiopiens à fuir en Israël ; ou encore du sauvetage miraculeux de Golda Meir, première ministre d’Israël en 1973 : un agent du Mossad lança sa voiture sur une baraque près d’un aéroport en Italie, qui abritait deux Palestiniens s’apprêtant à tirer deux missiles sur l’avion qui devait amener la dirigeante israélienne en voyage officiel chez le pape.
Si, au départ, Ostrovsky était fier de faire partie de l’élite de la nation après un entrainement extrêmement rigoureux (où on lui répète que « dans la vie, vous avez le droit à l’erreur, dans l’espionnage, jamais »), il s’est aperçu, lors de son séjour Mossad 1984 à 1986, qu’y appartenir ne « signifie pas être les meilleurs mais les plus conformes. »
Sa défection s’explique davantage par sa déception face à une organisation qui mine les efforts de paix dans la région et qui perverti les idéaux d’Israël. Un véritable État dans l’État qui ne rend des comptes à personne et qui n’agit que pour son propre intérêt.
Au moment où l’État hébreu affronte avec l’intifada la plus dure épreuve de son histoire, le Mossad est directement responsable, conclut Ostrovsky, de la détérioration des valeurs morales et humanitaires en Israël.
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