Paix et sécurité, printemps 1987
Bernard Lewis, Le retour de l’Islam, Paris, Gallimard, 1985.
Illustre islamologue, Bernard Lewis fait indéniablement partie de la catégorie de savants réputés, à la culture encyclopédique. Son dernier livre, publié chez Gallimard, et intitulé « Le retour de l’Islam », témoigne de nouveau de la profondeur d’analyse de ce chercheur juif d’origine anglaise, maintenant professeur à l’Université Princeton.
Une remarque s’impose d’emblée: ce livre rassemble plusieurs textes déjà publiés dans différentes revues, et souvent repris dans son ouvrage « Islam in History » publié en 1973. Le lecteur peut, sans trop risquer de perdre le propos, passer d’un chapitre à un autre sans suivre fidèlement l’ordre prescrit par les éditeurs.
L’originalité du livre tient en son caractère hétéroclite: textes savants et études sur des sujets récents et polémiques se côtoient allègrement, mais toujours avec le même esprit scientifique dont M. Lewis se fait d’ailleurs un ardent défenseur.
Dans un article publié en 1976, il a été un des premiers de la communauté universitaire à se pencher sur l’islamisme dans les pays musulmans, un phénomène qui fait maintenant l’objet d’une littérature abondante. Dans ce texte, M. Lewis reproche l’ethnocentrisme des analystes traitant de ce sujet et insiste sur les différences culturelles qui séparent les cultures occidentale et musulmane à l’égard de la relation entre le politique et le religieux.
En islam, écrit-il, « le pouvoir religieux et le pouvoir politique ne font qu’un. » Dès lors ne faut-il pas s’étonner de la force grandissante de l’islam dans le domaine de la politique internationale et des affaires intérieures. L’islam n’est pas seulement une religion, mais la source de l’identité collective des musulmans, qui le considèrent comme un véritable mode de vie, un guide autant de la vie spirituelle que des affaires temporelles. La montée de l’islamisme peut être comprise comme la reprise en main d’une communauté se remettant d’une « époque traumatisante où les gouvernements et les empires musulmans furent renversés, et les peuples de l’islam soumis de force à l’autorité d’étrangers impies. »
Si l’on est gré de l’insistance du chercheur anglo-américain sur les dissemblances existant entre la vision occidentale et musulmane du politique, il faut toutefois regretter que M. Lewis ait trop mis l’accent sur les facteurs d’ordre culturel dans l’explication du sursaut fondamentaliste en terre d’islam.
L’essai « Islam et développement : la réévaluation des valeurs » fait montre d’une perspicacité rafraîchissante et constitue assurément une des meilleures contributions sur la question. M. Lewis discute ici du défi le plus urgent de la civilisation musulmane, soit celui de l’adaptation d’une culture millénaire aux réalités du monde moderne.
Or, les pratiques ancestrales ont survécu à l’implantation de l’État moderne et peuvent parfois poser obstacle au développement : « Dans les sociétés traditionnelles, les notions mêmes de développement et de progrès sont absentes. » Par conséquent, tout changement est condamné, car il éloigne la société du modèle idéal consacré par la doctrine et les coutumes. Selon ce schéma, pour retrouver la puissance d’antan, ce n’est pas l’innovation qu’il faut prôner, mais le retour à la tradition pure et originelle, en fait « restaurer ce qui existait avant le changement ».
C’est là l’erreur de l’islam politique. Ce n’est pas en tentant de préserver le passé, nous dit Lewis, que s’instaurera un élan nouveau au sein de la communauté musulmane. Sans renier l’héritage de la tradition, un effort de reformulation doit être accompli, de façon à introduire en islam un esprit ouvert à la création.
La troisième section du livre est consacrée au problème de la Palestine. Autrefois simple province d’une entité plus grande, la Palestine actuelle est progressivement devenue le seul territoire sans organe politique, où « la privation a créé un nouveau sentiment d’identité fondé sur le partage de l’expérience, du désespoir et des aspirations. »
Selon B. Lewis, la solution au conflit doit se dérouler en deux étapes, dont la première est l’acceptation par les Arabes de l’existence d’Israël, sur laquelle il ne peut y avoir aucun compromis.
De là pourra s’engager la deuxième phase, celle de la discussion, portant sur les différends frontaliers. Le problème des réfugiés palestiniens ne sera résolu non pas avant mais après une entente négociée sur le conflit arabo-israélien.
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