Magazine Courants, mai-juin 1990
» La performance des employés n’est pas seulement un élément important de la vie des entreprises : c’est l’élément le plus important. Ce sera d’ailleurs la principale préoccupation des entreprises et des experts en gestion au cours de la prochaine décennie. »
Daniel Quinn Mills, qui tient ces propos, est économiste et professeur en gestion des ressources humaines à la Harvard Business School. Régulièrement cité dans les grands médias américains, lorsqu’ils traitent des défis de gestion des entreprises en matière de recrutement de personnel, il était l’invité de l’Association des professionnels en ressources humaines à l’occasion de son colloque annuel tenu en avril à Montréal.
Tous le savent
« Pour être efficace et productive, toute entreprise doit s’assurer, sur une base constante, que tout employé est a sa place, en un mot qu’il occupe un poste qu’il aime et pour lequel il est qualifié. C’est de cette façon que l’employé pourra vraiment apporter une contribution valable et se sentir apprécié », soutient Daniel Quinn Mills. Il exhorte les entreprises à gérer les attentes des employés afin que celles-ci ne se transforment pas en frustrations se répercutant inévitablement sur le taux de productivité.
« J’enseigne au sein d’un programme de gestion pour cadres supérieurs. Ces cadres proviennent d’un peu partout dans le monde et ont en moyenne 20 ans d’expérience on gestion des ressources humaines. Ils disent tous la même chose, soit que plus rien n’est comme avant. L’environnement change : il est en continuel bouleversement. L’expression est connue de tous. Tout comme le fait que la compétition augmente sans cesse. Il faut que l’entreprise et ses employés s’y adaptent, au prix de leur position sur le marché », prévient Daniel Quinn Mills.
Jouer gagnant ou ne pas perdre
D’après Daniel Quinn Mills, une bonne partie du succès d’une entreprise comme General Electric provient de sa philosophie de gestion du personnel, qui est de mettre la bonne personne avec les bonnes compétences au bon endroit. « Combien de problèmes pourraient être évités, combien d’énergie pourrait être épargnée si les employés occupaient des fonctions qui leur sont appropriées ? C’est bien souvent à ce niveau qu’il faut retracer les problèmes de motivation et de productivité de plusieurs entreprises nord-américaines. »
L’entreprise est un concept abstrait, rappelle Daniel Quinn Mills. La réalité concrète, c’est l’interaction entre individus. Or, demande-t-il, reconnait-on vraiment cette simple vérité ? Prend-on vraiment en compte les aspirations et les attentes des individus qui composent l’entreprise ? Et surtout, crée-t-on un environnement où les individus peuvent exceller et se surpasser ? Trop souvent, déplore le professeur, les entreprises et leurs unités n’agissent pas dans un but d’excellence. Elles se préoccupent surtout de ne pas perdre la face.
Daniel Quinn Mills cite l’exemple d’un département de mise en marché d’une grande entreprise japonaise. Le responsable du département empêchait la réalisation d’un projet intéressant conçu par l’unité recherche et développement. Pourquoi ? Le responsable savait que, si le projet réussissait, on attribuerait son succès à la brillante idée de l’unité R et D. S’il obtenait un succès mitige, on en attribuerait la faute au département de marketing. Au lieu de jouer gagnant, le gestionnaire était quasi force d’agir pour ne pas perdre.
Attirer le talent
Les années 90 seront celles d’une compétition accrue pour le recrutement du talent humain, poursuit Daniel Quinn Mills. « C’est à ce titre que la fonction ressources humaines prend toute son importance en tant que ressource stratégique de l’entreprise. Elle devra attirer et retenir le talent. Certes, ce n’est pas tous les individus qui performent et qui veulent performer de manière constante. Garder les employés performants, leur donner de nouvelles tâches qui leur conviennent est un des grands défis des prochaines années. La variété des tâches qu’on leur proposera de réaliser comptera beaucoup dans le succès de ce défi. »
En fait, le tout se joue au niveau de la culture. « Les entreprises veulent des gens performants. Mais la culture qui y prévaut est plus souvent qu’autrement un obstacle à l’épanouissement du talent. C’est d’ailleurs ce qui explique le succès des collèges privés : les parents et les jeunes recherchent un environnement où le talent sera reconnu, apprécié et développé. Où les jeunes sont libres d’exceller. Or, dans beaucoup d’entreprises, particulièrement les bureaucraties, l’employé performant est mal vu par ses pairs et isolé au lieu d’être appuyé. Dans les organisations peu structurées, la tendance est au nivellement par le bas. On tolère à l’excès les performances moindres. Au contraire, dans les organisations peu structurées, ou s’exercent moins de supervision et plus de travail d’équipe, la tendance est au dépassement. »
Pour réussir à motiver les performants, il faut aussi reconnaitre leur potentiel, dit Daniel Quinn Mills. Dans les années qui viennent, on évaluera véritablement le leadership des gestionnaires à leur habileté a créer un environnement propice au développement du potentiel des employés. Les moyens requis : la délégation et le travail d’équipe. « La performance est la clé du succès des entreprises et le leadership est la clé de la performance. C’est aux gestionnaires de faire preuve du leadership nécessaire pour articuler cette vision qui inspirera tous les employés et qui leur permettra de faire valoir pleinement leurs talents. »
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