Anne-Marie Le Gloannec, Un mur à Berlin, Bruxelles, Éditions Complexe, 1985.
Le Continuum, 3 février 1986
MILLE neuf cent cinquante-huit : 13 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, une ville devient à elle seule le lieu où se déploie avec le plus d’intensité la lutte d’influence que se livrent les puissances en Europe. Pas moins de quatre pays se partagent cette cité, en autant de zones où l’on circule plus ou moins librement.
La tension est vive, surtout entre les zones dites occidentales (où sont présents Français, Américains et Britanniques) et la zone orientale (contrôlée par les Soviétiques). Dans le territoire de leur juridiction, les Soviétiques mettent en place une administration de type socialiste, rejetée par la plupart des citoyens qui, par milliers, fuient vers la zone occidentale.
Aujourd’hui, et depuis bientôt 25 ans, un mur sépare les habitants de Berlin. Un mur qui isole deux mondes, deux idéologies, deux systèmes politiques. Un mur-symbole, celui de la coupure du monde en deux blocs : l’Est et l’Ouest. Un mur qui rompt l’unité, tant de fois souhaitée par les principaux intéressés, le peuple allemand.
Au-delà de la symbolique et de la rhétorique
Ce mur a sa petite histoire, et c’est ce que tente de nous retracer Anne-Marie Le Gloannec, spécialiste européenne des questions allemandes, dans son étude sur le mur de Berlin.
Privilégiant une approche chronologique et événementielle, l’auteure nous décrit le jeu de poker et de stratégie politique auquel se sont livrées les puissances mandataires autour de la question berlinoise, centre de tensions mondiales.
« 1961 donc, c’était encore « la guerre froide », formidable partie de bras de fer entre Soviétiques et Américains, c’est-à-dire une « guerre » aux enjeux globaux mais aux moyens militaires limités, une guerre par procuration, « guerre » de positions avec des sorties audacieuses mais mesurées. Une guerre qui n’en était pas une véritablement car sinon elle eût risqué d’être nucléaire. Et Berlin symbolisait par excellence cette « guerre froide ». (p.18-19)
Point culminant d’une crise où chacun mesure ses avancées, le mur de Berlin est avant tout construit pour mettre un terme à ce que l’auteure nomme « l’hémorragie humaine » saignant la zone orientale. En même temps, l’édification du mur, long de 42 km entre les deux Berlins, consolide la stabilité de la R.D.A. et annonce une nouvelle ère dans les rapports politiques mondiaux.
Paradoxalement, en effet, le mur pave la voie aux relations inter-allemandes et à une plus grande coopération entre les deux entités. Reconnaissant un état de fait dont ils ne peuvent, seuls, se départir sans bouleverser l’équilibre politique mondial, les Allemands de l’Ouest et de l’Est tenteront dès lors d’apaiser le drame des familles divisées à cause d’un mur ayant considérablement diminué le flot des réfugiés en zone occidentale.
Maintenant, qu’en est-il du « mur de la honte » ? Protégé par pas moins de 14 000 hommes, 600 chiens policiers, de nombreuses grilles et fossés, il manifeste la division d’un peuple qui se plaît à espérer qu’un jour, malgré les contraintes politiques mondiales, cette séparation n’aura été que temporaire et superficielle.
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